La défense du droit de propriété contre un empiétement ne saurait dégénérer en abus

Publié le 16 novembre 2013 par Christophe Buffet

La défense du droit de propriété contre un empiétement ne saurait dégénérer en abus : c'est ce que juge cet arrêt :

"Vu l'article 545 du code civil ;

Attendu que nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 11 mai 2010), que Mme X...a assigné les époux Y..., propriétaires de fonds contigus, aux fins d'obtenir la démolition des chapiteaux des piliers du portail réalisant un empiétement en surplomb sur sa propriété ;

Attendu que pour débouter Mme X...de sa demande, l'arrêt retient que l'empiétement porte sur un surplomb minime et dépourvu de toute conséquence et que la demande relève de la seule intention de nuire, caractéristique d'un abus de droit ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la défense du droit de propriété contre un empiétement ne saurait dégénérer en abus, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le premier moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté Mme X...de sa demande de suppression d'une partie des chapiteaux des piliers du portail des époux Y...qui empiète sur sa propriété, l'arrêt rendu le 11 mai 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes, autrement composée ;

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze juin deux mille onze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils pour Mme X....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré que le chemin correspondant au tracé DE du plan parcellaire figurant en annexe du rapport d'expertise était un chemin d'exploitation et d'avoir en conséquence condamné son propriétaire (Mme X..., l'exposante) à supprimer les obstacles à l'accès à la parcelle AF n° 79 appartenant à ses voisins (les époux Y...), en son côté ouest, et à le laisser libre par la suite ;

AUX MOTIFS propres et adoptés QUE, par des motifs pertinents que la cour adoptait, le premier juge avait retenu à bon droit que l'assiette du chemin correspondant aux tracés AD et DE du plan figurant en annexe 1 du rapport d'expertise Z... constituait un chemin d'exploitation (arrêt attaqué, p. 8, alinéa 2) ; que, sur la portion de chemin conduisant à la cour ouest de la parcelle AE 79 (chemin DE du plan de l'expert Z...), une attestation de M. A..., auteur des époux Y..., confirmait que le chemin donnait accès aux charrettes pour remiser le foin au niveau de la cour ouest ; que l'expert Z... évoquait, quant à lui, un ancien bâtiment à usage de bergerie avec grenier à foin à l'étage ; que M. B...relevait de l'étude des anciens titres des auteurs des époux Y..., la désignation d'un chemin à charrettes au nord de leur fonds, séparatif de celui-ci et de la propriété voisine, et désigné comme mitoyen ; que, dès lors, il s'agissait bien d'une voie à caractère privée, reliant le chemin d'exploitation défini ci-dessus aux deux fonds riverains, indépendamment de la propriété du sol qui, au vu de ce qui précédait, était passée d'une mitoyenneté à une propriété unique par rattachement au fonds X...; que ces éléments caractérisaient, là aussi, un chemin d'exploitation qui ne pouvait être supprimé sans le consentement des propriétaires riverains ; qu'en conséquence, ce chemin devait être rétabli, étant rappelé que le défaut d'usage trentenaire n'emportait pas prescription ; que, par suite, l'éventuel état d'enclave de la propriété des voisins était sans intérêt au litige ; que la nature du chemin d'exploitation n'empêchait pas un propriétaire de se clore sur l'assiette lui appartenant, sous réserve qu'il donnât aux titulaires du droit de passage le moyen d'ouvrir cette clôture pour accéder normalement à leur propriété ; qu'en conséquence, Mme X...devrait démolir le mur qu'elle avait fait édifier au long de la propriété voisine, mais aurait le choix d'enlever le portail pour le remettre à son emplacement initial en retrait de l'entrée du chemin, ou de confier aux époux Y...la clé ou la télécommande permettant l'ouverture du portail dans son emplacement actuel (jugement entrepris, p. 5, dernier alinéa et p. 6, alinéas 1 et 2) ;

ALORS QUE les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent à la communication entre divers fonds ou à leur exploitation, de sorte que seul un chemin, à l'exclusion d'un grenier à foin, peut être qualifié de chemin d'exploitation ; que l'exposante contestait la nature de chemin de la parcelle litigieuse et, partant, la qualification de chemin d'exploitation ; qu'elle faisait valoir (v. prod., ses conclusions signifiées le 27 janvier 2010, p. 12, alinéa 6, et p. 17, alinéa 10) que la partie de terrain déterminé DE sur le plan Z... ne constituait pas un chemin mais un grenier à foin qui lui appartenait et dont l'accès se faisait par un hangar à l'intérieur de la propriété des auteurs de ses voisins ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, se contentant d'adopter les motifs des premiers juges qui affirmaient sans en justifier qu'il s'agissait bien d'une voie à caractère privé reliant le chemin d'exploitation AD du plan de l'expert aux deux fonds riverains, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir débouté un propriétaire (Mme X..., l'exposante) de sa demande de démolition des chapiteaux empiétant sur sa propriété et d'avoir déclaré que cette demande caractérisait un abus de droit au préjudice des usurpateurs (les époux Y...) ;

AUX MOTIFS propres et adoptés QUE le jugement entrepris serait confirmé en ce qu'il avait débouté l'exposante de sa demande de suppression d'une partie des chapiteaux des piliers du portail des époux Y...(arrêt attaqué p. 8, alinéa 3) ; que la demande de démolition des chapiteaux devait être écartée à deux titres : d'un côté, l'exposante était dépourvue d'intérêt légitime en l'absence de toute restriction effective à son droit de propriété, s'agissant d'un surplomb d'une dimension insignifiante sur une parcelle dépourvue de tout autre usage que le simple passage, de l'autre, il était de principe que la défense du droit de propriété ne pouvait dégénérer en abus de droit lorsqu'un empiétement au sol privait le propriétaire de la disposition de son bien sur la surface concernée ; que la demande, qui portait sur un surplomb minime et dépourvu de toute conséquence, relevait de la seule intention de nuire, caractéristique d'un abus de droit (jugement entrepris, p. 6, alinéas 4 à 6) ;

ALORS QUE, d'une part, un empiétement même minime justifie la démolition de l'ouvrage à la demande du propriétaire ; qu'après avoir constaté la réalité de l'empiétement en relevant que les chapiteaux surplombaient de cinq centimètres la propriété de l'exposante, l'arrêt attaqué ne pouvait rejeter la demande de démolition au prétexte qu'elle portait sur « un surplomb minime et dépourvu de toute conséquence » ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles 552 et 545 du code civil ;

ALORS QUE, d'autre part, la défense du droit de propriété contre un empiétement ne saurait dégénérer en abus ; qu'ayant constaté un empiétement de cinq centimètres sur la propriété de l'exposante, l'arrêt attaqué ne pouvait débouter celle-ci de sa demande de démolition au prétexte que l'empiétement portait sur un surplomb minime et dépourvu de toute conséquence qui aurait relevé de la seule intention de nuire ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 545 du code civil."