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Jour 40, Julien : THE LUCKSMITHS, Where Were We ? (2002)

Publié le 07 mai 2008 par Oagd
Jour 40, Julien : THE LUCKSMITHS, Where Were We ? (2002) Where Were We, vu par François Matton Passer de Johnny Thunders aux Lucksmiths, pour dire les choses crûment, c'est un peu tenter de siroter une menthe à l'eau après s'être envoyé l'équivalent d'une demi bouteille de Jack Daniel's on the rocks. La tâche est d'autant plus ardue que j'écris moi-même ces lignes au lendemain d'une soirée définitivement plus riche en whisky qu'en sirop de menthe. Dans ce contexte, la première qualité que je vais trouver à ce disque des Lucksmiths, c'est qu'il n'est pas un album, mais une collection d'enregistrements rares, chansons issues de compilations, faces B, etc. Il n'est donc pas nécessaire de tenter de lui trouver une cohérence, une vision d'ensemble, des intentions de faire œuvre. C'est reposant pour l'analyse, mais parfois aussi pour l'écoute même. Je l'ai réalisé il y a peu : mon cerveau a besoin de ces disques compilatoires sans enjeu apparent, histoire de souffler un peu entre l'appréhension d'authentiques travaux d'artistes. (la semaine prochaine, je m'attellerai à une anthologie de singles qui me paraît à bien des égards tout aussi exemplaire : celle des écossais BMX Bandits)   Dans le livret de l'excellente compilation Indiepop 1 du label Rough Trade figure la reproduction d'une publicité pour une soirée londonienne, probablement au début des années 1990, consacrée à ce que l'on appelait alors la « pop anorak ». Sur la gauche, le dessin d'une jeune fille à coupe garçonne portant une jupe à motif de pâquerettes, presque une caricature d'Amelia Fletcher, la chanteuse du groupe Heavenly. Sur la droite, un texte qui explique que The Fountain est un club dévolu à l'indie-pop, majoritairement aux groupes du label Sarah Records, et que l'entrée n'y sera pas autorisée aux gens ne portant pas d'anorak. Mais, précise le flyer, des anoraks gratuits seront fournis à ceux qui n'en auront pas, ainsi qu'une sucette, et un tampon sur le poignet en forme d'ours en peluche. A propos du groupe australien The Lucksmiths, on pourrait, s'il le fallait, parler plutôt de « pop t-shirt ». Cela nous permettrait de situer que sa musique, effectivement en droite lignée de ce courant là (pop, gentille, naïve, plus ligne claire tu meurs, indie, romantique) s'en démarque tout de même subtilement. Ne serait-ce que parce que le t-shirt - que portent le plus clair du temps les Lucksmiths et dont ils parlent dans plusieurs chansons - est un vêtement nettement moins poseur, plus laid back, que l'anorak. L'une des chansons de la compilation Where Were We ? s'appelle ainsi T-shirt Weather. C'est une célébration guillerette des premiers jours de l'été, le chanteur-narrateur incite un proche à sortir du lit pour venir humer le bon air mais il ne dit pas « voilà l'été », façon Négresses Vertes, ou « il fait soleil », non, il dit : « Voici venu le temps du t-shirt ! ».   Ecouter ce disque, quand on connaît déjà plusieurs albums des Lucksmiths, c'est comme se promener en 2008 dans un ville anglaise un jour férié (bank holiday). Les magasins et les bars sont ouverts, l'environnement est familier et pourtant, quelque chose diffère, un léger décalage se fait sentir. Les voitures roulent moins vite. Les passants sont moins habillés que d'habitude. La qualité de l'air, la luminosité ambiante, les couleurs, tout semble plus flottant, moins soutenu. Les raisons même qui font que l'on se trouve dans la rue sont plus indécises ou plus superficielles. La chanson The Cassingle Revival est parue en 1999 sous la forme désuète de « cassette single ». Alors du coup, elle parle aussi de ça : « Ton cœur balance entre le digital et le vinyle. / mais moi je compte les jours jusqu'au revival de la cassette single / puisque tu as promis de revenir, le jour où cela arriverait ». Tout est vraisemblablement pipeau dans cette histoire de fille qui reviendrait le cas échéant, on sent bien que ce n'est qu'un artifice et la motivation principale, l'écriture d'une chanson sur le sujet de la cassette single. Autant dire que la motivation principale est une absence de motivation. Le résultat est que, pourtant, la chanson est l'une des plus pénétrantes du groupe, son traitement mélodique et instrumental se révélant d'un raffinement inversement proportionnel à la futilité du propos. Sur I Prefer the Twentieth Century, on les imagine cogiter : qu'est-ce que cela donnerait si l'on piquait un motif de clavier un peu cafardeux façon Young Marble Giants pour en faire la matrice d'une vraie pop-song ? Hum, le résultat est indécis, mais gardons ça quand même sous le coude, ça pourra toujours servir un jour. Et si l'on veut faire une chanson sur l'histoire d'un homme sur mars (Mars), que ne tenterait-on d'enregistrer la voix du chanteur Tali White au téléphone, histoire d'incarner physiquement la distance interplanétaire ?   Where Were We ?, cela pourrait sans doute se traduire par Où en étions-nous ? On serait en droit d'y voir, de la part d'un groupe se trouvant pile entre deux albums studios, la volonté de faire le point sur son identité, son parcours avant de repartir de plus belle. Mais au fond, ce n'est probablement pas tant le sens de la phrase que sa forme même qui fut à l'origine de son choix. Les initiales : WWW. La manière dont chaque mot se déleste d'une ou plusieurs des lettres de son prédécesseur pour n'en conserver plus que deux, W et e, We, nous. Ce côté poupées russes. Cette géométrie étrange qui n'est pas sans évoquer celle du groupe sur scène à cette époque : un trio, donc, avec un chanteur tenant aussi la batterie, dont il joue debout, sans grosse caisse et sur le devant de la scène. Un trio qui, à l'occasion sur disque, sait s'agrandir. La chanson la plus émouvante ici est sans doute Even Stevens, enregistrée, et pour cause, à Brooklyn, puisqu'il s'agit d'une rencontre entre les Lucksmiths et les Ladybug Transistor. Une chanson écrite par Marty Donald des Lucksmiths mais produite par Gary Olson des Ladybug, sur laquelle la quasi-totalité des membres des deux groupes joue. Voilà qui n'est pas ordinaire. A tel point qu'on ne sait plus qui fait quoi, le fond blanc et le fond de couleur se mêlent sous nos yeux.  Le plus étonnant s'avérant que malgré une main d'œuvre plus conséquente encore que d'ordinaire, malgré les cuivres, les chœurs des filles, la chanson sonne là encore presque inachevée, en chantier, comme une démo un peu plus élaborée que la moyenne. Il manque quelque chose, et c'est dans cette absence là que se niche une partie de mon émotion.   Je ne suis jamais allé en Australie, mais au fond l'image que je m'en fais importe peu dans mon appréciation de ce disque ou des Lucksmiths en général. Where Were We ? ne m'évoque pas ce pays, il fait en revanche ressurgir en moi certains des souvenirs les plus intimes de mon voyage en Argentine, en 1996, quand j'avais 16 ans. Des dimanches après-midi à Buenos Aires, dans le jardin de la maison des amis français de ma tante chez qui nous logions. Une chaleur tropicale, des chants d'oiseaux différents de ceux auxquels mon oreille était habituée. Des invités, eux aussi français exilés qui viennent déjeuner. Dans les rues, des façades multicolores aux couleurs encore vivifiées par le soleil. Cette sensation très étrange d'un environnement de culture très européenne dans un cadre on ne peut plus exotique. Un rythme de vie définitivement alangui. En moi, dans ces instants, un balancement constant entre l'excitation de ces découvertes, de ces odeurs et sensations nouvelles, et le malaise, décuplé par celui de l'adolescence, de se savoir si loin de chez soi et de ses proches, dans l'impossibilité physique de se télétransporter en un clic à la maison.

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