genre: documentaire
Année: 1986
Durée: 9h30/10h15 (variable selon les versions)
synopsis: Tourné dans les années 1976-1981, le film est composé d'entrevues de témoins de la Shoah (dont certaines obtenues par ruse) et de prises de vues faites sur les lieux du génocide.
La critique d'Alice In Oliver:
Avec Nuit et Brouillard d'Alain Resnais et De Nuremberg à Nuremberg de Frédéric Rossif, Shoah, réalisé par Claude Lanzmann en 1986, est probablement le documentaire le plus important sur l'extermination des juifs par les nazis pendant la Seconde Guerre Mondiale.
C'est en tout cas le plus long puisqu'il existe une version de 613 minutes et une autre de 503 minutes. Shoah est aussi le résultat de presque dix années de travail. En effet, entre 1974 et 1981, Claude Lanzmann a réalisé plus de 350 heures de prises de vue, dont 220 heures véritablement exploitables.
Par ailleurs, Claude Lanzmann a proposé quatre autres films basés sur les interviews faites à l'époque, et qui n'avaient pu trouver (partiellement ou intégralement) leur place dans le film sorti en 1985. Il s'agit de: Un Vivant qui passe. Interview de Maurice Rossel, délégué de la Croix-Rouge s'étant rendu dans le camp d'Auschwitz et le ghetto de Theresienstadt durant la guerre.
Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures. Interview de Yehuda Lerner, sur la révolte des prisonniers du Camp d'extermination de Sobibor en 1943.
Le Rapport Karski. Interview de Jan Karski, sur sa mission, auprès de responsables occidentaux pendant la guerre, de témoin de l'extermination des juifs en Pologne.
Le dernier des injustes. Interview de Benjamin Murmelstein, président du Conseil Juif à Theresienstadt, au sujet, entre autres, de ses relations avec Eichman. Vous l'avez donc compris: Shoah est le résultat d'un travail colossal et minutieux. D'ailleurs, le documentaire s'ouvre sur les remerciements de Claude Lanzmann.
Pour le réalisateur, il a fallu retrouver la piste des rares survivants de l'Holocauste, mais parfois aussi, de ceux qui ont participé de près ou de loin au génocide. C'est par exemple le cas lorsque Claude Lanzmann retrouve un certain Josef Oberhauser, officier nazi dans le camp de Belzec.
Ce dernier vit tranquillement en Allemagne et tient une brasserie. C'est par ailleurs un fait avéré: de nombreux tortionnaires de l'Allemagne nazie n'ont jamais été jugés et encore moins inquiétés. Evidemment, Shoah est un film important (et le mot est faible), surtout à l'heure actuelle, puisqu'il existe encore des personnes qui croient que les camps de la mort n'ont jamais existé.
C'est probablement pour cette raison que Shoah est encore (et heureusement) aujourd'hui montré dans les écoles et les collèges afin de montrer une réalité, à savoir l'extermination de six milions de juifs dans les camps de concentration. C'est un devoir de mémoire.
L'Humanité ne doit jamais oublier. Cette tragédie (encore une fois, le mot est faible) fait partie intégrante de notre histoire. D'ailleurs, Shoah s'ouvre sur une phrase: "Et je leur donnerai un nom impérissable". C'est une phrase importante qui revient souvent dans ce documentaire.
Avant Shoah, certains films ou certaines personnes ont parlé de l'extermination des juifs en utilisant des termes tels que "holocauste", "génocide" ou encore "Solution Finale". En vérité, Claude Lanzmann, lui, ne possède pas vraiment de mot adéquat, d'où le titre du film, donc Shoah, qui est un mot hébraïque, et qui signifie "catastrophe". En résumé, l'horreur atteint ici le sommet le plus absolu.
Par conséquent, il n'existe pas (plus) de mot assez fort pour la désigner. C'est dans ce sens que va Claude Lanzmann. Shoah est donc une succession d'interviews qui visent à comprendre ce qui s'est exactement passé et dans les moindres détails dans les camps de la mort.
Contrairement à De Nuremberg à Nuremberg, qui expliquait aussi la montée du nazisme, la capitulation française, le régime de Vichy et l'effort de guerre, Shoah se concentre exclusivement sur l'extermination des juifs. Ici, pas d'image d'archives, de séquences vidéos de l'époque ou encore de photos, juste des témoignages sur place avec un retour sur d'anciennes terres marquées par la douleur, la terreur, l'angoisse et la mort. De ce fait, Shoah apparaît aussi comme une expérience à part entière puisque le documentaire a une vraie tonalité morbide.
Il s'agit donc d'un voyage au coeur des ténèbres, à savoir dans le côté le plus obscur de l'Humanité.
Pour le reste, Shoah se divise en deux époques. Je ne vais pas revenir sur chacune des interviews. En sachant que le film dure plus de neuf heures, cela n'aurait aucun sens. Surtout, ce serait beaucoup trop long. Toujours est-il que la Première Epoque de Shoah raconte les souvenirs des morts.
Chaque témoin raconte donc les dernières heures de ceux qui sont arrivés par les trains, dans quelles conditions ils ont été gazés, affamés, exterminés, brûlés, frappés, insultés, annihilés, pillés... et j'en passe... L'extermination d'êtres humains semble obéir à une logique minutieusement pensée et préparée depuis des années.
La Solution Finale est donc une question technique, à savoir comment procéder pour exterminer le plus vite et le plus grand nombre possible de juifs. Les différents témoignages décrivent avec précision le processus de sélection, les fours crématoires, les chambres à gaz, le travail dans les fosses où les cadavres sont entassés avant d'être brûlés.
La seconde époque traite davantage de la survie dans les camps de la mort. Certes, très peu de personnes ont survécu aux camps de concentration. Ces personnes sont toujours en vie, mais elles ont eu aussi beaucoup de "chance". En un sens, ces survivants sont aussi des morts qui ont survécu parmi les cadavres. Aujourd'hui, ils se demandent comment ils ont pu ressortir vivants de ces cimetières humains, véritables entreprises de la mort. On en revient toujours au même.
Toujours est-il que le but était d'annihiler un peuple entier de la surface de la planète dans le plus grand secret. Pourtant, à leur arrivée au camp, la plupart des juifs étaient au courant du sort qui leur était réservé. Les paysans environnants ou les personnes extérieures à cette réalité savaient très bien ce qui s'y passait. Encore une fois, tout le monde savait mais tout le monde avait peur.
Avec Shoah, c'est donc la voix des morts qui refait surface à travers la parole de ceux qui ont survécu. Il s'agit donc d'une lutte pour faire triompher la vérité, si longtemps cachée, ainsi que la Mémoire pour que nous ne puissions jamais oublier. Forcément essentiel.
note: 21/20