Il y a 10 ans, Saint-Nazaire a connu la pire journée de son histoire depuis les bombardements de la Seconde guerre mondiale. Il était un peu plus de 14h, une passerelle reliant le paquebot Queen Mary 2 à son quai d'armement s'effondrait.
Je me souviens exactement de ce samedi-là. J'habitais à Montréal, je venais de me lever, j'avais allumé la radio, une bonne odeur de bagel grillé flottait dans la cuisine. Et la nouvelle a fait l'ouverture du journal de Radio Canada, à 9h: une passerelle s'était effondrée à Saint-Nazaire, en France, sur les chantiers navals où l'on construisait alors le plus beau paquebot du monde pour la Cunard. Il y aurait des morts, disait-on à la radio. Je suis restée figée.
C'était il y a 10 ans et Saint-Nazaire, la ville où j'habite aujourd'hui, se souvient dignement. Comme tous les 15 novembre. Ce terrible accident a fait seize victimes et vingt-neuf blessés. Beaucoup faisaient partie des familles de salariés travaillant à la construction du bateau qui avaient eu le privilège de visiter le paquebot avant tout le monde, mais aussi des équipes chargées du nettoyage puisque le QM2 devait quitter son port de construction un mois plus tard. Saint-Nazaire s'apprêtait à fêter, fébrile, comme toujours lorsqu'un géant des mers prend le large.
Il faut vivre cela, le départ d'un paquebot, pour comprendre la fierté de ces femmes et de ces hommes participant à la construction d'un navire qui fera rêver et voyager des dizaines de milliers de personnes pendant quelques décennies. Et la fierté des habitants de la ville portuaire. Au premier jour, un paquebot naît de la découpe d'une tôle d'acier, et c'est toujours un spectacle fascinant que de voir le paysage du port changer pendant les deux-trois ans que dure la construction d'un navire. Chaque départ réunit des centaines de personnes le long du front de mer et des plages, pour dire au revoir à celui qui va vivre sa vie loin de son nid. Pour avoir vécu presque tous les départs de paquebots depuis une dizaine d'années, je vous assure que c'est un spectacle toujours très émouvant.
Le 22 décembre 2003, un peu plus d'un mois après l'accident de la passerelle, j'étais sur la plage de Villès-Martin pour voir partir le Queen Mary 2. Ce jour-là, il y avait bien plus de monde agitant la main, et bien plus d'émotion. On disait au revoir à un superbe paquebot mais le coeur serré car sa construction serait toujours rattachée à un drame. Ce jour-là, une grande banderole était déroulée sur le navire avec l'inscription « Merci Saint-Nazaire ».
À 14h aujourd'hui, Saint-Nazaire se souvient.
Le Queen Mary 2 quittant Saint-Nazaire, le 22 décembre 2003. ©V.C.
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