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L'après-guerre, le choix de la cogestion du capitalisme

Par Alaindependant

Les années 1943-47, indique le texte, constituent donc un « moment » dans l’histoire de la lutte des classes : crise profonde du capitalisme, ébranlement de son édifice politique, évolution rapide dans les rapports de force, position favorable pour la classe ouvrière et ses organisations.

C’est le choix de restaurer le capitalisme que la social-démocratie a fait, bien entendu. Comme d’ailleurs le Parti communiste, même si ses raisons sont différentes : la politique mondiale du stalinisme visait en effet le statu quo négocié à Postdam et Yalta.

Mais, une fois ce choix fait, le système capitaliste n’était pas capable de reprendre son ancien cours : il devait s’adapter profondément, structurellement. C’est ainsi que les mécanismes de régulation et de programmation que les années 60 vont voir éclore tous azimuts sont mis en place à plusieurs niveaux. Ils vont affecter à son tour la structure même de la social-démocratie : la longue marche vers l’intégration dans l’Etat commence. On peut affirmer que la social démocratie a réalisé pleinement le programme du capitalisme pour permettre son développement.

Il n'est donc pas opportun de présenter toujours la même image unilatérale de cette époque qui aurait été seulement favorable aux classes populaires.

C'est le choix de la cogestion du capitalisme qui a été globalement fait.

D'autres choix étaient-ils possibles ?

Mais l'histoire ne repasse pas les plats et la France de 2013 n'est plus celle de cette époque.

Et c'est au peuple français qu'il appartient de choisir le chemin à emprunter aujourd'hui en tirant toutes les leçons du passé.

Michel Peyret

Les grèves de 1947 en France

mardi 16 octobre 2007, par Courant Alternatif

« L’importance du passé tient en ce qu’il permet de tirer des leçons de nature à éclairer l’avenir »
Anton Pannekoek

« Ce terrible enfantement est celui d’une révolution »
Albert Camus, Combat, août 1944

L’année 1947 fut une année décisive dans la formation du consensus capitaliste, dans le contexte de la sortie de guerre, de nouvelles notions ont remplacé les vieilles lois du libéralisme social du XIXème siècle. L’idée s’impose que l’Etat est un arbitre social et qu’il lui appartient de corriger les inégalités par la redistribution des richesses. C’est sur cette idéologie que s’est construite la légende du Welfare State et des « Trente Glorieuses ». C’est sur ces bases de développement que la société française va pouvoir entrer dans l’ère de la consommation de masse qui caractérisera le monde développé du XXème siècle. Mais cette transition ne s’est pas effectuée sans heurts dix mois après la mise en place des institutions de la IV République, le pays est en proie à des grèves que le président du Conseil d’alors (V.Auriol) jugeait « insurrectionnelles ». Et ce sont le Parti Communiste et la CGT qui vont sauver la mise au gouvernement. Ces épisodes qui tendent à s’estomper dans la mémoire collective constituent pourtant un tournant fondamental dans la vie économique, politique, et sociale de notre société et une sérieuse leçon pour ceux qui aspirent à une transformation radicale de la société.

Reconstruction économique et paix sociale

En septembre 1944 au moment de la mise en place du gouvernement provisoire présidé par De Gaulle, l’économie française sort exsangue de l’occupation. Manquant d’une main d’oeuvre encore retenue en Allemagne sans compter les morts et les blessés, n’ayant ni combustible, ni matières premières, désorganisée par les bombardements (destructions des quais portuaires, des voies ferrées et gares, des routes etc.) la production industrielle ne représente plus qu’un tiers de celle d’avant guerre. La production agricole à moins diminué, mais la paralysie des transports entraîne une pénurie dramatique de ravitaillement pour les villes. L’inflation explose. Bref le pays semble au bord du naufrage d’autant plus que les ressources de l’Etat sont absorbées dans la poursuite de la guerre et que la tension sociale est a son comble, le climat révolutionnaire de la libération se poursuit : épuration sauvage des pétainistes et collabos, dénonciations des profiteurs du marché noir, revanche contre un patronat qui, après avoir sabordé les conquêtes du Front Populaire, a soutenu majoritairement le régime de Vichy et participé à la collaboration. 

Dans ce contexte comment rétablir la République et par là-même le capitalisme ?

En fait la question avait été discutée auparavant dans les débats de la résistance, le programme du CNR (conseil national de la résistance) propose pour la Libération une démocratie économique et sociale sur fond d’économie dirigée. Il préconise notamment : la participation des travailleurs à la direction de l’économie, la nationalisation des grands moyens de production, la sécurité sociale, droit au travail, à la retraite etc.

L’objectif est d’établir l’unanimité nationale en s’assurant de la participation de toutes les composantes politiques de la Résistance et plus particulièrement du PCF et de la CGT.

Le soutien de la confédération syndicale est assuré dès 1944, Benoît Frachon lance “ la grande bataille de la production ”. L’heure est au consensus productiviste : la grève disparaît de l’ordre du jour de la CGT, c’est même comme l’écrit Gaston Monmousseau « l’arme des trusts » et en septembre 1944, la CGT a proposé l’unité organique à la CFTC (qui refuse.) Le PCF ne tarde pas à afficher son soutien à la politique gouvernementale : le 21 juillet 1945 Thorez affirme à Waziers devant les gueules noires : “ produire, c’est aujourd’hui la forme la plus élevée du devoir de classe ”.

Bref c’est autour de trois axes principaux que va se structurer la politique gouvernementale :

  • Les nationalisations : le dirigisme de l’Etat est motivé par une nécessité d’efficacité économique mais les premières vagues de nationalisations ont un caractère soit de sanctions pour faits de collaboration comme la confiscation des usines Renault ou de celles de Gnome et Rhône (moteurs d’avions) qui deviendra plus tard la future S.N.E.C.M.A ; soit de rétablissement de l’ordre social, ainsi en est il des usines Berliet, où l’épuration sauvage effectuée par les ouvriers avait entraîné une certaine forme d’autogestion. Avec la nationalisation de 34 compagnies d’assurances et des quatre principales banques de dépôts, l’Etat se rend maître d’une grande partie du système de crédit. Il peut donc décider, et diriger l’ensemble de l’économie française, de l’investissement à la production.

  • La cogestion (sécurité sociale et comité d’entreprise) : pour faire accepter les efforts et les sacrifices prodigieux générés par la nécessité de la production, on agite la carotte du social, la loi du 22 février 1945 crée les comités d’entreprises, il s’agissait au départ d’associer les salariés à la gestion des sociétés, mais sous la pression du patronat les CE se cantonneront très rapidement à la gestion des oeuvres sociales de l’entreprise. La création de la Sécurité Sociale est elle, une réforme d’une plus grande ampleur, inspirée des conceptions du Welfare State de l’anglais Beveridge. Si elle se justifie par une volonté de redistribution de la richesse produite, elle modifie profondément la conception même du salariat. Celui ci ne devient plus seulement la rémunération du travail fourni conçu en tant que marchandise, mais un revenu social fixe, même s’il n’y a pas de travail, la cotisation (obligatoire par ailleurs) représentant un salaire différé. Cette réforme crée un système de protection garantie par l’Etat qui modifie profondément la nature et le comportement de la société.

  • La planification de l’économie : en janvier 1946 est créé un Commissariat Général au Plan sous la direction de Jean Monnet qui élabore la stratégie et les objectifs économiques qu’il faut atteindre. Le plan Monnet sera adopté et promulgué par le gouvernement de Léon Blum en janvier 1947. L’esprit général de ce plan est d’inclure l’ensemble de l’économie dans un développement systématique, mais il s’agit également de rassurer les américains quant à l’utilisation des fonds du futur Plan Marshall. Enfin pour mesurer les performances de l’entreprise France, l’INSEE est crée en 1946.

    On le voit, l’Etat prend en charge la responsabilité de l’économie non seulement pour reconstruire le pays, mais par la même occasion pour moderniser le vieux capitalisme français, l’Etat doit donc se substituer à l’initiative privée, mais le plus important c’est le rôle que vont jouer les entreprises nationales dans la modification de la mentalité du vieux capitalisme français en l’orientant vers des notions qui lui étaient jadis étrangères, comme l’investissement, la productivité, la gestion rationnelle...

  • Cependant la condition préalable à la mise en place de cette politique, c’est l’adhésion massive des forces politiques à ce projet, dans cette perspective le PCF et la CGT vont jouer un rôle précieux...

    Le parti communiste a le vent en poupe. Par ses effectifs : près de 800 000 à la fin de l’année 1946, il retrouve son audience d’avant guerre et s’installe avec satisfaction à la première place des partis politiques. Par ses modes d’actions : la lutte clandestine a reconstitué l’appareil, l’euphorie de l’automne 44 permet de mettre définitivement au point les techniques d’encadrements des masses. Son influence se déploie également à travers la mise en place d’organisations satellites, l’Union des femmes françaises par exemple ou des associations de jeunesse ou d’anciens combattants. Il peut également ajouter un argument moral à ses armes classiques : son action pendant la résistance, « le parti des fusillés » selon la formule qu’il affectionne alors peut se parer dans son patriotisme élargi par le prestige dont jouit l’armée rouge. Les hésitations du Pacte germano soviétique et la reparution de l’Humanité sous occupation allemande sont ainsi promptement évacués. C’est sur cette base morale plus que sur une base politique qu’il attire tant de français, c’est au nom des sacrifices consentis par les combattants de la résistance se réclamant de son influence (FTP, MOI...) qu’il s’érige en censeur des autres formations politiques. Il ne faut pas sous estimer ce point, le-parti-de-la-classe-ouvrière devient le porte-parole des pauvres et des purs, son moralisme valant toutes les théories. 

  • Alors lorsque Thorez est de retour de Moscou où il s’était réfugié pendant la guerre, il a les coudées franches pour appliquer les consignes données par Staline : le devoir du parti est de renforcer l’union nationale pour activer le combat contre Hitler et les nazis et ainsi soulager l’Union Soviétique. Légalisme, patriotisme, unitarisme c’est la ligne exposée par le mot d’ordre du comité central d’Ivry de janvier 1945 : « Unir, combattre, travailler ».A l’évidence il y eu des flottements dans l’application de cette stratégie, nombre de militants semblaient plutôt convaincus que la révolution était au bout du fusil, des responsables comme Guingouin dans le Limousin possèdent un réel pouvoir sur les zones qu’ils ont libérées. C’est aussi dans cet esprit qu’il faut comprendre les succès de l’extrême gauche notamment trotskyste. Le PCF fait donc le pari d’être le Grand Parti Populaire issu de la Résistance, pour être selon le mot d’ordre de Thorez « l’initiateur et le conducteur de l’effort populaire pour la reconstruction de la France » et bâtir le « un socialisme à la française » (formule promise à un bel avenir).

  • Dans ce sens la CGT va servir de pierre angulaire dans la construction de cette politique. Au bureau confédéral c’est Benoît Frachon qui mène le jeu, même après le retour de Léon Jouhaux, son élection au poste secrétaire général révèle l’efficacité du travail accompli à tous les niveaux de l’organisation. En clair les communistes sont les maîtres, le recrutement s’accentue et à la fin de 1945 le cap des 5 millions de cartes est franchi. En octobre 1946 au terme d’une série de grèves les fonctionnaires se voient enfin dotés d’un droit syndical pour tous et d’un Statut de la Fonction publique qui reprend pour l’essentiel les dispositions élaborées par la centrale syndicale. Mais en acceptant de jouer le jeu de la « bataille de la production » le syndicalisme va tourner une page de son histoire : en acceptant de devenir un partenaire social par la cogestion des organismes sociaux et entreprenariaux, la CGT concourt à la modification des règles du jeu social, à l’encadrement de la lutte de classes et à la disciplinarisation du prolétariat par la définition d’un intérêt commun entre employeurs et salariés. L’institutionnalisation du syndicalisme -dans le droit fil des ambitions de 1936-dessine un terrain neutre où l’affrontement entre capital et travail perd ses élans révolutionnaires. On peut affirmer que les staliniens ont sacrifié la CGT dans leur tactique politique. Les deux principales scissions qui auront lieu en témoignent (création de la CNT-F en mai 1946, décembre 1947 amorce de la scission CGT-FO)

La double fracture de 1947

La première fracture, celle des débuts de la guerre froide et de la marche vers la décolonisation, est plutôt accidentelle, la France subit une évolution mondiale et ne peut agir. La seconde fracture est illustrée par le renvoi des ministres communistes, voit la toute nouvelle république menacée d’une révolution sociale.

En 1946, la tension s’est accrue entre les USA et l’URSS : la possession de l’arme atomique du côté américain ne suffit pas à compenser les positions de l’Armée Rouge en Europe. Churchill lâche sont mot célèbre de « rideau de fer » à Fulton, pour tenter de rompre l’isolationnisme américain. Trumann répond par l’élaboration de sa doctrine et de la politique de « containment », le principe en est simple, les peuples soumis ou en cours de soumission en Europe de l’Est sont abandonnés à leur sort car leur libération causerait une nouvelle guerre mondiale mais tout doit être mis en oeuvre pour contenir Staline et empêcher le « monde libre » de basculer dans le giron soviétique. Dans cette stratégie la France est considérée comme une pièce de choix. En juin 1946 le plan Marshall, achètera ce que la diplomatie n’a pu obtenir. L’URSS répliquera par la création du Kominform en octobre 1947.

Le deuxième point international c’est la question de la décolonisation, la Libération du territoire français ne signifiant pas la Libération pour tous.

Pourtant le chemin semblait avoir été montré par d’autres, la Grande Bretagne (Inde et Pakistan) et les Pays Bas sont en passe de réussir. La France, elle est incapable de résoudre les contradictions de son empire et s’enlise dans la guerre en Indochine. A Madagascar, elle révèle son visage répressif, dont bien des traits réapparaîtront plus tard en Algérie. Le soulèvement des insurgés malgaches (29/30 mars 1947) pêche par excès de confiance en un soutien américain. La répression est terrible : 89 000 morts annoncés par l’Etat Major français, carte blanche laissée aux troupes d’élites et paras, amorce de guerre psychologique (tortures, corvées de bois...). En Afrique du Nord ce n’est pas mieux, massacre de Sétif en Algérie, fusillade a Tunis et blocage au Maroc. En Indochine la sale guerre s’installe.

Aux difficultés de l’extérieur vont s’ajouter les troubles intérieurs.

En janvier et février le gouvernement Blum décrète une baisse autoritaire des prix de 5%. C’est une lueur d’espoir : l’hiver est terrible, depuis décembre des usines ont fermé, faute de matières premières. Ces décrets tentent en vain d’enrayer les échecs de la politique de contrôle des augmentations des prix et des salaires : entre 1945 et 1947, les prix alimentaires triplent pendant que les salaires et les prix industriels doublent (entre 1944 et 1948, le pouvoir d’achat moyen a reculé de 30% environ.).

Après quatre années de privations sous l’occupation et de long mois d’efforts pour la reconstruction les travailleurs sont à cran et ils ne supportent plus la vie chère. Une étincelle peut enflammer la prairie. Si les premières grèves de janvier ont été rapidement circonscrites, la grève de la régie Renault est d’une nature différente. Elle est déclenchée le 25 avril par des militants trotskistes de l’Union Communiste (trotskyste) sur des revendications salariales, il y a aussi dans le comité de grève des militants du PCI, des anars et des bordiguistes. L’affaire, bien menée, est très fortement suivie par la base et oblige la CGT après avoir violemment dénoncé le mouvement à en prendre la direction, le travail reprendra trois semaines plus tard avec de substantielles augmentations. Le 1er Mai multiplie d’imposants cortèges et à Paris la foule hue le ministre du travail Daniel Mayer (SFIO). Les gaziers, les électriciens, et les cheminots menacent de cesser le travail. Le gouvernement Ramadier accorde un relèvement du salaire minimal mais développe un discours du complot en arguant d’un « chef d’orchestre clandestin ».

Certes il y a plusieurs facteurs qui expliquent le mouvement giratoire de grèves, mais la pugnacité de la CGT n’est pas feinte. Ses dirigeants communistes découvrent dans le péril gauchiste les signes d’impatience d’une classe ouvrière qu’il ne faut plus décevoir. Accompagnant cette nouvelle ligne le 4 mai, dans le vote sur la question de confiance sur la politique salariale du gouvernement aux usines Renault, tous les députés communistes, y compris les ministres, votent contre le gouvernement. Le 5 Ramadier renvoie les ministres communistes. Désormais « libres » ils encouragent les mouvements, ajoutant aux revendications des thèmes politiques, notamment contre le plan Marshall, répondant à cela aux injonctions de Moscou. Profitant de la confusion et des troubles sociaux qu’il transforme en menace communiste, de Gaulle fonde le RPF et signe la mort du tripartisme (PCF/SFIO/MRP) qui avait jusqu’alors dominé l’Assemblée Nationale.

La grande peur de l’automne 1947

Petit à petit les grèves font tache d’huile, parties du secteur public elles vont gagner la métallurgie, les banques, les grands magasins et les transports. La vague de mai juin est elle à peine désamorcée par des accords passées entre la CGT et le CNPF, qui prévoient une augmentation de 11%, qu’elles repartent en septembre chez les fonctionnaires qui exigent les mêmes avantages. Les actions naissent le plus souvent à la base, la CGT s’empressant d’encadrer quand elle le peut. Si les revendications semblent en premier lieu strictement économiques elles traduisent une profonde lassitude devant la poursuite des efforts demandés.

Mais c’est le gouvernement qui va faire monter la tension en politisant la crise sociale par l’évocation d’un complot communiste. Il est appuyé dans son propos par l’attitude du PCF. En effet depuis Moscou, Staline accélère le processus de domination sur l’Europe de l’Est et lance dans la Guerre Froide les partis communistes occidentaux.

Tenue en secret du 22 au 27 septembre, la réunion de neuf responsables de PC européen à Szlarska-Poreba, en Pologne, prépare le lancement du Kominform. Au cours ce cette réunion un violent réquisitoire est prononcé contre la politique menée par les français et les italiens qui se voient taxée de « crétinisme parlementaire ». Les effets de la remontrance ne sont font pas attendre et dès octobre les communistes passent dans l’opposition. A l’opposé De Gaulle dénonce « le parti séparatiste » et alimente la peur des rouges.

Résultat les élections législatives portent à la présidence du conseil Robert Shuman qui charge Jules Moch, ministre de l’Intérieur SFIO de rétablir l’ordre. Car la situation frise l’insurrection. Dans leur troisième temps de novembre- décembre les grèves ont pris l’allure d’affrontements politiques.

A Marseille, du 10 au 12 novembre, une grève généralisée à l’occasion d’une hausse des tarifs du tramway décidée par la municipalité dégénère en émeute, tandis que la compagnie de CRS (où les communistes sont nombreux) fraternisent avec la foule, le maire Carlini est blessé, les bâtiments public sont envahis (la mairie est saccagée) et un jeune sympathisant communiste est tué.

Le 15 novembre la grève éclate dans les Houillères du Nord après la révocation de Delfosse, secrétaire de la fédération CGT du Sous-sol, une dure bataille s’engage entre les mineurs, qui retrouvent les réflexes de la Résistance et les CRS, vite remplacés par l’armée mobilisée par Moch. Le 3 décembre le train Paris Tourcoing déraille causant 21 victimes, faisant suite à une longue série de sabotages. Le 28 novembre 20 fédérations CGT en lutte forment un « Comité central de grève » distinct de la confédération. La grève générale insurrectionnelle serait elle à l’ordre du jour ?

La République décidée à écarter le danger social décide alors de sortir les grands moyens pour organiser la riposte. Le gouvernement mobilise toutes les forces de l’ordre, rappelle les réservistes et le contingent de la classe 1943, et fait voter, après 6 jours débats ininterrompus, le 4 décembre, des mesures de « défense républicaines » qui sous le prétexte de garantir « la liberté du travail » restreignent les droits des grévistes, on le voit Sarkozy n’a rien inventé. Mais l’échec du mouvement tient plus aux dissensions entre les grévistes. Des délégations de syndicats autonomes, des groupes F.O de la CGT demandent l’arrêt de l’action et proposent des votes à bulletins secrets pour ou contre la poursuite de la grève. La direction communiste sentant le vent tourner et refusant la confrontation ultime ordonne le 10 décembre l’arrêt des grèves et la reprise générale du travail. La IVème république est sauvée. La classe ouvrière peut retourner à la production.

Conclusion

Le syndicalisme sort brisé de cet affrontement, le rôle déterminant du secteur public fortement syndicalisé, transforme le syndicat en groupe de pression et non plus en instrument de transformation sociale. En avril 1948 les groupes « Force Ouvrière » autour de Léon Jouhaux formeront la CGT-FO, ils seront largement financés et appuyés par la SFIO, les syndicats américains et même la CIA, qui voient d’un bon oeil l’anticommunisme affiché par son leader. Au même moment la Fédération de l’Education Nationale se constitue entraînée par le Syndicat national des instituteurs.

Le parti communiste suivant sa droite ligne réformiste de 1936 maintient son audience électorale, forge une nouvelle génération de militants, vérifie l’état des transmissions des directives du parti vers la classe ouvrière par le canal syndical, il ne vise plus qu’un seul but (s’il en avait déjà visé d’autres), préserver le parti et son pouvoir, peaufiner sa stratégie de la grève, sacraliser son identification à la nation et à la classe ouvrière. Arrivé à l’apogée de son existence, il amorce son long et lent déclin jusqu’à la mort clinique dans laquelle il se trouve actuellement.

Les années 1943-47 constituent donc un « moment » dans l’histoire de la lutte des classes : crise profonde du capitalisme, ébranlement de son édifice politique, évolution rapide dans les rapports de force, position favorable pour la classe ouvrière et ses organisations.

C’est le choix de restaurer le capitalisme que la social-démocratie a fait, bien entendu. Comme d’ailleurs le Parti communiste, même si ses raisons sont différentes : la politique mondiale du stalinisme visait en effet le statu quo négocié à Postdam et Yalta.

Mais, une fois ce choix fait, le système capitaliste n’était pas capable de reprendre son ancien cours : il devait s’adapter profondément, structurellement. C’est ainsi que les mécanismes de régulation et de programmation que les années 60 vont voir éclore tous azimuts sont mis en place à plusieurs niveaux. Ils vont affecter à son tour la structure même de la social-démocratie : la longue marche vers l’intégration dans l’Etat commence. On peut affirmer que la social démocratie a réalisé pleinement le programme du capitalisme pour permettre son développement. 

Bien peu tireront des enseignements de cette crise de 1947, pourtant c’est à partir de ces nouvelles données sociales, le syndicat comme outil de gestion, le parti comme instrument de canalisation des contradictions de classes qu’il faut recommencer la critique radicale du capitalisme. C’est à cette tache que s’attelleront des petits groupes comme la revue Socialisme ou Barbarie entre 1949 et 1967 par exemple, c’est ce travail qu’il faut continuer aujourd’hui.


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