Aujourd’hui je vous partage un excellent billet publié sur le blogue Internet de mon ami Me Karim Renno qui nous parlera d’un congédiement fait pour cause juste et suffisante mais qui a entraîner une condamnation en dommages moraux contre l’employeur ayant eu un comportement abusif et humiliant envers son ex employé.
Il s’agit du corollaire du droit de l’employeur de mettre fin au contrat d’emploi sans cause en donnant un préavis raisonnable. Cependant, comme le souligne l’affaire3173879 Canada inc. c. Roy (2013 QCCS 5507), même un congédiement fait pour cause juste et suffisante peut entraîner une condamnation de l’employeur lorsqu’il est fait de manière abusive ou humiliante.
Les faits de l’affaire sont assez complexes. Pour nos fins, retenons que la Demanderesse intente des procédures judiciaires contre le Défendeur alléguant que ce dernier a démissionné et qu’il lui doit donc un montant de 264 000$ en vertu d’une formule prévue dans un contrat intervenu entre les parties.
Le Défendeur pour sa part nie avoir démissionné, allègue avoir été congédié sans cause juste et suffisante et dépose une demande reconventionnelle réclamant plus de 1 000 000$ à la Demanderesse.
Saisi de cette affaire, l’Honorable juge Benoît Emery en vient à la conclusion que le Défendeur a bel et bien été congédié par la Demanderesse. Il rejette donc l’action en dommages de cette dernière. Cependant, il est d’avis que, à la lumière du comportement inacceptable du Défendeur dans le cadre de son emploi, ce congédiement a été fait pour une cause juste et suffisante. Il rejette donc également la réclamation du Défendeur pour le paiement d’un préavis, de commissions (sauf pour un montant de 8 000$) et pour dommages exemplaires.
Reste alors la réclamation en dommages moraux du Défendeur. À ce chapitre, le juge Emery souligne que l’existence d’une cause juste et suffisante pour congédier un employé n’est pas une justification pour traiter cet employé de manière abusive ou humiliante lors du congédiement. Or, en l’espèce, le juge Emery est d’avis que la façon par la Demanderesse de congédier le Défendeur était fautive de sorte que l’attribution de dommages moraux était justifiée:
[112] Par un courriel du 8 décembre 2009, Michel Jobidon convoque le défendeur chez OTL pour le vendredi 11 décembre 2009 à 11 h. Dans ce même courriel, Michel Jobidon lui demande d’apporter « notre téléphone cellulaire, le GPS incluant toutes les données géographiques des sites visités lors de l’exécution de vos fonctions et l’ordinateur portable propriété de 3173879 Canada inc. ».
[113] Étonnamment, Michel Jobidon ajoute que « nous désirons vous aviser que vous êtes toujours à l’emploi de 3173879 Canada inc. ».
[114] Le défendeur se présente aux bureaux d’OTL le vendredi matin 11 décembre 2009. Il est accueilli par Michel Jobidon accompagné d’un huissier qui lui signifie la présente action. C’est un choc pour le défendeur. Il apprend du coup qu’il est congédié mais aussi qu’OTL le poursuit en justice pour 264 000 $. Il devait quitter le lendemain pour la Floride comme il le faisait à chaque année à cette période mais il ira plutôt voir un avocat. Il dit avoir été profondément ébranlé à telle enseigne qu’il cachera à ses enfants pendant au moins deux mois son congédiement de même que l’existence de cette poursuite.
[..]
[121] En l’espèce, le tribunal estime que la demanderesse a agi de façon malicieuse et maligne en commençant par leurrer le défendeur lui laissant croire qu’il est toujours à l’emploi d’OTL. La demanderesse l’invite ensuite à une rencontre où le défendeur n’a aucune raison de croire qu’il sera reçu par un huissier qui lui signifiera une action de 264 000 $ scellant du coup son congédiement.
[122] Même si cette action n’est pas vexatoire en soi, il n’y avait aucune urgence de l’intenter. Il apparaît clairement de la preuve que le comportement du défendeur a sérieusement irrité Michel Jobidon et Jean-Claude Lavallée ce qui ne les autorisait pas pour autant à convoquer le défendeur aux seules fins de le congédier et lui signifier une action de 264 000 $. Le défendeur aura été profondément ébranlé et blessé en apprenant au même moment qu’il était congédié et poursuivi pour une importante somme. Il y avait aux yeux du tribunal une forme de châtiment dans la façon de congédier le défendeur.
[123] Ce geste a sapé l’état psychique du défendeur au point où il lui a fallu deux mois avant de pouvoir en informer sa famille. Ce n’est qu’à son retour de Floride en février 2010 qu’il a été en mesure d’en parler à ses enfants. Il est toujours difficile d’évaluer les dommages moraux mais le tribunal doit néanmoins se prononcer. Ainsi, le tribunal estime que le défendeur a droit à une somme de 20 000 $ à titre de dommages moraux pour compenser le caractère brutal et avilissant de son congédiement.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/1aTMhCs