Elle, c’est Elise. Une blonde sauvage, tatoueuse qui a fait de son corps une œuvre d’art. Face à elle Didier, loup solitaire, retapant une ferme dans la campagne belge et chanteur de musique bluegrass, passionné par les Etats-Unis. Ensemble ils vont s’aimer d’un amour intense, chanter et créer la vie. Un bonheur complet et partagé, rapidement gâché par une annonce qui changera leur vie: le cancer de leur fille, Maybelle.
Felix Van Groeningen (réalisateur de La Merditude des Choses) signe avec Alabama Monroe un drame bouleversant d’intensité et de sensibilité. Label Cinéma Europa du meilleur film au festival européen de Berlin et Grand Prix du Public Panorama à la Berlinale (entre autre), il a été vivement félicité. Pour sa 11e semaine au cinéma, je me suis enfin laissée tenter. Et sans aucun regret, ce film étant d’une beauté rare au cinéma, d’une pureté sans pareil. Plus qu’une critique, c’est un message d’amour que je vous livre aujourd’hui.
De l’art de la mise en scène
Passé les 16 ans et les quelques larmes lâchées devant The Notebook (je ne suis qu’une fille parmi les autres), je n’ai plus été du genre lacrymal au cinéma. Du moins jusqu’à hier et un quasi-entier paquet de mouchoir. S’il est bien connu qu’un film qui fait pleurer est rarement un bon film (je pense à La Rafle par exemple), Alabama Monroe a ce pouvoir de crever le cœur et de brouiller les yeux, sans jamais tomber dans le pathos trop commun à ces drames familiaux. Car il faut le dire, vu de loin, le scénario n’éblouit pas par son originalité : une histoire d’amour entre un homme et une femme ponctuée par la naissance d’un enfant et, malheur de la vie, une maladie qui l’emporte. Lourde tâche de se reconstruire malgré la souffrance.
Mais Felix Van Groeningen est un poète. Il déstructure la réalité, mélangeant le passé et le présent, le bonheur et la souffrance. D’une scène à l’autre on change d’époque et d’ambiance. Des couleurs vives on passe au blanc, au gris. Le rouge reste constant, de ce sublime plan de déclaration d’amour sous la couette à l’étrangeté de l’une des scènes finales, en passant par la lumière d’un bar-concert. Couleur de l’amour, de la passion et du sang, elle opère comme symbole maître de ce qui fait la vie du couple. De notre place de spectateur, on est embarqué sans possibilité de retour dans l’histoire de ces deux êtres qui se sont trouvés, pour le meilleur et pour le pire. Embarqués sans savoir où nous allons, prit par ce rythme qui laisse toute la place au questionnement, à la recherche de sens.
Un regard sur la vie
Cette recherche de sens, ce sont les deux personnages principaux qui s’y retrouvent le plus confrontés. Sens de la vie et de la mort d’une part (métaphore du petit oiseau, sans cesse renouvelée), mais aussi et surtout sens de la religion dans la pratique du deuil. Les croyances du couple sont constamment mises à mal. Car si l’une porte l’espoir d’une vie après la mort, l’autre se refuse à y croire. Le film saisit ici la chance de traiter de sujets lourds de sens: révolte de l’homme vis à vis de sa propre mort et de celle de l’être cher, regard sur l’au-delà, éducation religieuse et positionnement politique face aux recherches médicales sur les souches embryonnaires. Le réalisateur se place en partenaire du progrès, subtilement caché derrière la souffrance de Didier, remarquablement bien joué par Johan Heldenbergh.
Remarquable. Fabuleux. Fantastique. Les mots manquent pour qualifier la qualité du jeu d’acteur. Dans le rôle d’Elise, Veerle Baetens fait renaître une féminité sauvage, entre le bohème et le rétro. Elle respire la liberté. Liberté de son corps, magnifiquement tatouée (ça donne des idées), liberté de penser (l’espoir d’avoir un contact malgré tout), liberté de partir aussi. Si le film joue sans ambiguïté sur les sentiments de ses personnages, il laisse le champ libre à ses acteurs qui ne cessent de nous surprendre. Si bien qu’on finit par croire à leur amour au delà de la fiction.
« Bill Monroe, le fondateur du bluegrass »
Le Bluegrass, c’est cette musique bien américaine qui tient ses racines de la country, qu’on a vu débarquer dans les années 1940 aux Etats-Unis. Pourquoi le bluegrass? « Parce qu’il y a un banjo, une mandoline, une guitare, et un violon« , nous apprend Didier. Car Didier aime ça le bluegrass. Il l’aime tellement qu’il l’apprend à sa belle. Elle l’aimera tellement qu’elle intégrera le groupe. Et maintenant, je l’aime moi aussi.
Malgré son éloignement progressif de la culture américaine et ses nombreuses désillusions, le bluegrass garde honneur aux yeux du musicien. Car Alabama Monroe c’est l’histoire d’amour entre un homme, une femme et la musique où chaque chanson est interprétée par les acteurs. On les écoute attentivement chanter leurs peines et leurs joies, on finit par croire que la musique elle-même est un personnage à part entière. Plus qu’une bande-son, elle structure leur histoire et sublime leur amour.
C’est une oeuvre profondément triste, qui révolte aussi facilement qu’elle attendrit. Mais elle m’a donné envie d’aimer et de vivre pleinement malgré tout. Alors pour ça, merci.