Si je vous dis House... j'imagine que vous ferez le lien avec le fameux toubib, héros de la série phare de la Fox. Ce n'est pas que je sois une fan de cette série télévisée mais quand j'ai su que Martin Winckler en avait disséqué les 177 épisodes je n'ai eu que deux envies : visionner toutes les saisons que j'avais en retard et lire son analyse, Dr House, l'esprit du shaman.
Martin Winckler avait 3 bonnes raisons de s'atteler à l'analyse de House. Il adore les séries télévisées, il est médecin, et surtout il est passionné d'éthique.
Quant à moi j'aime l'oeil et la plume de Martin Winckler dont j'ai chroniqué plusieurs ouvrages, je connais l'univers médical et j'ai subi une tendinite calcifiante. Ne croyez pas que j'ai cherché à élucider le mystère de son apparition. Personne ne sait pas le pourquoi du comment de cette affection. J'avais simplement besoin d'un dérivatif pour supporter de rester des heures sur le canapé avec une poche de glace sur l'épaule.
J'ai donc visionné les épisodes que je n'avais pas suivi au moment de leur diffusion sur le petit écran. Et j'ai lu le livre, passant parfois de l'un à l'autre. J'ai compris beaucoup de choses dans la façon qu'ont les médecins de considérer certaines situations, et j'applique depuis, non sans humour, la méthode du diagnostic différentiel à toutes sortes de situations.
Il ne s'agit pas d'aimer ou de ne pas aimer la série, ni même le personnage. Le recours quasi systématique à l'imagerie médicale, les effets spéciaux, l'absence d'anesthésie locale, l'abondance de fleurs dans les chambres (peu hygiénique) ... tout cela n'est guère réaliste et peut déranger. D'ailleurs l'hôpital est un décor de cinéma et tous les "patients" sont des personnages fictifs, faut-il le souligner ?Santé mentale et folie sont des thèmes récurrents. L'enjeu est de comprendre comment fonctionne le cerveau humain, celui des médecins, celui des patients, et donc aussi le nôtre. Et de réfléchir sur des questions d'ordre éthique que l'on met en général de côté. Jusque là j'associais ce terme à "la non-assistance à personne en danger". Mais, et ce n'est qu'un exemple, quand ladite personne refuse les soins ... on se trouve dans un contexte que la déontologie occulte lâchement. Pour y avoir été confrontée l'été dernier je peux vous dire que rien n'est simple. Après cela on regarde autrement les séquences où l'on voit House soutenir le point de vue du patient chaque fois que celui-ci choisit en connaissance de cause, ce qui suppose au préalable de connaitre toute la vérité.
De la même façon mon point de vue sur l'emploi des analgésiques a évolué... après cette lecture et ... ces deux mois de tendinite calcifiante qui furent un vrai calvaire, jour et nuit. Je ne savais pas que ce type de douleur pouvait altérer la capacité à penser.
Martin Winckler a raison de le souligner : House est une série atypique, et Gregory House également. C'est un éternel patient, victime de médecins moins intelligents que lui, et qui met toujours tout en oeuvre pour éviter de reproduire ce qui lui est arrivé. Il le montre écorché vif, en pointant ses systèmes de défense, et en prouvant qu'il choisit toujours ce qui lui semble juste, même si c'est à ses propres dépends, ce qui au final nous le rend sympathique.
L'auteur fonde son analyse sur la version originale et alerte le lecteur sur les incohérences de certaines traductions qui ternissent les bijoux d'écriture que sont les dialogues. Dont acte. A commencer par les titres. Ainsi le dernier épisode, Everybody dies renvoie au premier Everybody lies.
Tout le monde ment. On verra que la vérité peut commencer dans un mensonge... que les souvenirs peuvent être erronés, que le mensonge n'est pas un problème de mauvaise foi. Son livre nous donne les clés de la psychologie intuitive, l'épreuve thérapeutique, la médecine empirique, rappelle que le placebo n'est pas un non-medicament (p.43), et que les interactions médicamenteuses peuvent causer des complications. Le tout dans un pays anglosaxon où les règles sont différentes, avec notamment l'obligation de recueillir le consentement signé avant telle ou telle intervention et la crainte constante d'une action en justice.
Martin Winckler n'analyse pas que l'angle médical. Il a repéré beaucoup d'analogies avec le film Casablanca de Michael Curtiz tourné en 1942 (p. 60 et svtes) et bien entendu avec Sherlock Holmes en comparant celui ci à House et John Watson à son grand ami Wilson. L'analyse ne prétend pas pour autant être exhaustive. Elle n'en est pas moins tout à fait passionnante.
Dr House, l'esprit du Shaman, de Martin Winckler, Editions Boréales, octobre 2013
ISBN-13 : 9782764622018
Martin Winckler a aussi écrit En souvenir d'André, chez P.O.L. en 2012
Et le Choeur des femmes en 2009