J’enfile mes chaussettes, le pied droit d’abord, toujours, tandis que j’entends le bruit des cintres qui glissent rageusement sur leur tringle de l’autre côté de la cloison. J’ai quelques minutes d’avance sur elle, qui connaît à son tour les affres du "j’ai rien à me mettre".
Douze ans et demi, et plus que jamais je marche sur un fil d’équilibriste. Qu’ai-je envie de lui transmettre, à elle et à ses soeurs, plus tard, outre d’éviter le camel-toe et le maquillage pupute, de prendre soin de ses cheveux de lionne et de sa peau, de dormir suffisamment et de ne pas manger n’importe quoi et puis de ranger sa chambre, bordel?
Elle sait qu’elle a le monde au bout des doigts, à condition de le vouloir. Que rien ne vient sans y mettre l’énergie nécessaire, et que jamais être une fille ne devra l’empêcher de vivre ses rêves. Le collège n’est-il pas le temps où l’on peut encore imaginer une vie non dictée par les contraintes matérielles?
Je lui ai dit de ne pas parler aux inconnus et de passer son permis, de toujours être en état de savoir dire non -même aux amis- et de passer son bac, de ne jamais se résigner ni d’accepter l’inacceptable, de refuser l’injustice, de toujours être indépendante dans sa tête et dans son compte en banque. Je lui apprends le respect d’elle-même, prérequis au respect des autres. L’humanité. La tolérance. L’indulgence.
Je bouscule ses certitudes d’enfant, aiguise son sens critique et sa curiosité, explique, reprends, remplis sa tête bien faite. Encourage la remise en question de mes positions et l’élaboration de théories propres - ce qui ne se passe pas toujours rien qu’en s’envoyant des fleurs et des paillettes.
J’en fais des tonnes? Sûrement. Certainement pas assez. Mais toujours dans l’espoir qu’il en reste quelque chose. Je lui prépare son trousseau intellectuel, sa dot avant de la marier à l’autonomie. Et puis je lui lâcherai la main (et la grappe). Il ne me reste que peu de temps pour que tout cela prenne racine. Il est bien loin le temps où lui préparer des petits pots maison bio m’assurait la pensée confortable d’être une bonne mère.