Une situation contrastée
Lorsqu’on évoque les langues minorisées, notamment celtiques, on a tendance en Bretagne à considérer l’Irlande comme un contre-exemple.
Or la situation est beaucoup plus contrastée que certains ne le pensent. Il est vrai que jusqu’au milieu du XIXème siècle, plus précisément jusqu’aux grandes famines de 1847-1852, une part importante des habitants de l’île parlaient irlandais et qu’en 1922, il ne restait qu’un peu moins de 15% d’irlandophones ; la politique linguistique menée par les gouvernements irlandais successifs durant le XXème siècle a eu des résultats très contrastés en réussissant d’un côté à maintenir le gaélique comme langue de communication usuelle dans un certain nombre de régions dénommées Gaeltacht ou bien, plus récemment, en créant une chaîne publique de télévision en gaélique, TG4, mais en échouant d’un autre côté à refaire de l’irlandais la langue dominante notamment du fait d’un enseignement de l’irlandais dans les écoles considéré par la plupart des observateurs comme désuet et contre-productif.
Le dernier recensement de 2011 donne quelques chiffres sur la situation du gaélique irlandais : pour en rester à la République d’Irlande (les 26 comtés du sud, les 6 autres comtés formant l’Irlande du Nord), le dernier recensement donne un peu plus de 4,7 millions d’habitants. Sur lesquels on trouve autour de 50 000 irlandophones de naissance, principalement dans les Gaeltacht, 95 000 déclarant utiliser quotidiennement le gaélique et 1,3 million l’utilisant occasionnellement (en dehors des écoles). Auxquels il faut rajouter les quelques milliers d’irlandophones d’Irlande du Nord. Ces chiffres sont en légère progression par rapport au recensement de 2001.
Le gaélique irlandais est une matière obligatoire dans le système d’enseignement en République d’Irlande mais dans le cadre d’un enseignement donné majoritairement en anglais : ce système est considéré comme étant largement insuffisant d’un point de vue linguistique. Depuis les années 60 existe un réseau d’écoles utilisant le gaélique comme langue d’enseignement selon le principe de l’immersion, les Gaelscoileanna, (comparables à nos écoles Diwan), soit actuellement 298 écoles primaires, et 72 collèges (y compris en Irlande du Nord) pour un total de 37800 élèves plus 4000 en maternelles. Auxquels il faut rajouter autour de 9600 lycéens.
L’exemple du Colaiste Lurgan
Parallèlement à ce système d’enseignement se sont développés depuis une cinquantaine d’années des Colaiste (collèges) principalement dans les Gaeltacht proposant des stages intensifs pour les adolescents et jeunes adultes (entre 14 et 19 ans) durant l’été. Ces dizaines de collèges d’été accueillent à peu près 18 000 stagiaires chaque été. Le but des ces collèges d’été est de renforcer la connaissance et la pratique de l’irlandais parmi les jeunes générations et dans un cadre extra-scolaire.
L’un de ces collèges, le Colaiste Lurgan, connaît depuis cet été un succès médiatique particulièrement remarqué. Micheal O Foighill en est le directeur depuis 1993.
Situé près d’An Spideal dans le comté de Galway, Colaiste Lurgan accueille durant 8 semaines d’été près de 1800 ados entre 14 et 17 ans. « C’est le maximum que nous puissions accueillir et cela mobilise près de 150 encadrants dont une trentaine de professeurs ». Micheal de préciser qu’ « il s’agit de proposer des séjours basés sur les loisirs, le sport, la musique, la détente, le côté éducatif se limitant à deux heures de cours chaque matin. L’irlandais est la seule langue parlée et les stagiaires s’aident mutuellement. Par ailleurs, les étudiants sont logés dans des familles irlandophones de la région ». Le directeur critique explicitement le système d’enseignement irlandais « qui ne donne pas envie aux jeunes de parler en irlandais et reste figé dans une pédagogie inadaptée. Nous souhaitons à Lurgan au contraire faire du gaélique une langue dynamique, jeune, « in », positive ».
Depuis quelques années, Micheal O Foighill a misé notamment sur les nouvelles technologies pour faire travailler ensemble ses groupes de stagiaires ( 500 ados par session…) et le résultat a quasiment « explosé » médiatiquement cet été : émissions à la TV irlandaise, interviews dans des journaux irlandais, canadiens, néo-zélandais, etc…. et succès majeur du clip tourné cette année et mis en ligne sur YouTube où Colaiste Lurgan a sa propre « chaîne » TG Lurgan, clip vu par plus de 2,5 millions d’internautes.
Le secret ? Un travail en commun des 500 ados avec quelques musiciens et techniciens de l’audiovisuel de la région d’An Spideal sur les hits actuels de la musique mondiale avec la reprise en irlandais de tubes comme Blurred Lines, Hall of Fame, Can’t hold us ou encore Wake me up. C’est ce Wake me up créé par le DJ suédois Avicii et mis à la mode irlandaise par les 500 ados de Lurgan qui a mis le feu aux poudres médiatiques recueillant en quelques semaines plus d’un million et demi de visionnages au point qu’Avicii les félicita en twittant que la version irlandaise était meilleure que l’originale……
Pour Micheal, le but recherché est atteint au-delà de toutes ses espérances, remettre l’irlandais dans la modernité, redonner le goût de l’irlandais aux jeunes générations, bref comme disait le journaliste de RTE « faire entrer le gaélique dans le 21e siècle ». Et en riant d’indiquer que TG Lurgan vient de mettre en ligne un clip reprenant Can’t hold us de l'Irlando-américain Macklemore et qui est une critique directe du système d’enseignement irlandais. Comme le titrait récemment le grand quotidien dublinois The Irish Times , YouTube est désormais un outil majeur de promotion de l’irlandais.
Au fait, à quand ce genre d’initiative pour nos ados ?
La joie, le plaisir, bref le « pied » que prennent tous ces jeunes est évident et enthousiasmant. Avec entrain, ils secouent tous les cocotiers poussiéreux du gaélique version XXè siècle. Alors, l’Irlande un contre-exemple ? Certes non et la Bretagne ferait bien de s’inspirer de ce dynamisme permanent et de cette appropriation des grands courants culturels mondiaux.
Au fait, à quand ce genre d’initiative pour nos ados ?
Jacques-Yves Le Touze
Colaiste Lurgan
TG Lurgan
Article paru dans Le Peuple Breton, novembre 2013.