Interview de Yuri Van Geest, co-fondateur de Quantified Self Europe et ambassadeur pour les Pays-Bas de la Singularity University. Rencontre en amont de son intervention "Sensors & Tracking: Quantifying the Self & Listening to Your Body" pour l’événement Health 2.0 Europe, qui se tiendra à Londres du 17 au 19 novembre.
On voit apparaître de plus en plus d’objets connectés dans le domaine du fitness ou du bien-être. Quelle est, selon vous, la suite logique pour ce marché ?
Ceux-ci vont être de plus en plus intégrés. On va voir émerger beaucoup plus d’objets connectés présents directement dans le corps des individus, et ce, dans un but de prévention des maladies. Par exemple, pour anticiper les crises cardiaques. Apparaîtront également des mesures plus poussées sur mobile, aussi bien pour le bien-être que pour la santé. Notamment, il sera tout aussi bien possible d’analyser son environnement, son alimentation, les vitamines ou les toxines présentes dans la nourriture, que ce qu’il y a directement à l’intérieur du corps, comme l’ADN, le glucose, les bactéries présentes dans la bouche, le nez, la peau…
Le secteur de la santé (les hôpitaux, l’industrie pharmaceutique, les assurances…) saura-t-il tirer parti de ce marché ?
Cela me semble compliqué car ce marché est particulièrement compétitif. Mais plutôt que concurrent, j’ai l’impression que le rôle du secteur médical dans les années à venir sera complémentaire. Mais pour cela, les acteurs devront réinventer leur business model. C’est, par ailleurs, une nécessité pour les hôpitaux, du point de vue de la médecine préventive, qui pourront permettre une centralisation de ces technologies. Mais encore faut-il que l’on permette aux hôpitaux de se positionner ainsi. Et cela devra nécessairement passer par les assurances. Toutefois, le principal obstacle à prendre en compte pour le secteur sera l’expérience utilisateur. On va devoir fournir de meilleures données, plus précises. Un changement est également vital du point de vue légal, et plus particulièrement dans le domaine de la sécurité. Par exemple, il est important que l’on bannisse préalablement les discriminations en fonction de données personnelles par les compagnies d’assurance. Mais pour dépasser ces obstacles, l’important n’est pas tant de changer de business model mais de passer à un “research model”.
Vous parlez de changement de business model: quelles tendances devraient en émerger ?
De plus en plus de systèmes de locations et d’abonnements vont se développer, ce qui serait plus logique et représenterait un meilleur investissement. Les médecins les fourniront à leurs patients et ceux-ci paieront pour le service. Potentiellement, cela devrait permettre de baisser les coûts des systèmes de santé car chacun aura à y gagner. Je pense qu’également, on devrait voir beaucoup plus de partenariats entre acteurs publics et acteurs privés. C’est le seul moyen pour que cela fonctionne. Cela sera lent mais les différents acteurs du secteur de la santé ne pourront ignorer longtemps l’explosion des objets connectés. Nécessairement, ils les adopteront. Enfin, les entreprises auront à passer d’un égo-système à un véritable éco-système et rendre les données des patients plus transparentes, plus “open”.
Quelles seront les organisations qui pourront en tirer le plus parti ?
Les hôpitaux sont celles qui ont le plus besoin de telles technologies. Ils sont encore trop grands, trop encombrés. A mon sens, de nouvelles formes d'établissements hospitaliers basés presque uniquement sur ces technologies émergeront. En revanche, il faudra pour cela briser les traditions et mettre en place un profond changement organisationnel. Mais je suis certain que cela entraînera de grands profits car la prévention de la maladie fera partie intégrante de ces organisations, avec l’aide des assurances. Toutefois, à nouveau, ce tournant prendra du temps. Peut-être même 20 ans! Un peu comme l’évolution d’internet.
Mais cela entraînera plus de prévention, de participation, d’égalité et de personnalisation, et donc plus d’efficacité et un rapport entre les professions et les patients plus humain. Il y a encore beaucoup de place pour des améliorations. Les techniques sont encore trop génériques, trop dépassées. Les données pourraient endiguer les
effets secondaires et trop d’erreurs médicales.