Titre original : The Counselor
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Ridley Scott
Distribution : Michael Fassbender, Javier Bardem, Penélope Cruz, Cameron Diaz, Brad Pitt, Rosie Perez, Toby Kebbell, Bruno Ganz, Edgar Ramírez, Richard Cabral, Rubén Blades, Dean Norris, Goran Visnjic, Natalie Dormer…
Genre : Thriller/Drame
Date de sortie : 13 novembre 2013
Le Pitch :
Un avocat d’affaire cupide désirant arrondir ses fins de mois de manière conséquente, décide de mettre le doigt dans l’engrenage du trafic de drogue en s’associant avec un truand extravagant. Très vite néanmoins, il devra assumer les conséquences de ses actes et faire face à la violence d’un monde pour lequel il n’est pas fait…
La Critique :
Ce n’est pas la première fois que Ridley Scott fait le grand écart, en passant brutalement d’un style à un autre. Rien d’étonnant donc à le retrouver aux commandes d’un thriller atypique à 25 millions de dollars, après la grosse machine de science-fiction Prometheus, qui était, pour rappel, dotée d’un budget de 150 millions. Entre les deux, rien à voir à tous les niveaux, si ce n’est la présence de Michael Fassbender, de retour en tête d’affiche.
Scott aime varier les plaisirs et demeure un petit malin. À 76 ans, il semble animé d’un esprit de sale gosse qui aurait décidé que quoi qu’il arrive, il ferait ce qui lui plairait sans trop se soucier du qu’en-dira-t-on. Même si cette faculté à jongler d’un genre à l’autre ne lui permet pas toujours de livrer des chef-d’œuvres, elle lui confère au moins une sympathie non négligeable, ainsi qu’un caractère imprévisible primordial car rare dans le paysage formaté hollywoodien.
Cartel attirait l’attention avant même qu’une seule bande-annonce ne soit dévoilée. Il y avait ce casting bien sûr, impressionnant et dégueulant de classe, mais c’était surtout la présence au scénario du lauréat du prix Pulitzer, Cormac McCarthy qui accrochait le plus. Et là, on parle quand même de l’un des plus brillants écrivains américains en activité. Un artiste entier, sans concession, déjà plusieurs fois adapté au cinéma (No Country for Old Men, des frères Coen, La Route, de John Hillcoat ou encore De si jolis chevaux, de Billy Bob Thorton), qui se lance pour la première fois dans l’exercice périlleux de l’écriture de scénario original. Un monument qui se taille en toute logique la part du lion, d’autant plus que pour le coup, Ridley Scott semble s’effacer. Volontairement ou pas, c’est la question, mais le résultat est bien là. Cartel est davantage le film de McCarthy que celui de Scott, même si ce dernier a bien évident emballé le tout d’une belle patine sans âge. Une mise en scène en forme d’écrin parfait pour un script suffisamment personnel pour faire du long-métrage un objet sujet à controverse. Certains aimeront et d’autres non. C’est un peu toujours le cas, mais l’important reste dans la surprise que suscite la chose. À chacun de la trouver à son goût ou pas.
Parlons premièrement des défauts. Un peu lent, car jouant sur une rythmique en dent de scie qui peine à capitaliser sur les hausses de tension du récit, Cartel est aussi un poil trop nébuleux. Du genre : qui fait quoi ? Qui est du côté de qui pour faire quoi et comment ? Un peu à l’image de ses acteurs connus (Dean Norris, Edgar Ramírez, John Leguizamo…) qui font limite de la figuration.
Au bout du voyage, en se triturant un peu les méninges, on parvient certes à saisir les tenants et les aboutissants, mais l’histoire prend beaucoup de détours et le découpage n’aide pas, en mettant bout à bout des scènes qui parfois ne semblent avoir grand chose à voir les unes avec les autres. Bref, pas simple de tout piger alors qu’au bout du compte, c’est assez simple. Forcement, l’efficacité en prend un coup dans l’aile.
Pourtant, là n’est pas le principal défaut du film. Le principal défaut de Cartel est que dès le début, il donne l’impression au spectateur d’être arrivé à la bourre et d’avoir loupé un bon quart d’heure. On ne sait pas vraiment comment cet avocat avide et ce truand fantasque se sont rencontrés, ni pourquoi certaines personnages font ce qu’ils font. C’est gênant car ça amoche dans l’œuf le potentiel percutant de l’ensemble. Gênant mais pas fatal.
Et si Cartel s’en sort au final avec les honneurs, c’est ironiquement -et principalement- grâce à celui qui a depuis les débuts emmêlé les fils narratifs pour nous perdre dans les méandres de ses pensées tordues et perverses, à savoir Cormac McCarthy.
Sa verve est unique et si Cartel est bavard, ce n’est pas pour parler dans le vent. Personne ne réinterprète ses mots comme lors des précédentes adaptations de ses bouquins. Ici, il est seul et il en profite à fond. Même quand les personnages se lancent dans des anecdotes dont on a du mal à saisir en quoi elles concernent l’histoire, les répliques font mouche. Redoutable, car à la fois tragique, palpitante et drôle, la plume de McCarthy fait plaisir et se prête à merveille au format cinéma. Surtout quand les répliques en question sont récitées par des acteurs aussi talentueux que ceux qui défilent devant la caméra de Ridley Scott. Dominée par un Michael Fassbender impérial et délicieusement détestable puis pathétique dans sa détresse quasi auto-infligée, la distribution est parfaite. Brad Pitt, discret, profite d’un texte au poil, pour incarner ironiquement l’aspect profondément nihiliste du film, Javier Bardem s’amuse à exploser les limites imposées par le rôle du grand caïd surpuissant et Cameron Diaz sort tout son attirail de femme fatale aux idées aussi longues que ses jambes. Penélope Cruz enfin, est merveilleuse, pour la simple et bonne raison qu’elle incarne à elle seule l’innocence sacrifiée sur l’autel de l’appât du gain. Celle qui a tout à perdre à se mouiller dans les combines de son boyfriend crapuleux aux dents blanches et aux costards taillés sur mesure. Étonnante de fragilité et toute en émotion, l’actrice espagnole profite de la moindre minute de présence à l’écran pour nous sortir le grand jeu. Et ça marche, car à chaque fois, elle brille de mille feux.
Investis, les comédiens n’hésitent pas de plus à jouer à fond sur le registre profondément sulfureux du film, qui annonce dès la première scène la tonalité de l’ensemble.
Pour toutes ces raisons, Cartel a ce petit quelque chose qui fait de lui un authentique moment de cinéma. On a connu Ridley Scott plus impressionnant certes, mais sa capacité à se mettre au service d’un scénario qui n’appelait pas l’esbroufe, prouve son talent. Avisé, il met en image la violence sourde d’un thriller en forme de tableau d’une humanité gangrenée. En résulte une œuvre profondément intègre, à contre-courant car personnelle, comme on en voit peu. Suffisamment en tout cas pour encourager l’indulgence quant à ses défauts.
@ Gilles Rolland