Dossier Eco-système du design d’objet : Entretien POLIT

Par Vincent Espritdesign @espritdesign

Suite à la présentation de sa réflexion et démarche, Martin N poursuit son exploration de l’écot-système du design d’objet en allant à la rencontre de POLIT, maison d’édition française.

Rencontre avec Geoffroy Berthet, créateur de la jeune maison POLIT.

- Bonjour Geoffroy, comment t’est venue l’idée de te lancer dans le design, est-ce un attrait pour le design ou l’entrepreneuriat ?

Les deux. Je travaillais depuis 5 ans dans la publicité, mais il était difficile de développer ses idées, ses concepts. J’avais fait une école de commerce conclu par un Master en création d’entreprise, et je m’étais renseigné sur les études de designers, mais les 5 années d’études m’avait refroidit.

Arrivé à 30 ans, j’étais donc un peu frustré. Ayant toujours été amateur de  design, un beau jour je me suis lancé.

- Pourquoi une maison d’édition ?

C’était le moyen de développer une autre communication, ancrée dans le réel et le tangible, et qui ne se démode pas en cinq mois. Le contraire de la publicité. La pub se démode trop rapidement. Le design, lui,  ne se démode pas s’il est inscrit dans une ligne éditoriale. Les tendances évoluent, mais il existe presque toujours une période de « revival », tout est cyclique.

Le design vieillit bien, une chaise de Saarinen restera une chaise de Saarinen. Elle est devenue intemporelle. Ce sont des pièces iconiques, mais seul le temps le fera savoir.

- Peut-on tirer des enseignements de ces icônes du design ?

Ces icônes ont une ligne et une histoire. Le LC2, en plus de son dessin aisément reconnaissable, utilise une structure qui passe de l’intérieur vers l’extérieur. Une nouveauté.

Il faut s’interroger sur ce qui va rester de la production de ces quinze dernières années. Un exercice difficile mais riche en enseignement. La  lampe Bourgie, de kartell, restera. Elle aura une période de creux, mais reviendra.

- Quelle influence ces constats ont-ils sur ton travail ?

Mon objectif est d’être un éditeur encré  dans notre décennie, et de produire des lignes intemporelles.

Depuis peu, l’accès au design est plus facile, les amateurs sont plus cultivés. Le poids de la marque d’un éditeur est de plus en plus important, parfois plus que le nom du designer. C’est le cas de Kartell, mais ils ont 60 ans… Il en est de même pour Knoll. L’éditeur est une marque.

D’autres ne connaissent que le distributeur : « C’est une chaise de chez RBC… ». C’est une entrée à ne pas négliger. C’est par là que passe l’éducation au beau.

- Comment t’es tu lancé ?

Deux choix s’offraient à moi. J’achetais un appartement à Paris, ou je me lançais dans un projet avec toutes mes économies. Ce que j’ai fait.

Je touchais le chômage, et j’ai emprunté de l’argent à ma famille et mes amis. Mais pas trop afin qu’ils restent mes amis !

Je travaille très Low-cost. Je vis comme un entrepreneur, Je travaille chez moi et n’ai pas de show-room.  Nos  ventes sont aujourd’hui confidentielles, ce qui est normal puisque nous n’avons pas de réseau.

- Il y a deux mois se tenait le salon Maison & Objet où vous exposiez pour la première fois. En quoi consiste aujourd’hui le quotidien de ta vie d’entrepreneur ?

Après la présentation de nos gammes, il s’agit maintenant de faire du référencement. Il nous est nécessaire d’aller suffisamment vite pour nous développer et assurer une trésorerie, et suffisamment lentement pour sélectionner au mieux nos distributeurs.

Être référencé au Bon Marché est très symbolique, il s’agit d’une forme de reconnaissance. Cela sert tout le monde, l’institution qu’est Le Bon Marché,  autant que les marques.

- Dans notre article d’introduction, nous évoquions un aspect du design d’objet, l’ancrage dans une réalité économique.

C’est un métier capitalistique. L’accueil est bon, mais ce n’est que le début et cela ne garantie rien. La réussite commerciale est autre chose. POLIT a besoin d’un chiffre d’affaire récurrent.

Le projet de bureau a demandé plus de 2 ans, parce que nous étions novices. Être jeune nous coute cher, il est nécessaire de ne pas se rater.

- Existe-t-il un décalage entre  une présence web et une réussite commerciale?

Oui, car si l’étape de la médiatisation peut sembler facile, beaucoup imagine mal ce qu’est le travail d’éditeur. Il y a de nombreuses étapes à ne pas griller.

Un prototype peut avoir de la presse, alors que l’on n’a pas vérifié son passage en série. Rendre un objet commercialisable, c’est le cœur de l’édition. Mais les médias ont besoin de nouveautés et ne se préoccupent pas toujours du fond. La réalité est ainsi souvent faussée.

- Maison & Objet, en septembre 2013, était votre premier salon. Quelles sont les retours ?

Pour un premier salon, la qualité était primordiale car on nous attendait de pied ferme. La nouveauté est scrutée, analysée. Mieux vaut peu de pièces mais très aboutis. Nous avons avant tout besoin que l’on retienne nos produits.

A M&O, POLIT présentait trois objets. C’est un gros challenge que de garder une ligne en travaillant des archétypes de produits.

La question de l’enfilade est une prise de risque. C’est un meuble cher,  elle peut plaire et ne pas trouver d’acquéreur. Il en est de même du bureau et de son usage contemporain, puisqu’il est légitime de se poser la question de l’utilité contemporaine d’un bureau. 7bis répettita est conçu comme un secrétaire, un bureau fonctionnel. Notre bureau est un petit plan de travail intelligent, dont nous avons tous besoin.

Bureau 7bis répettita POLIT

- Est-il nécessaire de produire aussi des objets plus « rentable » et abordable ?

Dans le futur, il nous faudra proposer l’archétype du produit à 100€ que l’on peut acheter sans réfléchir. Mais avant cela, Il s’agit de définir l’esprit d’une marque, l’image de POLIT.

C’est dangereux de lancer trop de produits à la fois. Certains projets sont alors mieux que d’autres, certains pourraient être noyés.

- Quelle est ta manière d’aborder les choses, de travailler ?

Mon travail,  c’est de trouver des émergences, pas des noms, c’est ma ligne éditoriale.

Concernant le développement des projets, il y a un gros travail entre le concept et l’objet fini. Les projets commercialisés n’ont parfois plus grand-chose à voir avec les concepts initiaux. Ces choses là prennent du temps.

Les ruches étaient au départ un projet d’école. Elle n’avait pas été conçue dans un but commercial. Mon travail a été de la faire évoluer en une gamme commercialisable. Nous avons réduit la quantité de matière première, et développé la praticité pour une optimisation du projet et une réduction des couts.

Guéridons Ruches par POLIT

- Les écoles de design forment-elles à une réalité économique et constructive?

Mes designers ont envie que leurs projets aboutissent. Ils n’ont donc pas de soucis avec une évolution de leurs concepts initiaux. Ils sont « maniables ». Je reçois des Books d’étudiants, certains sont très « laboratoires » d’autres plus pragmatiques.

Leurs études permettent de sentir si les designers racontent des histoires et s’ils ont des concepts intéressants. Le cheminement d’un designer est parfois très lisible dans un book !

Je pourrais aussi éditer des autodidactes, mais leurs projets sont parfois caricaturaux. D’autre part, cela n’est pas évident vis-à-vis des autres designers, qui ont eux fait une école… Aujourd’hui, cela m’aide, qu’Avril sorte de l’ESAD Reims et que Cyril sorte de l’école Cammondo.

- Pourrais-tu nous raconter ton quotidien d’éditeur ?

Aujourd’hui, le commercial occupe le plus clair de mon temps, même si je n’ai pas de journée type. Il s’agit de mettre en place le réseau de distribution qui me procurera un chiffre d’affaire récurent et me permettra de financer les projets que POLIT a aujourd’hui dans les cartons.

Cela représente beaucoup de travail. De la logistique, beaucoup de mails, une revue de presse quotidienne, et de la prospection.

Nous plaçons nos produits en magasin pour qu’il soit vu avant d’être acheté. Nous construisons notre image. Dans un souci de cohérence, nous voulons que nos boutiques physiques soit la continuité de notre site internet.

- POLIT est donc un univers, initié par votre site internet ?

Oui, c’est surement lié à mon expérience dans la publicité. Et ça marche. Cela a  permit d’avoir de la presse à l’autre bout du monde.

Le site est un média construit en termes de contenu. Un visiteur doit déambuler sur notre site. Il y a les prix, ce qui est rarement le cas chez nos concurrents,  toutes les infos techniques,  et un e-shop dès le lancement.

Il est conçu avec une volonté de clarté.

L’esprit POLIT se retrouve dans la scénographie de notre stand M&O. Ce stand est aussi le prolongement du WEB. Logo, typo, on retrouve tout l’univers POLIT pour une cohérence et une facilité de lecture.

- Quelle est ton équipe de travail aujourd’hui?

Mes designers et moi, et ça s’arrête là !   J’ai bien entendu des échanges avec mes designers. Cyril et Avril sont venus à M&O, et viendront également lors de notre lancement en boutique. Ils sont une présence, un soutient.

- Quel contrat te lie avec tes designers ?

C’est un contrat de royalties, c’est-à-dire une rémunération en fonction des ventes, un pourcentage leur revient. Plus je vends, et plus ils gagnent. C’est une aventure dans laquelle nous nous lançons ensemble.

Peu de designers gagnent leur vie avec le design, mais cela leur donne une crédibilité. Cela leur permet par la suite d’être mandatés pour des projets d’une autre envergure. Être édité leur apporte  quelque chose de plus, c’est une carte de visite qui peut leur permettre par la suite d’être Directeur artistique, architecte d’intérieur.

Par ailleurs, un produit édité à 15 000 exemplaires/an, peut donner lieu à de belles rémunérations, même en touchant  5 €/pièce.

Nous concernant, notre production est trop chère pour arriver à ce stade là.

- Quelle direction Artistique pour POLIT?

Actuellement, c’est moi. C’est pour cela que je fais ce métier. Cela me permet d’avoir le contrôle sur la création et la globalité de la marque. Seul les éditeurs installés ou les world companies ont besoin de D.A, pas nous.

- Quelle relation à la presse ?

A ce jour, je n’ai pris personne pour s’occuper des relations presse. Cela me couterais près de 1000€/mois, et si je les avais, je commencerais surement par me payer. Je m’occupe donc moi-même de la presse.

J’ai été surpris de la rapidité avec laquelle on peut obtenir de la presse. Ces parutions font du bien, et nous en avons besoin. Mais il  faut relativiser, l’important reste les ventes même si ces parutions crédibilisent le projet.

- Quel type de protection sur votre production ?

Nos produits sont déposés par les designers via le principe des enveloppes Soleau, afin d’attester la paternité du projet. Nous ne faisons pas de dépôt de dessins & modèles, c’est très onéreux et la protection est friable. Les frais d’avocats seraient de toutes manières énormes.

Notre véritable protection est de créer du lien avec le consommateur. Ils doivent ainsi comprendre que la qualité de leur achat est la conséquence d’un produit original.

Pour POLIT, j’ai mis en place un système de protection par codes à bulles, une technologie française (Prooftag) de traçabilité de produits qui était auparavant utilisé pour le vin et les montres. C’est comme un scellé. Ce système coûte cher, mais permet d’aborder l’export sereinement, et aux clients de bénéficier d’un véritable certificat qui atteste de la provenance et de la valeur de l’objet. A l’achat le client active son certificat  et Je récupère ainsi des informations précieuses, je connais mes clients.

- Quelles peuvent être les difficultés pour une maison comme POLIT ?

Mes difficultés sont d’ordres techniques, liées à la conception des meubles. Lorsque  nous gagnerons davantage d’argent, quelqu’un s’occupera de ces choses là. Ce n’est pas ce qui m’intéresse le plus, je préfère la D.A, le rapport aux designers. Les rapports avec nos sous-traitants ne sont pas évidents non plus. La jeunesse et la taille de POLIT ne joue pas en notre faveur.

- En tant que jeune éditeur, quelles peuvent être tes joies ?

Le fruit de notre communication. Nous nous sommes installés assez vite dans le paysage média-design, et sommes aujourd’hui satisfaits de notre image sur les réseaux sociaux. Il semblerait que cela soit le reflet d’un capital sympathie. C’est un travail de fourmis, il est difficile de savoir si notre démarche d’honnêteté et de séduction va fonctionner. Nous verrons par la suite.

- Quelles sont les orientations futures de POLIT ?

Notre futur proche passe par une première présence en boutique dès la semaine prochaine dans un très bel endroit, Maison M (Paris 7°).  Ce n’est pas seulement un référencement, c’est une exposition au sein d’une boutique « magasine » qui met mensuellement des produits en avant. Cela va rapidement permettre de savoir si nous avons bien travaillé.

Les orientations ? Des projets et des collaborations sont en cours. Je fonctionne au coup de cœur, et les choses avancent. Je sais qu’il nous faudrait une lampe au catalogue…

Notre développement à l’étranger est également l’une de nos priorités. Cela passe par des salons comme M&O. Notre production  est française ce qui est un atout pour l’export, malheureusement il me semble que l’acheteur français soit davantage sensible a son porte-monnaie. Notre clientèle française existe, mais elle est très ciblée.

Merci à Geoffroy pour l’échange que nous avons eu autour de la question des jeunes maisons d’édition. Nous souhaitons à POLIT de continuer sur cette belle dynamique !

Le prochain épisode de notre exploration nous mènera à la rencontre de Gael Manes, jeune trentenaire à la tête de Minimaliste Edition,  qui organise cette semaine à Brest la première édition de « l’Exposition Design Made in France ».

Autres créations proposée par la maison d’édition :

Club Sandowich par POLIT

Club Sandowich par POLIT

Merci à Martin N pour cette nouvelle brique apportée à sa réflexion.

Pour consulter l’interview dans son intégralité, version longue : Dossier-Eco-système-du-design-objet-Entretien-POLIT-blog-espritdesign

Plus d’informations sur  : POLIT