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[note de lecture] Stéphane Bouquet, "Les amours suivants", par Matthieu Gosztola

Par Florence Trocmé


 
BouquetNote : ce compte rendu peut sembler inhabituel, mais seule la forme du poème nous semblait à même de pouvoir rendre compte et de la singularité du livre commenté et du mouvement de la sensibilité de son auteur.

 
« Comment fais-tu pour vivre vraiment,  
  pour prendre part au monde, être dedans,  
réellement un de ses habitants, concerné,  
  intéressé, participant, ému souvent jusqu’ 
à pleurer, jusqu’à chanter, jusqu’à fondre  
  ? », s’interroge Éric Chevillard sur son  
blog L’autofictif. Stéphane Bouquet dans  
  son dernier livre – magnifique – fait sa  
réponse ; et nous la dit sous la forme de  
  poèmes et de proses, courtes. Il s’agit  
de toucher et d’être touché. « Pourquoi n’ 
  y a-t-il pas de monde en dehors du toucher  
ou pourquoi, plutôt, n’est-[on] au monde  
  que si on le touche ? ». Toucher, c’est em 
porter ce qu’on touche avec soi, dans l’ins 
  tant, pour que cette chose qu’on emporte et  
qui est si proche ne soit pas ce qui tombe  
  dans la mort. Dans ce qu’on va oublier déjà. Dans l’in 
différence. Aussi « [t]oute chose touchée est- 
  elle aussitôt une chose sauvée ». Dans l’in 
différence c’est à dire dans l’indistinct  
  : dans ce qui est le non-individuel. Toucher, c’ 
est reconnaître chaque chose comme étant  
  individuelle, comme ayant son visage  
– même un arbre, même une pierre, il dirait oui,  
  même un ruisseau doux et les courbes d’un  
chemin aussi courbes qu’un ruisseau –, doux  
  visage dont on pose, ensuite, le souvenir sur  
son ventre comme une serviette chaude de  
  hammam. Si regarder pour voir c’est prendre  
conscience de ce qui nous entoure, chercher  
  sa place au milieu de toutes les choses re 
gardées, pour devenir soi aussi une chose  
  regardée, toucher c’est accompagner cette  
chose qui existe – et qui se trouve suffisamment  
  proche de soi pour qu’on puisse la-toucher –, c’ 
est l’accompagner dans son élan. Amoureusement.  
  C’est à dire sans heurter jamais son cours. Sans faire  
qu’il se brise en tombant dans un cours qui lui soit é 
  tranger. Et tout le travail de Bouquet consiste à faire  
que le « verbe parler p[uisse] devenir le substitut du  
  verbe toucher ». Bien sûr, il s’agit de toucher le lecteur,  
le toucher pour qu’il s’ouvre à ce qu’il lit comme – c’ 
  est l’image que je me fais, même si je sais-avec-certitude 
qu’elle est fausse – les feuilles des arbres s’écartent douce 
  ment pour que la lumière ne touche pas qu’elles mais  
vienne aussi jusqu’à la mousse, posée tout près des  
  racines imposantes et peut-être majestueuses. Dire un peu plus,  
il s’agit de toucher le lecteur pour qu’il s’ouvre suffisam 
  ment pour être touché par sa vie : par sa vie propre mais  
aussi par celle de l’auteur, par sa et sa vies / par leurs vies jusque dans  
  le plus emmêlé (démêlé pour être aussitôt emmêlé) des pensées, jus 

  que dans le plus brusque des retours – celui  
que fait la mort dans la jouissance ; sourire  
  creusé, stupéfait, de ce qui pose (avec une musique de souffle)  
une différence, comme manteau ou plus exacte 
  ment châle, sur les épaules d’une seconde, ou deux. Mais, surtout…  
Écrivant à partir de son désir, écrivant sur  
  des corps, sur des visages, sur des paroles,  
écrivant sur des garçons que la mort a fauchés,  
  l’auteur écrit pour les toucher eux, pour qu’ils  
restent là, avec lui, dans la grande maison du  
  livre (pièce après pièce on y – émerveillé –  
déambule). Dans chaque pièce qui est, c.-à-d.  
  qui devient 1 chambre, Bouquet allume qqch  
qqch comme une lumière  
   (même-et-surtout en plein jour)  
qqch de plus proche encore qu’une lumière. 
  Proche & en amour. 
  
  Et c’est un poème &/ou prose.  
Écrivant sur ceux (1 + 1 + 1 + 1… & tous mais toujours singulier) qu’ 
  il a aimés, ceux que son désir a cherché à ouvrir, – ouvrir cette  
lumière et qui est l’âme, ouvrir cette lumière sans  
  gifler  
  le visage 
de leur mystère –, il est avec tous ces visages,  
  tous ces « je », tous ces « tu » aimés, 
même anciennement aimés c’est toujours ce-qui-est-(vient)-nouveau,  
  comme le narrateur  
avec le chien-renard dans Nord de Claude Simon,  
   « comme je ne lui caressais plus le ventre le  
  chien-renard me regarda un instant interrogatif de ses  
  petits yeux doux puis il s’est relevé s’est secoué et  
  est parti vers les bois » 
 
  à ceci près que le poème et la prose de Bouquet,  
dans chacune de leurs parties, dans leur ensemble,  
  sont une caresse continuée, jamais suspendue même  
quand l’interrogation -plaie vive- de ce qui se penche dans la mort  
  perce & foudroie un peu tt l’intérieur de l’imaginaire  
  : ventre. 
[Matthieu Gosztola] 
 
Stéphane Bouquet, Les amours suivants, Champ Vallon, collection « Recueil », 2013, 99 pages, 12 euros.   


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