Le Front National est-il encore extrême, et est-il encore de droite ?
Publié Par Baptiste Créteur, le 12 novembre 2013 dans PolitiqueLe vote Front National a longtemps été vu par les médias comme un vote contestataire, un vote anti-système, l’expression d’un ras-le-bol. Progressivement, ceci change et la normalisation de l’extrême-droite désarme la critique : le Front National n’est plus qu’un vote idiot.
Par Baptiste Créteur et h16.
Les Français n’hésitent plus à voter FN. L’ascension de Marine Le Pen vers la banale normalité politique, son accession à la crédibilité toute particulière dont jouissent les propos de ceux qui entendent représenter l’opinion fait de la peine à certains, mais c’est ainsi : le Front National se normalise.
Du moins se normalise sa face visible, celle que représente activement la dirigeante, en badigeonnant son programme à grand coup de socialisme, d’État redistributeur et d’interventionnisme subtil comme une charge de panzer dans l’économie ou le social.
En revanche, la base militante, elle, est toujours aussi « ouverte » sur l’étranger et à l’étranger ; elle n’a même pas besoin de chasser les juifs, les noirs et les arabes, ils partent d’eux-mêmes, dégoutés par la haine dont ils sont victimes dans les rangs de leur propre parti.
Les patriotes, militants aux yeux de qui le parti a le monopole de la patrie, sont actifs, virulents, et le sont d’autant plus qu’ils ressentent une certaine fierté à n’être pas dans le politiquement correct, à faire la nique aux médias grand public quand ils soutiennent le bijoutier de Nice ou les « assassins » que Clément Méric et ses amis avaient agressés avant d’être mis en déroute.
Et les arguments qu’on leur opposait ne fonctionnent plus. Marine Le Pen est capable d’affirmer que les militants qu’on voit entourés d’amis au cheveu ras et de symboles affligeants sont des cas isolés, qu’on peut rester actif même après une bonne ratonnade pardon rester fréquentable même à côté de gens peu fréquentables, qu’une hirondelle ne fait pas le printemps et qu’un aigle ne fait pas le Reich. Elle est capable, comme tous les autres politiciens d’aujourd’hui, de parler pudiquement de « débordements » pour étouffer toute affaire. On ne peut plus les accuser d’être de grands méchants fascistes, tout simplement parce que les militants et sympathisants du Front ne sont pas plus fascistes que les autres ; ils sont sans doute un peu plus cohérents dans leur incohérence, un peu plus sûrs d’eux dans leur dirigisme, c’est tout.
Marine Le Pen n’est pas son père. Elle n’a pas ses sorties, ses excès ; elle n’a pas son passé ; mais elle n’a pas non plus sa culture, son humour, sa répartie. Il n’était pas respectable, mais il était à craindre lors des débats. En son temps, Chirac ne s’y était pas trompé qu’il avait finassé pour refuser tout débat d’entre deux-tours avec le rhéteur qui l’aurait probablement mis en pièce. Jean-Marie Le Pen n’était pas fréquentable mais, sans rien dire de leur pertinence, avait des arguments, et savait frapper les esprits par des réparties cinglantes. En revanche, sa fille n’a, dans le fond, rien à dire de si nouveau ou si différent des autres politiciens actuels. Ce qui explique qu’on la laisse parler, alors qu’on millimétrait les interventions du père lorsqu’il proférait ses dérangeantes bêtises.
Et pour lui, ça marchait : ainsi, le FN ne doit pas son ascension au racisme mais à l’anti-racisme ; il ne doit rien à la résurgence du mal (la Bête Immonde a peut-être un ventre fécond, mais elle se shoote tellement à la moraline qu’il y a peu de chance qu’elle accouche prochainement), et le parti doit tout aux avancées frénétiques du Bien qui s’excite comme il le peut sur les ennemis qu’il invente, qu’il ranime éventuellement lui-même, et qui se bat tant bien que mal contre des épouvantails qu’il agite pour faire peur. Un jeune militant assassiné par des groupuscules d’extrême-droite, vite, dissolvons-les !
À force, ce soutien indirect mais répété de la gauche à l’extrême-droite a bien servi Marine Le Pen. Il est cependant devenu dangereux aujourd’hui ; quand les extrêmes se touchent autant et que les Français sont à ce point déboussolés, il y a une chance sur deux pour qu’ils choisissent le virage national-socialiste plutôt qu’international-socialiste. Zut, ça ne se joue qu’à une poignée de lettres, finalement !Et soyons réalistes : les Français ont déjà, peu ou prou, choisi leur camp. Quelle meilleure incarnation du patriotisme qu’Arnaud Montebourg, qui veut favoriser le Made in France et protéger nos frontières des nuisibles importations ? Quel meilleur défenseur de la sécurité et de l’ordre que Manuel Valls, qui expulse à tour de bras et matraque, enferme, musèle les opposants ? Quel désir de souveraineté plus manifeste que celui de François Hollande, qui se bat contre les moulins à vent de la finance internationale et du capital apatride ?
Le contrôle des prix, la hausse des salaires et des retraites d’un coup de matraque magique, la tentation protectionniste, le soutien au petit commerce contre les grands de la distribution et d’Internet, la volonté de « se libérer des marchés financiers », celle de faire payer les salauds de riches… Non, ce n’est pas le programme de Hollande, ce sont bel et bien des éléments du programme de Marine Le Pen. Difficile de ne pas y voir les points communs au programme socialiste.
Oui, certes, il y a la sortie de l’euro, honni, et le retour au franc, joli. Que voilà une idée qui concentre en une mesure toute la bêtise économique des politiciens français ! Mais là encore, lorsqu’on voit que cette mesure se retrouve aussi chez un paquet fumant de pipoconomistes de gauche, tous aussi solidaires et festifs les uns que les autres, on se demande ce qui les différencie de Marine ou, plus exactement, ce qui distingue la dirigeante du Front de ces bataillons gauchistes…
Reste le soutien aux « Français » contre les étrangers, l’appartenance à l’une ou l’autre des catégories étant volontairement ambigüe, qui ne sonne pas bien aux oreilles sensibles de ceux qui sifflotent encore l’Internationale avec émotion… Cela suffit-il, réellement, pour qu’on puisse qualifier Marine Le Pen de « candidate anti-système » ?
Regardons les choses en face : il n’y a pas, en France, de candidat anti-système.
Marine Le Pen est présente sur les plateaux télés, des membres de son Parti siègent même à l’Assemblée Nationale. Le FN n’est plus « diabolisé » ; on l’invite volontiers, on lui donne la parole et il révèle son discours, aussi creux que celui des autres partis. Ses militants aiment encore se croire subversifs, mais la subversion tantôt au second tour, tantôt à 20%, qui siège à l’Assemblée n’est pas plus subversive qu’un t-shirt du Ché qu’arborent tous les lycéens sans savoir qu’ils font l’apologie d’un fasciste, un vrai, un dur, un garanti sur facture avec des morts par balle dans la nuque, des camps et de la bonne dictature bien grasse.
Si les extrêmes gagnent du poids, c’est parce qu’ils sont cohérents et osent affirmer ce que les autres balbutient en « off ». Les partis extrêmes, quand il n’y en a qu’un, ça va. Surtout quand il est de gauche.
Car pourquoi s’inquiéter, finalement, de la montée du FN ? Quand on est socialiste, quand on fait partie de la gauche ou de la droite françaises, on devrait saluer un parti qui a les mêmes idées, et on peut difficilement dénoncer la représentation des partis extrêmes : n’y a-t-il pas de mairies communistes, de députés communistes, n’y avait-il pas récemment des communistes au gouvernement ?
Quand on est libéral, évidemment, on en a très peur, puisqu’on a peur de tous les liberticides. On a peut-être même un peu plus peur, puisque Marine Le Pen pourra encore dire longtemps qu’elle a une solution miracle, n’ayant jamais eu, réellement, le pouvoir et l’occasion de l’appliquer. À ce titre, elle peut encore épater la galerie.
Mais plus justement, quel parti, en France, ne fait pas du libéralisme, c’est-à-dire de la liberté, son plus grand ennemi ?
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