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Le droit à l’information et ses limites

Publié le 12 novembre 2013 par Veritejustice @verite_justice

Écriture

Le droit à l’information du public est important, autant pour le diffuseur que ses journalistes ont la responsabilité de présenter des faits objectifs et prouvables.

Les tribunaux doivent examiner si un reportage diffusé, les commentaires des témoins présentés et, surtout, les commentaires du ou des journalistes pour décider si la vérité a été au centre d’une affaire ou bien si un citoyen, personne morale ont été diffamé par le réseau d’information.

Examinons l’affaire à l’aide d’un jugement rendu en octobre 2013 ou La Société TVA et l’émission J.E. fut reconnue coupable de diffamation.

[1] Les demandeurs se représentent seuls…dans une affaire complexe dont ils n’ont pas réalisé toutes les embûches, comme nous allons les examiner. Et comme dans beaucoup de situations similaires, malgré une aide discrète du tribunal, ils n’ont pas déposé certains éléments de preuve qui auraient facilité le travail du décideur.

[2] Ils poursuivent le défendeur Nicole, à qui ils ont vendu un cheval de randonnée en 2004 et dont il s’est avéré qu’il était affecté d’un vice « caché » peu de temps après l’achat, lors d’un examen vétérinaire effectué malheureusement postérieurement à la prise de possession de l’animal, mais après l’expiration de la garantie prévue au contrat d’achat.

[3] À la suite d’échanges courriels ou téléphoniques entre les demandeurs et le défendeur à ce propos, et comme chaque partie semble s’être campée dans sa position, le défendeur, plutôt que d’aller devant les tribunaux, a choisi de soumettre un dossier à la défenderesse (« T.V.A. »), l’émission populaire d’enquête (« J.E. »), où on a décidé, comme nous le verrons, qu’il y avait une question d’ « intérêt public » en l’affaire.

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[5] Ils poursuivent donc T.V.A. et la journaliste Nathalie Lemieux (« Lemieux ») en dommages résultant d’une diffamation alléguée.

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[44] En 2004, Lemieux, une journaliste/recherchiste d’expérience depuis plusieurs années, travaille à ce titre pour J.E. Elle témoigne qu’à cette époque, les sujets retenus par J.E. sont souvent suggérés par le public et que c’est au journaliste à qui on confie un dossier de faire les vérifications préalables d’intérêt, puis de faire l’enquête une fois qu’on a décidé d’aller de l’avant.

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[48] Les demandeurs sont surpris d’apprendre l’implication de J.E. dans ce qu’ils considèrent toujours comme une affaire essentiellement privée. Ils sont inquiets de mal paraître, comme il arrive souvent lors de la diffusion de ce type de reportages qu’ils qualifient de « sensationnalistes »!

[49] Avisés qu’ils ont le choix de donner leur version ou non à la caméra, mais qu’un refus de paraître sera mentionné à l’écran et que le reportage passera quand même, qu’ils soient présents ou non, les demandeurs acceptent à reculons de rencontrer la journaliste pour tenter de la convaincre de leur bonne foi dans toute cette affaire.

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[51] Les demandeurs, une fois l’entrevue filmée, demandent de nouveau s’ils pourront la visionner et surtout visionner l’émission finale avant la diffusion. Lemieux leur répond qu’il n’en est pas question, vu le Code d’éthique de J.E. et l’indépendance journalistique qu’elle invoque. Comme elle dira avec fermeté à l’enquête : « le droit de regard ne se donne pas…Jamais! ».

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[55] Le segment de l’émission vu par le tribunal et les parties à l’audience, à deux reprises, est on ne peut plus direct et traite des problèmes concernant les achats de chevaux, mais avec les projecteurs sur Nicole et son cheval, comme victime, et sur les demandeurs qui, malheureusement pour eux, ne font pas belle figure. Ils ont l’air rigide, Delorme apparaît plus enragé que d’autre chose en pointant de ses gros doigts un passage du contrat de vente et l’expiration de la garantie.

[56] Dès le lendemain, c’est la catastrophe! Plusieurs clients potentiels qui avaient pris rendez-vous pour voir des chevaux à acheter annulent, des amis du monde Western appellent les demandeurs, alors que d’autres les évitent dans les jours suivants. C’en est fait de leur commerce qui allait si bien…

[57] Ils resteront pris avec plusieurs chevaux dont ils devront littéralement se départir, tout en devant continuer de les nourrir à grands frais. Malgré diverses manoeuvres pour taire le nom de Delorme ou de CCR, ils devront se résigner à confier les bêtes restantes à un tiers qui ne leur rendra pas l’argent qu’il a pu réaliser en les vendant et dont les héritiers n’ont jamais rendu de comptes après son décès.

[58] Le commerce de vente de chevaux des demandeurs tombe littéralement à plat et, selon Marcotte au procès, Delorme fait une dépression importante qui mettra divers projets au rancart.

LA FAUTE DE T.V.A. : DIFFAMATION OU AUTRE FAUTE CIVILE? 

  1. [82]  Le tribunal doit décider si l’enquête journalistique a été faite correctement, de

façon conforme à la Loi, à la jurisprudence, aux codes d’éthiques ou à une pratique reconnue, si elle visait un sujet d’intérêt public, si elle a été juste et équitable. Il ne lui appartient pas de refaire le reportage comme il l’aurait fait lui-même, pas plus que ne doit-il remettre en question le nombre d’entrevues faites, l’agencement de la présentation ou les segments qui ont été choisis pour diffusion5.

[83] Toutefois, le tribunal doit examiner le reportage diffusé, les commentaires des témoins présentés et, surtout, les commentaires du ou des journalistes pour décider si la vérité a été au centre de l’affaire, si le reportage n’est pas biaisé et ne contient pas d’insinuations ou de non-dits accusateurs et non prouvés.

[84] Il faut se souvenir qu’autant le droit à l’information du public est important, autant le diffuseur et ses journalistes ont la responsabilité de présenter des faits objectifs et prouvables qui ne risquent pas de dénaturer la nouvelle ou l’enquête et de tromper, pour des motifs sensationnalistes, le spectateur. La ligne est souvent mince entre l’objectivité et le sensationnalisme qui fait, faut-il le rappeler, vendre du temps d’antenne à des publicitaires en fonction du nombre de spectateurs atteints.

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[87] Le tribunal se croit permis d’ajouter en passant que l’avenir ne sera pas plus rose, bien au contraire! On parle de plus en plus d’une autre forme de tribunal public encore plus dévastateur: les célèbres réseaux sociaux qui, en quelques minutes, peuvent soulever les passions…et même amener la déchéance des gouvernements. Gare à ceux qui en sont les victimes ou les proies!

[..]

[95] Était-ce nécessaire de donner ces bribes d’information sans donner de détails sur ce qui avait pu motiver les acheteurs ou vendeurs précédents? On a plutôt laissé planer un doute sur l’honnêteté de Delorme qui, ô sacrilège, a vendu un cheval à 6000 $ alors qu’il avait déjà été vendu 500 $ ou 600 $ auparavant, et pour des raisons non explicitées.

[96] C’était sans doute plus accrocheur de ne pas aller trop loin dans la recherche de ce qui avait pu se passer!

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[123] Bref, le tribunal considère que la diffusion de ce reportage biaisé a causé la perte de la réputation de Delorme dans le monde des chevaux.

Pour lire l’intégralité du jugement: Cliquez ici


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