Inside Llewyn Davis: le looser magnifique

Publié le 11 novembre 2013 par Unionstreet

Inside Llewyn Davis raconte une semaine de la vie d’un jeune chanteur de folk dans l’univers musical de Greenwich Village en 1961. Llewyn Davis est à la croisée des chemins. Alors qu’un hiver rigoureux sévit sur New York, le jeune homme, sa guitare à la main, lutte pour gagner sa vie comme musicien et affronte des obstacles qui semblent insurmontables, à commencer par ceux qu’il se crée lui-même.

Ulysse. Tel est le nom du chat que Llewyn Davis laisse s’échapper de l’appartement de ses amis au début du film. Ulysse, symbole de toutes les odyssés, des tourments des voyageurs et des naufrages.

Hang me, Oh Hang me, and I’ll be dead and gone.

Hang me oh hang me, and I’ll be dead and gone.

I wouldn’t mind the hangin’, just laying in the grave so long, poor boy

I’ve been all around the world. “

C’est sur ces paroles que s’ouvre, mais aussi se termine Inside Llewyn Davis. Cette boucle que crée le film, c’est un voyage sans fin, celui d’un pauvre hère, Llewyn Davis, musicien au talent certain mais à l’intolérable normalité. C’est d’ailleurs une caractérique des frères Coen : faire briller l’anti-héros.

Car oui, le personnage de Llewyn Davis est brillant. Brillant d’une normalité qui pourtant le condamnera à rester au bord du succès.
Il n’est pas adulé, il est incompris. Il n’enchaîne pas les concerts, il reste bloqué à l’interphone de ses amis, dans le froid glacial de l’hiver.

Tout au long du film, Llewyn Davis ne cessera de subir les échecs (un producteur refusant de le produire), les critiques (Roland Turner, créature imposante et mystérieuse interprété par un John Goodman toujours aussi juste et détestable) et les emmerdes (il perd le chat de ses voisins, doit s’occuper de l’avortement de Jean, avec qui il a eu une aventure [interprétée par Carey Mulligan, complètement métamorphosée]).

Une scène, en apparence anodine, est pourtant révélatrice : Llewyn rend visite à son père, ancien marin désormais dans une maison de repos, et décide de lui interpréter une chanson de pêcheur. L’émotion nous submerge, et on s’imagine enfin, après plus d’une heure de film, une forme de reconnaissance, aussi symbolique soit-elle, pour Llewyn. Mais finalement, la seule réaction du père, c’est de se « faire » littéralement dessus.
Ainsi le film ne perd pas de son humour, et ce désenchantement, si présent tout au long de cette odyssée, est non seulement assumé, mais aussi merveilleux. Plus les problèmes s’accumulent, plus il nous fait rire. Mais ce n’est pas de la condescendance, c’est l’empathie dans sa forme la plus pure. C’est de la poésie noire et absurde, un fruit au goût doux-amer.

Il est très difficile de parler de ce film en quelques lignes tant il est d’une richesse artistique rare et profonde. Il est d’ailleurs vivement conseillé de le voir deux fois. En effet, comme beaucoup de films des frères Coen, il peut provoquer au premier visionnage un certain désarroi, amener de nombreuses questions sans réponses, et créer l’incompréhension.
Pourquoi montrer l’histoire de cet homme, ce musicien, talentueux certes (Oscar Isaac, brillant), mais que personne n’entend, et qui d’ailleurs se sabote lui-même ? Parce que ce film est un hymne au désenchantement.
Non, Llewyn Davis ne deviendra pas célèbre. Une des dernières scènes le souligne douloureusement quand, après son set de quelques morceaux dans un bar au fin fond de Greenwich Village, Llewyn laisse sa place à ce jeune homme de vingt ans à la voix nasillarde, accompagné sa guitare et de son harmonica. On devine Bob Dylan. L’un deviendra célèbre, l’autre pas.

Même quand sa sœur lui propose de se ré-engager dans la marine marchande, il lui répond « et pourquoi faire ? Exister ? ». Elle ne le comprendra pas. Mais lorsque, finalement il décidera d’abandonner la musique et d’écouter ses conseils, le destin en voudra autrement. Ce sera d’ailleurs elle qui, sans le vouloir, l’empêchera de partir. Car Llewyn Davis n’est pas fait pour « exister ». Il se perd, nous émeut, il est condamné à errer telle une ombre, géniale, mais désenchantée. Notre Ulysse ne trouvera jamais Ithaque, qui lui est offerte pourtant, mais il ne tombera pas dans les bras des sirènes.

Llewyn Davis est condamné à rester authentique.

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