Je me rends compte en vieillissant (du haut de mes 25 balais…)
que je me tourne de plus en plus vers des genres littéraires plus variés. Mais
je n’oublie pas pour autant celui qui m’a donné l’amour de la lecture lors de
ma pré-puberté (à l'époque de ma chevelure de Guenièvre, de mes nattes de hippie et de mes pantalons qui traînaient au sol), la Fantasy.
J’étais effectivement une grande fan de Fantasy, je
dévorais les Robin Hobb, j’avalais les Raymond E. Feist, je boulottais les David
Gemmell, Tad Williams, Guy Gavriel Kay, David Eddings et autres grosses
pointures du genre. Mais récemment, j’ai du mal à trouver chaussure à mon pied en
matière de Fantasy. J’ai écumé pas mal d’océans littéraires, et souvent mes
nouvelles lectures dans ce genre précis me semblent trop banales, sans grande
évolution. Bien-sûr surgissent des romans géniaux, des textes originaux
qui bouleversent mon monde et s’inscrivent dans le Top of the Pop Guixxxéen,
mais ce sont des événements isolés, rares, qui arrivent en général une fois
tous les 18 mois (je fais une moyenne, comme ça, au pif, mais moi et les
chiffres vous savez, si mon plan financier pouvait parler il vous dirait à quel
point je le maltraite en ce moment, lui et moi on s’y arrache les cheveux.),
mais citons-les tout de même, Gagner la guerre de Jean-Philippe Jaworski, ou Le
nom du vent de Patrick Rothfuss, sans oublier Kushiel de Jacqueline Carey.
Donc maintenant c’est avec quelque appréhension que je me
penche sur la lecture d’un roman de Fantasy, et il m’arrive régulièrement de le
finir avec difficulté, comme ce fut le cas pour Les lames du Cardinal de
Pierre Pevel, ou carrément de le refermer dès la cinquantième page, mes plates
excuses à Joe Abercrombie pour le discutable Servir Froid.
C’est pourquoi je m’étonne moi-même en vous disant que j’ai
vraiment apprécié la lecture du premier volume de la trilogie Le Livre et l'Epée, La Voie de la Colère, d’Antoine Rouaud, paru en
octobre aux éditions Bragelonne.
J’avais des doutes, je dois le dire, vu que mes dernières
lectures chez Bragelonne en Fantasy ne m’ont pas emballé des masses. Donc voir
arriver ce jeune auteur français, de Nantes s’il vous plait, m’intriguait. De plus, Bragelonne m'alléchait en agitant sous mon nez sa sortie simultanée dans une dizaine de pays (il a été traduit avant sa parution en français) et en vantant ses qualités à grand renfort de communication.
Le roman commence en l’an 10 après la République. Dun est un
vieillard ivrogne et bravache qui passe son temps à ressasser son passé de
soldat au sein de feu l’Empire. Personne ne se souvient vraiment de lui... et pourtant une
certaine Viola, jeune femme sortie de nulle part, vient l’interroger sur son passé de
chevalier, et lui demande où est cachée l’épée de l'ancien Empereur, que le vieux soldat se vante d'avoir emporté dans sa fuite après le coup d'état et l'assassinat de celui-ci dix ans plus tôt. Dun lui conte alors son histoire, en commençant par l’événement
majeur de l’effondrement de l’Empire : la guerre des Salines. Il était autrefois un chevalier au service de l’Empereur, un parvenu rustre et bruyant pour
certains, un fin stratège et un grand guerrier pour d’autres. Sa présence au
sein de la cour de l’Empire ne faisait pas l’unanimité, mais grâce à
ses qualités et à sa loyauté, il était devenu l’un des chevaliers les plus
influents et les plus puissants auprès de l’Empereur lui-même. C’est pourquoi celui-ci l'envoya dans la région des Salines, pour mater la révolte qui grondait depuis
plusieurs semaines, avant qu’une guerre n’éclate. Trop tard, malheureusement,
les dissidents avaient déjà engagé leurs forces dans une violente insurrection, et
Dun-Cadal fut laissé pour mort au fond des marais humides. C'était sans compter l'intervention d'un étrange gamin mutique (Grenouille), qui le recueillit aux portes de la mort, soigna ses blessures
et l’aida à rejoindre l’Empire en échange d’un léger service : faire de
lui le plus grand chevalier que L’Empire ait jamais connu.
Bon, moi quand j’ai lu le résumé, en tant que lectrice
habituée de Fantasy, je me suis dit « mouais, bateau ». Et c’est vrai
que c’est un peu bateau comme intrigue. La guerre, les complots, le chevalier héroïque, le
disciple, en fait tous les bons ingrédients sont réunis pour faire un bon mais
classique roman de Fantasy. Car oui, il est bon, j’ai tout de suite été
embarquée dans l’histoire de Dun-Cadal, dans ses souvenirs de la guerre, sa
relation avec son jeune apprenti, Grenouille, son amertume et ses regrets de
vieil homme, désormais oublié par tous alors qu’il fut l’un des meilleurs
chevaliers du pays. En fait le mot qui définit parfaitement la Voie de la
Colère, c’est « efficacité ». Le roman est efficace, immersif, happe tout de suite son lecteur dans ce nouvel univers et cette histoire bourrées de dialogues et d'action musclée. Il faut dire que l'auteur lui-même a été abreuvé durant sa jeunesse de Fantasy et en a visiblement tiré plusieurs leçons. Antoine Rouaud manie assez bien les ficelles du genre pour poser son intrigue et titiller la curiosité du lecteur.Durant la première moitié du roman, il s’agit
de savoir comment l’Empire est-il tombé, où se cache cette fameuse épée, que
veut donc en faire cette jeune femme, Viola,
et surtout qu’est-il arrivé à son jeune disciple, qu’est-il arrivé
à Grenouille ?
La seconde partie répond à la plupart de ces questions, mais
la manière dont Antoine Rouaud amène ces réponses apporte une nouveauté puisque
l’on change de personnage phare, ce n’est plus Dun qui mène la danse, quelqu’un d’autre se charge de combler les trous et de démystifier toute l’affaire. Je dirais
que la seconde partie est un peu en-dessous de la première, moins captivante,
mais j’ai tout de même terminé le roman en me disant « hmmm pff grrr
gnnneuh, j’ai envie de savoir la suite, maintenant ! », encore un peu
et je tapais du pied en serrant les poings, mais n’exagérons pas. La fin est un
peu tirée par les cheveux et laisse un peu sceptique, mais les mystères qu’apportent
les dernières pages donnent tout de même envie de continuer l’aventure et de se
jeter sur le suivant.
Car le roman de Rouaud comporte pas mal de défauts, des défauts qui ne gâchent pas la lecture mais que je trouve dommage.
Tout d’abord une trop grande banalité dans les personnages, à part Dun qui
comporte une dimension psychologique un peu plus profonde et qui contente mon amour des personnages misérables et ambigus, les autres personnages ne
sont pas très charismatiques, leurs personnalités pas assez marquées ou trop
caricaturales. La magie qu’introduit Rouaud dans le roman est elle aussi assez
banale, seuls les chevaliers la pratiquent et il ne s’agit en fait que d’une
sorte de télékinésie qui rappelle vraiment la Force des chevaliers Jedi. Et l'écriture aurait mérité un peu plus de soin à mon goût. Directe, efficace, sans fioritures, attention ce n'est pas mal écrit mais c’est
sans réel style. C'est pour moi un véritable page-turner
à la française : de longs dialogues, des descriptions de batailles ou d’actions
chocs et quelques introspections qui restent tout de même très en surface. Bon,
voilà pour mes points négatifs.
En fait, je pense que La Voie de la Colère n’est pas
pour les lecteurs qui cherchent un langage très travaillé et des exercices de
style, ni pour ceux qui veulent se faire retourner le cerveau avec une intrigue
complexe et capillotractée (mais dans le bon sens) qu’ils n’ont jamais vu
ailleurs et une véritable profondeur littéraire, métaphysique ou que sais-je
encore. Bref, ce qui veulent se faire surprendre du bulbe avec une bombe
littéraire (comme moi, en fait, mais bon...).
La Voie de la Colère est pour ceux qui aiment du
bon David Gemmell par exemple, la Fantasy guerrière et épique, de l’heroic fantasy dans toute sa splendeur, la mauvaise traduction
américaine en moins et la french touch
en plus. Le roman n’apporte pas grand-chose à l’amateur de Fantasy en plus à part l'assurance de
passer un très bon moment de lecture, la lecture d’évasion par définition,
celle qui fait du bien par où elle passe.
Alors voilà, la lecture de La Voie de la Colère a fait
remonter pas mal de souvenirs en moi, de cette époque où je me perdais corps et
âme dans la Fantasy, avide de mondes inconnus, affamée d’imaginaire, dans ces
romans dont la noirceur et la misère ne me touchaient pas autant que lors de la lecture de romans plus réalistes, puisqu’il ne
s’agissait que d’œuvres imaginaires dans un univers qui n’existe pas, et où le côté
manichéen me promettait tout de même un zeste d'espoir.
Aujourd’hui, il est vrai que je recherche moi-même l’originalité et les perles
rares. Ça m’amène à plonger de plus en plus dans de la littérature plus ardue,
dont la lecture n’est pas toujours une partie de plaisir, et où la qualité et l’ampleur
du roman vous frappent de plein fouet seulement la dernière page tournée. Je ne
me rends pas toujours compte que j’ai aussi besoin de lire des romans comme
celui d’Antoine Rouaud, qui vous prennent par la main et vous plongent
tellement dans leur pages que vous ratez votre station de métro ou que vous oubliez qu’il est déjà 4h du matin et que vous lisez sans
discontinuer depuis la veille.