Les commémorations de la « Grande Guerre » me laissent totalement de bois, comme toutes les cérémonies où on prend son air le plus solennel pour regretter que des millions de personnes soient mortes pour une idée aussi abstraite et inutile qu’un drapeau. Déjà à l’école, ça m’emmerdait un petit peu. Autant avec la deuxième guerre mondiale, on a un ennemi bien défini et bien méchant qui menace plus la liberté que la Patrie, autant avec la première ça prend toujours des dimensions surprenantes. La Triple Alliance qui veut péter la gueule de la Triple Entente (ou l’inverse) parce qu’un roitelet se fait assassiner, les visites dans tous les ossuaires de la région, le départ « la fleur au fusil », les stratégies sur le front, la mémoire de Jean Jaurès et d’Adrienne Thomas, les « boches » contre les Français sûrs de leur bon droit de récupérer l’Alsace et la Moselle, alors que rien n’indique qu’on était mieux d’un côté ou de l’autre de la frontière, on n’y comprend rien sinon que ce fut une guerre bien dégueulasse.
Reste que dans tous les patelins de France il y a un monument, bien souvent d’une laideur exemplaire, pour rappeler au passant que même au coeur de la brousse, un péquenot est allé donner sa vie pour son pays (pouf, pouf). Tous les ans à pareille époque, un édile se fend d’une gerbe pour remercier toutes ces braves gens qui n’y seraient sans doute pas allé s’ils avaient su. Et je reste étonné qu’au lieu de fêter la fin des hostilités avec nos voisins en organisant des fêtes du feu de Dieu, on persiste à communier dans les cimetières en se frappant la poitrine pour faire résonner dans sa cage thoracique la fierté d’être français, ce qui est pourtant à la portée du premier imbécile qui naît sur le territoire.
Ne serait-il pas plus respectueux pour les glorieux anciens de leur offrir des manifestations de joie pour les remercier d’être allé se faire trouer la peau ou d’avoir bien voulu semer des organes dans les champs meusiens pour un motif abscons ? Est-il bien juste de marquer sa gratitude en tirant des gueules de François Fillon alors qu’on pourrait organiser une journée sans épilation en l’honneur des Poilus et se déguiser en Frank Ribery (beau symbole d’amitié franco-allemande) à la mémoire des « gueules cassées »? Serait-ce la proximité de la Toussaint et la grisaille de l’automne finissant qui incitent les seuls responsables de ce merdier (à savoir les gouvernants et l’Etat-major) à se coller toute cette contrition sur leurs épidermes déjà usés par la colle à sentiments électoraux, et à se comporter comme dans une cathédrale un jour de mort du Pape?
Ce n’est bien sûr qu’une modeste proposition pour rendre le spectacle plus attrayant pour ceux qui se coltinent ce genre de cérémonie, parce que personnellement, je n’en ai vraiment rien à secouer de la prestigieuse Histoire de France et de qui a tiré la première salve. En plus j’ai des ancêtres des deux côtés de la douane et je ne veux me fâcher avec personne. Bon, j’en veux un peu aux Allemands d’avoir viré les remparts et détourné la Seille, mais si la troisième éclate, comprenez-bien que ce sera quand même sans moi.
Ce qui nous amène en droite ligne au sujet de ma préoccupation. Déserter ou refuser d’obéir, c’est bien joli (c’est même absolument magnifique), mais à une époque où la justice militaire était déjà un pléonasme, ça pouvait valoir douze balles dans la peau. A quoi bon aller se la coller avec son frère ou son cousin germain avec qui tu as peut-être plus d’atomes crochus qu’avec ton supérieur hiérarchique si ce dernier peut te ligoter à un poteau et te faire fusiller parce que crever pour la France ou pour qui que ce soit d’autre, non merci?
Or, nombreux sont ceux qui demandent aujourd’hui la réhabilitation juridique des mutins et autres fusillés pour l’exemple, qui sont à mon sens les seuls vrais héros de cette guerre. Je suis plus que circonspect. Si un jour, la France se déclare pacifiste, et qu’on envoie Villepin à l’ONU ou à l’OTAN pour décliner les invitations à participer à quelque guerre que ce soit, j’applaudirai des quatre mains, et je souscrirai à l’érection d’un monument aux courageux désobéissants. Si c’est pour dire, « ok les gars on a déconné on a été un peu expéditifs et vous êtes quand même des bons Français. Mais il faudra que vous reconnaissiez qu’on a bien rigolé en 14-18, quand même », là je m’insurge et je recommande aux héritiers des mutins de se garder d’une telle récupération. L’infamie, ce n’est pas vous ni vos ancêtres qui la portez, et c’est plutôt des excuses publiques et une bonne réparation en justice que vous devriez demander.
On ne cesse de répéter que la France, c’est avant tout une histoire commune, des faits historiques prestigieux (expurgés de leurs passages gênants), et que la barbarie des guerres passées doit nous enseigner à vivre ensemble pour que plus jamais ne se répètent ces atrocités (et gna gna gna). Ce n’est pas totalement faux, mais l’Histoire, c’est aussi et surtout l’exploitation du troupeau par une classe dirigeante qui décide du bien et du mal avec un sens de la mesure qu’on ne retrouve guère que dans les dithyrambes de Michel Drucker à l’endroit de ses invités. L’Histoire, c’est aussi le fait que la France soit l’un des leaders de la vente d’armes et que le vieux Dassault, le plus gros assisté de France, soit milliardaire grâce aux commandes publiques.
L’armistice, ce n’est pas tout à fait l’amitié entre les peuples, c’est avant tout la réconciliation des chefs de guerre en attendant la prochaine; tout comme aucun peuple n’a jamais déclaré la guerre à son voisin sans qu’on lui ait fourré l’idée dans le crâne en lui expliquant qu’il valait mieux être français que toute autre chose. Vous pouvez vérifier, ce type de propagande existe toujours, et pas seulement chez nous.
En ce qui me concerne, je vais donc boire un coup à la santé de tous les mutins de toutes les guerres, et à celle de Soren Kierkegaard, lui aussi décédé en ce jour funeste. J’essaierai de ne pas déposer de gerbe.