J’ai été présent comme tous les ans aux cérémonies du 11 Novembre. C’est une habitude transmise par mon grand-père maternel blessé au « chemin des dames » dans une offensive meurtrière succedant à tant d'autres journalières, quotidien du poilu confiné dans la boue prégnante d'une tranchée antichambre d'une mort certaine. Mon grand-père m'a tracé le chemin du sens face cette boucherie. Intellectuellement cela correspondait à ma découverte de DADA et je conciliais sans heurt son dégoût pour cette abjection qui endeuilla les nations avec cette effervescence des écrits dadaïstes qui crachaient leur refus de cette macabre comédie et que je découvrais pour ne plus jamais les quitter! Je me suis forgé un caractère tenace de révolté que je veux transcender par la mémoire. Aussi je refuse l’obligation du banal, le cérémonial privé de sens, presque routinier. Un cérémonial auquel, cette année, se sont glissés dans l'assistance les pièces rapportées de certains politiques régulièrement absents les années précédentes… mais campagne oblige ! Mascarade sinistre…
J’étais donc présent avec un panonceau pour demander la réhabilitation des fusillés pour l’exemple. Pour afficher ma conviction républicaine et mettre un terme à une honte, à un déshonneur tel que Louis Guilloux l’a si bien conté dans son texte annonciateur de nos combats futurs pour la réhabilitation: « douze balles pour une breloque ».
La Justice militaire fut en 1914-1918 une justice d'exception qui n'avait que l'apparence de la justice. Seule une définition extensive presque sans limite des qualifications de « désertion en présence de l'ennemi », « abandon de poste » ou « refus d'obéissance », infractions passibles de la peine de mort selon le code de justice militaire, assura la légalité et l'apparence de la légitimité à la répression militaire. C'est une justice militaire expéditive qui conduisait ses victimes, parfois en 24 heures, au poteau d'exécution, sous la pression plus ou moins directe du commandement, sans instruction sérieuse ou avec une instruction strictement à charge, et sans que l'accusé bénéficie d'une véritable défense.
C'est bien « pour l'exemple » que l'armée française fusilla 600 de ses hommes. Les historiens ont aujourd'hui accumulé les témoignages de la volonté du haut commandement français de rendre une justice « pour l'exemple ». Le cérémonial macabre des exécutions devant le front des troupes. La volonté de mettre en exergue, de donner une publicité aux condamnations et aux exécutions tant au sein des régiments que tant jusque dans les communes d'origine des fusillés. L’instauration d’une terreur. Une entreprise de honte et de persécution populaire.
Aujourd’hui le travail de recherche des historiens a établi que la désignation des accusés releva le plus souvent souvent de l'arbitraire. De l’arbitraire pour réprimer les mouvements collectifs de désobéissance par la désignation de « meneurs ». De même, ce sont souvent moins les faits reprochés que des antécédents ou l'origine sociale qui conduisaient devant un peloton d'exécution. Tous les fusillés furent moins soumis à une procédure judiciaire que désignés comme instruments pour servir par l'exemple d'une répression impitoyable à la tenue en main des troupes. C’est cela que ce matin j’ai voulu porter face lors de notre cérémonie républicaine et cela ceint de mon écharpe tricolore en présentant un panneau où s’inscrivaient en lettres rouges ces mots lourds de sens : Réhabilitation pour les fusillés pour l’exemple.