On va se serrer

Publié le 11 novembre 2013 par Mentalo @lafillementalo

-Est-ce que vous savez pourquoi vous avez congé aujourd’hui?

-Parce qu’on a école mercredi toute la journée?

S’ensuit évidemment un résumé bref et succinct des hostilités presque centenaires, et l’introduction d’un nouveau mot de vocabulaire: armistice.  A défaut de réforme des rythmes scolaires, pas encore arrivée dans notre campagne, ou de récupération de jours de vacances – je crois que c’est encore plus compliqué à comprendre, en fait, que d’imaginer la fin d’une guerre.

J’ai cependant évité de leur "souhaiter un bon 11 novembre" comme j’ai pu le lire ce matin. Après tout, on aurait pu se souhaiter une "bonne glande sous la couette", tant qu’à faire. Puisque plus rien n’a de sens. Puisque nous n’avons bonne conscience que parce que nous avons mauvaise mémoire. Puisque personne n’ira lire les noms gravés dans la pierre des monuments (pas même moi, étant pour la journée dans un pays qui a le mauvais goût d’avoir été de l’autre côté des tranchées).

Cent ans ou presque, est-ce le bon moment pour ranger les souvenirs dans un carton sous une couche de poussière? Pour oublier que partager est essentiel à la survie?

 

Je me souviens de ces hordes de pauvres gens passant devant chez nous, s’enfuyant devant l’invasion allemande. Les cruels souvenirs de 14-18 étaient encore trop présents dans la peur collective… C’était en mai ’40. Ils quémandaient un gîte pour la nuit. Nous, nous avions déjà accueilli un couple âgé, puis un homme seul (il avait laissé femme et enfants chez lui, et ne reviendra pas, tué dans un bombardement). Le flot ne cessait de s’accroître. Nos voisins évitaient de se montrer. Mon père appela ma mère, restée sur le seuil de la porte : "Entre et ferme la porte, on n’a plus de place". Mais une famille venait de s’arrêter : les grands-parents, la belle-fille et son bébé. Alors mon père, les larmes aux yeux, leur dit :"Allez, entrez, on va se serrer". Il se souvenait de 1917 et d’Ypres qu’il avait dû fuir pour s’en aller vers l’inconnu, atterrissant finalement à Blois. Ces gens sont restés trois jours chez nous, puis ont repris la route.  A.G. *

Il est des combats qui ne méritent pas l’oubli, la liberté en est le premier.

*Extrait des Mémoires d’A., mon oncle.