Après le galop d’essai de Mon cœur pleure d’autrefois, Khnopff reviendra quelques années plus tard sur cette technique de collage, en juxtaposant dans un même cadre un dessin rectangulaire et un dessin circulaire.
Secret Reflet
Khnopff, 1902, Groeningemuseum, Bruges
Ce cadre regroupe deux dessins au pastel , Secret en haut et Reflet en bas.
Khnopff n’a pas donné d’explication sur cette composition étrange au lourd cadre doré , sorte de retable dédié à un culte personnel.
La prédelle : REFLET
La partie basse montre une partie de la façade de l’hôpital St Jean à Bruges, en se focalisant sur le reflet, qui occupe les deux-tiers de la surface.
Si la composition est à lire comme un retable, alors il s’agit de la prédelle, registre qui traditionnellement sert de transition entre l’espace profane du spectateur et la scène sacrée qui se déroule au dessus.
Un rectangle terrestre
La forme quadrangulaire de la prédelle et sa position basse l’associent symboliquement à la Terre.
Puisqu’elle représente un monde coupé en deux, une lecture platonicienne inciterait à voir dans sa partie « reflet » le monde matériel, brouillé que nous prenons pour la Réalité : tandis que la façade gothique scandée de régularités mathématiques représenterait le monde des Idées.
Marguerite, Hermès et Psyché
S’il s’agit d’un retable, alors c’est celui de Sainte Marguerite, la soeur et la muse d’Alfred. La voici vêtue en grande prêtresse d’un culte à elle-même, gantée et voilée, devant une tenture modestement ornée de motifs en plumes de paon.
Un masque,
Khnopff, vers 1897, Kunsthalle, Hambourg
Réalisé par Khnopff quelques années avant, le masque de plâtre peint était effectivement, dans sa villa-atelier, accroché à une colonne.
Selon certains il représenterait Hermès avec son casque ailé. Pour d’autres il s’agirait de Psyché, figurée habituellement avec des ailes de papillon. Le caractère androgyne du visage ne permet bien sûr pas de trancher.
Le tondo : SECRET
Si le masque est « Hermès« , voilà qui justifie le thème du secret, de l’hermétisme. Remarquons néanmoins que le chapiteau de la colonne est coupé dans le tondo, supprimant la référence à la Grèce. De plus, la vue de côté rend les ailes presque invisibles, tout en accentuant la ressemblance des deux profils : insensiblement, Khnopff substitue au masque du Dieu une effigie de Marguerite.
Bouche cousue, celle-ci pose son pouce ganté sur les lèvres fermées d’une femme qui lui ressemble :
on comprend que le Secret dont il s’agit, c’est celui qu’elle intime à ce double de plâtre.
Un cercle céleste
La forme ronde peut évoquer une hostie en ostension au dessus de l’autel. Mais en contraste avec le rectangle du bas, le cercle évoque symboliquement le Ciel au-dessus de la Terre.
Le montant de la chaise coupe verticalement ce cercle en deux moitiés :
Marguerite et son Masque,
le Modèle et l’Oeuvre,
ces deux compagnes de l’Artiste que Khnopff englobe dans la même dévotion.
Reflet en haut
Ainsi le tondo, qui attire notre attention sur le Secret, a pour sujet profond une modalité du Reflet, bien évidente quand on compare la Marguerite argentique à ses répliques de papier et de plâtre : celle par laquelle l’oeuvre d’Art est capable de reproduire et de transcender le Réel.
L’ambiguïté du masque vient servir ce renversement de sens : « Psyché » n’est-elle pas un miroir ?
Secret en bas
Qui n’a rêvé de percer le mystère des façades, des arcades bouchées, des sombres vitraux ? Le dessin du bas nous montre un barrage – le mur, renforcé d’un cryptage – le reflet brouillé.
Il est dédié au Secret désespérant que les hommes ne s’avouent qu’entre les lignes des vieux livres :
la connaissance du Réel est illusoire.
Le Secret révélant un Reflet, le Reflet révélant un Secret : ce retournement rusé nous fait expérimenter le point de vue symboliste sur le Monde.
Si nous ne pouvons pas le déchiffrer, du moins pouvons-nous le transcrire ;
si nous ne pouvons pas le comprendre, du moins pouvons-nous le refléter,
et répercuter dans nos Arts l’écho voilé de ses symboles.