8Le jeu de la lumière à travers un champs de mais. La soirée qui s'avance doucement. Je suis un chemin agréable, dans les tous derniers kilomètres des 40 que j'ai parcouru aujourd'hui. Je cours, d'une foulée un peu raccourcie par les kilomètres mais tout de même. Une fugace impression d'être en accord avec le terrain et le sentier, de ne faire qu'un avec lui. C'est une des très, presque trop nombreuses pour les écrire toutes içi des "instantanées" qui resteront dans ma mémoire à l'issue de cette si riche journée où le modeste pèlerin que je reste aura été accueilli et fêté comme jamais, pas uniquement par la terre des sentiers mais aussi par les gens qui la font vivre.
En repartant de Pont Saint Martin ce matin, ma foulée n'est déjà pas solitaire: Stefano m'accompagne à pied ce matin et Roberto est revenu pour partager encore cette étape avec nous jusqu'à Ivrea.
Le soleil est voilé par des nuages qui donnent un peu de pluie et rendent notre parcours un peu glissant, sur les petits sentiers assez "techniques", et qui sont surtout des variantes au tracé principal, mais pas toujours. Nous allons de vignes en villages. Devant nous, la vallée s'ouvre. Les montagnes se font collines et on devine la plaine qui apparaît à l'horizon. En me retournant, je peux dire au revoir au Val d'Aoste. Nous sommes maintenant dans le Piémont.
Le profil reste de creux et de bosses pendant un temps. Nous descendons même sur un sentier bordant un site d'escalade avant de nous arrêter prendre un café dans un petit établissement où Stefano est connu comme le loup blanc.
Après cette première pause, nous repartons tous les trois, devisant en français et en italien (je fais quelques efforts pour baraguiner cette belle langue que je n'ai malheureusement jamais apprise mais bon je pense m'en sortir presque correctement), sur un chemin devenu plus plat.
Le château de Montalto se dessine bientôt. Comme une course y est organisée ce matin, nous avons prévu d'y monter pour rencontrer les coureurs et les organisateurs. En plus, ce domaine privé n'est ouvert que pour l'occasion. Une bonne raison d'ajouter un gros kilomètre à l'étape du jour pour admirer ce site qui domine la vallée. Nous nous offrons même un autre détour pour voir un lac, sur le parcours de la course, juste avant. L'étape reste assez courte et à ce rythme je peux me permettre des arrêts et quelques détours sans crainte d'arriver trop tard.
Parvenu en haut, dans la cour du château fort où est jugée l'arrivée de la "gara", je suis plus que bien accueilli. Le speaker et Stefano explique au public ma démarche sur cette Via Francigena. De nombreux concurrents me souhaitent bonne chance avec un enthousiasme naturel et vraiment chaleureux. Nous retrouvons là également Carmella, qui nous avait accompagné hier et vient de terminer l'épreuve en bonne position. Roberto, qui fut un bien agréable compagnon de route ces deux derniers jours, nous quitte içi.
Après un repas pris avec les coureurs, c'est amusant de retrouver une ambiance de course en plein voyage, je repars vers Ivrea en compagnie de Stefano.
Quelques foulées nous amènent aux portes de la ville. Stefano la connais très bien. Il y a grandi et quand il n'est pas en voyage, c'est à dire assez peu de temps dans l'année avec son métier de guide et ses activités d'organisateur de courses, il y habite encore dans la maison familiale.
Ivrea, comme me l'explique Stefano, a connu des années 50 à 80 un âge d'or car c'était le siège de l'entreprise Olivetti. Sergio, son père, comme tant d'habitants içi, a fait toute sa carrière au sein de cette maison familiale qui faisait beaucoup, socialement parlant, pour ses employés. La fermeture de la firme a laissé un grand vide même si la ville n'est pas tout à fait en sommeil et que les énergies soient encore nombreuses.
Nous montons vers le château, qui domine la ville, puis passons par le centre ville. L'architecture a changé par rapport au Val d'Aoste. Les toits sont de tuiles et les rues me semblent plus typiques de ce qu'un français entend par italien.
Un passage par la maison familiale, où Stefano reprend son vélo, plus tard et nous voilà reparti. Je trottine encore à bonne allure en laissant la ville pour aborder une campagne qui devient plus plate et agricole, même si le parcours livre encore de jolies côtes car il suit les collines moreniques typiques de l'endroit. Stefano, qui a fait des études de géologie avant de se tourner vers le tourisme et l Outdoor, m'explique très bien qu'il y a 25000 ans se terminait ici un immense glacier qui a laissé des pierres venues du Mont - Blanc jusqu'ici en se retirant sous l'effet d'un réchauffement climatique. Dans le genre, c'est l'amphithéâtre morenique le mieux conservé au monde.
Nous allons ainsi jusqu'au village de Piverone, et je m'arrête pile derrière la porte médiévale qui délimitait autrefois l'enceinte de la ville.
Sergio nous attend là. C'est la fin de l'étape, que j'ai donc rallongé par rapport à ce qui était prévu pour mieux équilibrer mes journées. Mais avec la possibilité de revenir dormir à Ivrea, grâce à l'automobile de Sergio, je peux me permettre ce luxe.
C'est d'ailleurs un "pèlerin grand luxe" que je suis ce soir. A Ivrea, Stefano et l'office de tourisme ont organisé une conférence de presse et une présentation publique de mon parcours. Stefano, qui fait décidément un exceptionnel travail de promotion içi, présente donc ma démarche et je complète la présentation photographique par quelques phrases en franco-italien. Ma démarche, qui est plus celle d'un voyageur un peu particulier que d'un sportif épris de records, est très bien accueillie. Dans le Piémont, on croit vraiment au développement de la Via francigena, à l'instar du Saint Jacques, et à la diversité du public qu'un tel parcours peut inspirer. Mon voyage est içi senti comme une source d'inspiration possible et j'en suis touché.
Parmi le public, je rencontre les membres de l'association locale qui s'occupe du balisage et de l'entretien de la Via francigena. Un journaliste qui semble bien apprécier mon travail et ce blog m'interroge. Carmella est là également.
Je dine ensuite bien agréablement dans le centre ville, en compagnie de Stefano et de ses parents. Alphonson, un coureur vétéran de très bon niveau, et la jolie Eleonora, une amie de Stefano qui travaille aussi pour le tourisme régional et nous a facilité cet accueil, se sont joints à nous.
Dehors, le vent s'engouffre dans la vallée et cette soirée me rappelle un peu celle de mon arrivée au Puy en Velay sur mon chemin de Saint Jacques. Mais mon arrivée là bas était plus solitaire et plus tardive.