Kinderzimmer – Valentine Goby

Par Theoma

Être une femme prisonnière des camps. Être une femme enceinte prisonnière des camps.

J'ai hésité à lire ce roman. Non pas en raison du sujet mais du fait que La note sensible, le premier roman de l'auteure, ne m'avait pas laissé un souvenir impérissable. Et puis, je me suis rappelée cette atmosphère. Cet appartement, et ce son... ce violoncelle dont j'entends encore la musique aujourd'hui. La mémoire d'une lectrice n'obéit à aucune règle. Valentine Goby m'avait donc laissé une mélodie durable alors que j'étais persuadée du contraire.

J'ai eu, alors, très envie de découvrir le chemin parcouru par l'auteure et je ne fus pas déçue. Même impressionnée. Le sujet auquel elle s'est attaquée comprend de nombreux écueils. Sans démagogie, ni misérabilisme, l'écrivaine réussit à donner vie à Mila, Lisette, Tania, Suzanne... ces femmes que l'Histoire a, une nouvelle fois, oublié.

Durant ma lecture, les propos de Marceline Loridan-Ivens, intervenant dans feu l'émission du Grand entretien sur France Inter (5 moments de radio marquants et indispensables) ne m'ont pas quittée. Si cette dernière démystifie la vie quotidienne des camps et le manque de solidarité de l'espèce humaine, Valentine Goby a choisi la fiction et, donc, l'espoir. L'écriture fait preuve d'une grande maîtrise. Pourquoi l'auteure n'a-t-elle pas été nominée pour le Goncourt 2013 ? Un mystère.

Kinderzimmer est un roman d'une grande force qui se lit en apnée et qui renforce notre incompréhension du monde. Le basculement vers la terreur, la douleur et l’humiliation des femmes. Un roman exigeant, intense et remuant qui balance continuellement entre la lourdeur de son sujet et son écriture aérienne.

Actes Sud, 224 pages, 2013

Extraits

« Contre toute attente, ce qui arrive est une échappatoire, le ventre un lieu que personne, ni autorité, ni institution, ni parti ne peut conquérir, coloniser, s'accaparer tant que Mila garde son secret. Elle y est seule, libre, sans comptes à rendre, on peut bien prendre sa gamelle, voler sa robe, la battre au sang, l'épuiser au travail, on peut la tuer d'une balle dans la nuque ou l'asphyxier au gaz dans un camp annexe, elle les a eus, les Boches ; plus qu'un enfant c'est bien ça qu'elle possède : une zone inviolable, malgré eux. »

« Les femmes des paillasses du bas chuchotent.

- Moi je rêve de mon homme.

- Tu viens d'arriver. Attends un peu la faim. Tu rêveras de manger.

- Et puis un jour tu tombes les os brisés sur ta paillasse, et tu t'enfonces dans le sommeil comme la pierre dans l'eau. Moi je ne rêve plus.

- Et moi je dis vos becs, les mouettes. »

L'avis de Brize qui renvoie vers d'autres liens.