Dégustation éclectique entre vignerons

Par Eric Bernardin

C'était la belle idée qu'a eu mon ami Jean-Loup à l'occasion du salon du vin et de la Gastronomie de Bourges : inviter quelques vignerons y participant pour une soirée conviviale. Le billet d'entrée ? Une bouteille de leur choix. Je ne suis pas vigneron, mais j'ai été condamné à la même "taxe" pour participer. Une seule consigne : pas un Grand Cru. M... pas sympa, le Jean-Loup, je n'ai que ça en cave.  

Evidemment, Nicole a apporté sa patte, même si elle a fait beaucoup plus simple que d'habitude. Nous nous somme toutefois régalés, et n'étions pas affamés en sortant de la cave de Jean-Loup. 

Pas de repas dans le Berry sans galette aux pommes de terre. Ce n'est pas fait pour me déranger : cela me rappelle des souvenirs d'enfance lorsque j'habitais dans la région. Nous l'avons mangée avec une "bulle". La robe est or pâle. Le nez évoque la pomme, le coing, le caillou humide. La bouche est tendue, avec des bulles un peu strictes, pour se finir plus en douceur, sur des notes de fruits mûrs et d'épices. En se réchauffant, le vin devient plus rond et aimable. Il devient vraiment agréable, même si ce n'est pas d'une complexité folle. C'est un Crémant de Loire (100 % Chenin) du domaine de la Cune.

Nous continuons sur un vin blanc "tranquille". LA robe est dorée. Le nez offre des notes de frangipane, de poire confite, de mirabelle. La bouche est ronde, fraîche, donnant l'impression de croquer dans la pulpe de la baie de raisin. Par contre, ça finit un peu chaud, sur des notes réglissés. Un peu dommage, car c'est plutôt sympa. Je partais plutôt sur un Rhône Sud. Pas du tout : c'est un Chardonnay 2012 produit dans les Charentes par le Domaine de Montansier (qui produit aussi du Cognac). 

Nous avons poursuivi les festivités avec du boudin et un quatrième vin : la robe est couleur paille. Le nez puissant évoque le fruit de la passion, le citron, la menthe et la craie humide. La bouche est dense, charnue, presque tannique, avec une mâche étonnante pour un vin blanc. La finale est très expressive sur des notes mentholées. Ca sent le Kimmeridgien, maizou ? À Sancerre, of course : Clos de Beaujeu 2009 de Gérard Boulay.

Le vin suivant s'est avéré bouchonné. Dommage pour le Pouilly-Fuissé.

Un remplaçant lui succède : la robe est pâle.  Le nez est sur l'agrume et la coquille d'huître. La bouche est ample, pure, avec une belle tension, sur des notes citronnées et fumées. La finale a une belle mâche "calcaire" qui sent aussi son kimméridgien. Ce serait un Chablis que ça m'étonnerait pas. C'en est un : 1er Cru Fourchaume 2008 du domaine Roy. (je ne savais même pas qu'il existait, ce domaine...)

Sur des excellentes charcuteries, nous passons aux rouges. Nous démarrons par un vin à la robe pourpre violacée. Le nez est très fruité, sur le cassis, la framboise, et une touche poivrée. La bouche est ronde et fraîche, avec des tannins souples, veloutés. La finale est elle aussi très fruitée, et sans aucune dureté. Nous partons tous sur du Cabernet, qu'il soit Franc ou Sauvignon. On reste dans la même famille, puisqu'il s'agit d'un Merlot (fils du premier et demi-frère du second) du même producteur que le Chardonnay : le domaine Montansier. Cette gourmandise vaut six euros. Un très bon rapport qualité/prix.

Le suivant a une aromatique assez proche, si ce n'est un peu plus poivrée/poivronnée. Là, c'est forcément du Cabernet-Franc ! La bouche s'avère plus dense, plus mûre, avec des tannins presque moelleux, mais parfaitement tendue par une acidité totalement intégrée. Une merveille d'équilibre qui pourrait servir de modèle aux vins de Loire. Il faut dire que c'est probablement l'un des plus beaux millésimes en rouge de ces vingt dernières années : c'est un Saumur 2005 du domaine de la Cune.

Avec une daube de canard accompagnée de gnocchis dodus et dorés, encore deux autres rouges. 

Le premier a un nez très mûr, avec des notes d'élevage et de sous-bois. Sa bouche est ample, douce, avec une matière séveuse, sensuelle, et suffisamment de fraîcheur en arrière-plan pour l'équilibrer. La finale est très épicée, avec un côté résineux assez surprenant. Une sacrée personnalité ! C'était quasiment impossible à trouver, puisque c'est un Côtes du Vivarais 2005, produit par le meilleur vigneron de l'appellation : Alain Galletty

Le second (pas pris en photo...), je le connaissais un petit peu, puisque c'est moi qui l'ai amené. Le nez est marqué par les fruits noirs très mûrs, limite confits, avec une touche d'épices. La bouche est toute en longueur avec une matière dense et fraîche, d'une grande tonicité, sans aucune aspérité. La finale est pêchue, rafraîchissante, joyeuse. Que du bonheur ! C'est donc un Irouléguy Haitza 2007 du domaine Arretxea.

Avec le Comté et la tête de moine, c'est obligatoirement vin blanc

Nous démarrons avec un vin à la robe plutôt claire et au nez expressif sur le citron confit, la résine et la fumée. La bouche est droite, pure et dense, avec une mâche qui monte crescendo jusqu'à une finale un peu trop chaleureuse, faisant retomber un peu le plaisir que l'on a à le boire. Dommage. Le millésime 2003 de ce Pouilly-Fuissé (en magnum) du domaine de Pouilly explique en partie ce déséquilibre.

Nous poursuivons par un vin qui ne cache pas ses origines, avec ses arômes de morilles, de curry, de froment grillé. La bouche est ample, douce et harmonieuse, d'une grande intensité aromatique, avec une acidité à la fois présente et totalement invisible. L'équilibre est absolu. La finale elle-même réussit à être explosive et douce à la fois, sans la moindre violence. Vous en prenez plein la gueule, mais vous souriez béâtement. Du très beau Vin jaune que ce 2005 du domaine des Marnes blanches (à 25 € la quille, c'est vraiment cadeau).

En dessert, une tarte aux pommes à la pâte bien croustillante, et évidemment, un liquoreux. Sa robe est d'un or intense. Le nez évoque l'orange confite, l'ananas rôti, la poire bien mûre, avec une touche de safran. La bouche est pure, élancée, avec une matière onctueuse et fruitée, sans lourdeur. La finale épicée est un chouïa trop sucrée pour mon palais. Mais c'est tout de même bien au-dessus de pas mal de Sauternes (car c'en est un, avec 40 % de Muscadelle, ce qui est rarissime). C'est la cuvée Emilie 2011 du Clos le Comte.

C'était la belle conclusion d'une soirée à la fois improvisée et menée de main de maître par l'ami Jean-Loup. C'était une riche idée de se faire rencontrer et déguster des vignerons qui se côtoient dans un salon sans avoir forcément le temps de faire connaissance. Je crois qu'ils en ont tous été ravis. 

La qualité générale était bonne et homogène, avec souvent des rapports qualité/prix assez époustouflants. Les amateurs pointus que nous sommes avons parfois tendance à chercher midi à quatorze heures alors qu'il y a plein de petits domaines méritants qui passent totalement inaperçus. Je m'en suis d'ailleurs aperçu en faisant un tour à ce salon. Il y avait des pépites à 6-8 € dans pas mal d'appellations.

De gauche à droite : les vignerons charentais, saumurois et sauternais (le plus à droite n'est pas vigneron)