Pour conquérir la liberté, il faudra lutter contre le Bien
Publié Par Baptiste Créteur, le 9 novembre 2013 dans ÉditoLes Français sont de plus en plus nombreux à oser se dresser contre de nouvelles lois, mesures, règlements qu’ils jugent injustes. Sommes-nous à la veille d’une révolution libérale ?
Entre les Bonnets Rouges qui lancent un ultimatum au gouvernement pour la suppression définitive de l’écotaxe, les cavaliers qui refusent une augmentation de TVA qu’hippique et les Tondus qui annoncent des mouvements pour le 11 Novembre, les mouvements visibles sont nombreux.
Mais le plus grand changement est invisible, s’opère dans les esprits des Français qui se lèvent non pas dans la chaleur des manifestations et mouvements d’opposition, mais seuls contre la froideur implacable de la machine bureaucratique. Seuls, car c’est un combat qu’ils sont nombreux à mener mais qui les isole, les sépare ; aussi nombreux qu’on soit, face à l’administration, on est un individu, un matricule, on est seul.
Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à s’attaquer aux URSSAF ; la gourmandise de l’administration n’y étant pas pour rien. Les entrepreneurs, indépendants et salariés sont de plus en plus nombreux à quitter la Sécurité sociale. Les Tondus font la grève du RSI. D’autres suivront.
Et l’implacable machine en écrasera certains. Elle les broiera, les assommera sous les Cerfa, leur crachera ses codes et redressements au visage, les déshabillera. Quand on menace de lui couper les vivres, l’État vous coupe le bras, les jambes, la tête. Il vous ampute de votre énergie, de votre temps, de vos revenus, de votre patrimoine, plus que d’habitude. S’assure que vous ne vous relèverez pas. Le combat pour la liberté est risqué.
Et ceux qui se lancent le savent. Ils savent ce qu’est un redressement, ils suivent les aventures de Laurent C. qui a quitté la Sécu et sont conscients que ce n’est pas une sinécure. Ils se lancent pourtant. Pourquoi ?
Les ministres l’évoquent à demi-mot, les collectivistes tentent de lutter depuis leurs autocars syndicaux ou leurs tribunes : le consentement à l’impôt est menacé s’il n’est pas déjà rompu, le lien national est fragile si tant est qu’il ne soit pas brisé. Le point de saturation est atteint.
Les politiciens hésitent entre deux réactions, deux stratégies. C’est tout le système qui se repositionne. Certains veulent durcir la répression, les autres veulent la canaliser, la reprendre à leur compte. Deux députés, deux attitudes : Jean-Jacques Urvoas et Marc Le Fur ont chacun choisi leur camp, leur combat ; l’un veut maintenir sa place dans le système en place, l’autre veut assurer sa place quoi qu’il advienne.
Mais s’il est aujourd’hui une place vacante, c’est celle de leader : aucun chef ne se dégage, aucun porte-parole. Chaque mouvement a ses responsables, ses organisateurs, mais la contestation n’a pas d’autre visage que celui des Français. C’est un bon signe, mais aussi un risque.
Un bon signe parce qu’il témoigne de la spontanéité du mouvement, qui déplait aux habituels organisateurs de manifestations, fêtes au village et séquestrations festives. Mais un risque parce que les politiciens sentent l’appel d’air d’une part, et que les Français pourraient être tentés de chercher un homme providentiel (ou une femme, peu importe). L’homme providentiel, c’est vous.
Et si la place est vide, c’est parce que les Français sont dans une impasse. Une impasse idéologique, un cul-de-sac de la pensée : ils comprennent que l’État est la source de plus en plus directe de leurs problèmes, mais ne peuvent pas penser de solutions sans lui. L’État, qui légitime tout en donnant à tout une « base démocratique », qui détruit l’opposition en faisant auprès des récalcitrants de la « pédagogie », qui est tellement bon et protecteur qu’on ne peut douter de ses intentions. Comment en vouloir à des despotes bien intentionnés ? Comment lutter contre la pensée unique si elle est bienveillante ? Comment refuser de prendre part aux festivités, à l’accomplissement du bien, à l’anéantissement du mal ? Comment s’opposer à une dictature de la bonne conscience, au monopole des bonnes intentions, à l’altruisme érigé en système ?
Droite et gauche sont empêtrées dans le même piège : la dictature de la volonté générale bienveillante. Leurs avantages et privilèges mis à part, les hommes politiques sont sincères, les syndicalistes aussi, et veulent le bien pour l’humanité – leur vision du bien.
Pour rassembler, on demeure vague, et les mots employés plaisent à tous ; comment refuser la justice, la dignité, le courage, l’optimisme ?
Il y a de nombreux obstacles intellectuels, de nombreux périls idéologiques sur le chemin de la liberté. Les Français devront affronter le camp du bien.
Car à leurs revendications de liberté, on leur opposera le besoin des autres, le sens du devoir, le sacrifice altruiste, l’humanisme dont chacun doit faire preuve et faire la preuve. S’ils veulent faire plus que sortir la tête de l’eau, s’ils veulent qu’on leur laisse une part supérieure des fruits de leur travail au strict nécessaire pour survivre et faire vivoter leurs entreprises, ils devront mettre à bas la morale altruiste, refuser le devoir de charité. Refuser que la solidarité soit un devoir, qu’il soit obligatoire d’aider son prochain tant qu’on a plus que lui. Non pas refuser d’aider, mais refuser d’y être forcé ; quand la force se veut juste, c’est à ce prix qu’on la combat.
Sinon, les Français peuvent toujours se lancer dans un combat contre l’impôt qui les vise, pas contre l’impôt en soi ; contre les réglementations qu’ils jugent excessives, pas contre l’excès de réglementation en tant que tel ; contre l’injustice qu’ils subissent, pas contre celle qu’ils commettent ou dont ils bénéficient. Mais alors, ils resteront à la merci du tyran collectif, de la société bien pensante et de ses chiens de garde médiatiques, politiques, syndicaux, associatifs. Leur liberté sera autant entravée par les lois explicites que par les règles implicites, et ils ne pourront qu’espérer diriger les chaînes et les coups de massue fiscale vers d’autres.
Ils ne pourront qu’espérer alors que le « projet de société » unique retenu sera le leur, ou un projet qui les arrange, mais pas s’affranchir de l’idée dangereuse qu’il ne doit et ne peut y avoir qu’un seul projet pour toute la société.
Ce que doivent revendiquer les Français, ce n’est pas un nouveau projet de société, c’est la fin du projet de société ; l’éclosion de la multitude, le bourgeonnement et la fructification de leurs projets personnels qu’ils pourront porter ensemble s’ils le souhaitent mais qui ne les écraseront pas. Le foisonnement harmonieux des individus contre l’uniformité famélique du collectif, la danse des potentiels réalisés, des accomplissements en puissance et des épanouissements en cours plutôt que la marche cadencée et grégaire vers le précipice commun qui nous recouvrira tous de taxes, de règles et de bonnes intentions.
S’ils veulent s’affranchir de l’uniforme, les Français devront lutter contre le Bien, ou plutôt contre l’obsession dévastatrice de sa poursuite. Alors, et alors seulement, ils feront le bien. Et surtout, ils seront libres, et pourront tâcher d’être heureux.
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