Ce soir on joue les Blacks. C’est le frisson suprême. Une montée d’adrénaline rugbystique à nulle autre pareille. Un état d’euphorie incontrôlable, une fièvre d’espoir débile qui sévit de façon particulièrement violente les semaines de test-match dans les couloirs de la rédaction du Midi Olympique, poussant des journalistes drogués à l’émotion ovale à ressasser la poignée de victoires tricolores en cent ans de rencontres.
Par notre spécialiste rugby Peyo Greenslip Jr
Cette euphorie atteint son paroxysme à deux moments : celui de la Marseillaise, rapidement calmée par le haka, puis celui du coup d’envoi, lorsque la clameur du stade de France accompagne Pascal Papé, les yeux injectés de sang, qui fonce sur son vis-à-vis les bras écartés en lui hurlant des insultes que même Bernard Laporte n’ose pas employer pour engueuler ses joueurs à la mi-temps. Après 40 minutes, l’euphorie s’est déjà transformée en un énorme doute. Au bout de 80, elle n’est plus qu’un mélange de dépit, de douleur et d’abattement, dont l’amertume est proportionnelle à l’ampleur du score. Ainsi, le millésime 2006 fut particulièrement indigeste, la faute à un vilain arrière-goût de 47 à 3.
Raphael Ibanez était sur le terrain ce jour-là. Peut-être son corps lui rappelle-t-il de temps à autre combien les avants français avaient morflé ce soir-là. On peut donc raisonnablement supposer qu’en prenant l’antenne ce samedi soir, Raphaël se donnera la peine de gentiment tempérer l’optimisme imbécile de Matthieu Lartot. Il lui rappellera que les internationaux néo-zélandais jouent au maximum 20 matchs dans l’année quand les nôtres en sont à 40 avant la tournée-suicide de juin, qu’ils ont 4 mois d’été pour faire une vraie prépa physique quand les nôtres ont 3 semaines, que le système de jeu all-black se perfectionne à longueur d’année quand l’équipe de France se réunit juste assez pour que Florian Fritz ait le temps de réviser la croisée 10-12.
Raphaël ira peut-être même jusqu’à expliquer que les All Blacks ont une technique individuelle supérieure, il nous dira qu’en Nouvelle-Zélande on forme des joueurs de rugby avant de former des spécialistes d’un poste, que leurs deuxièmes lignes seraient demis d’ouverture chez nous, que l’incroyable gestuelle des Blacks leur permet de faire vivre le ballon comme aucune autre équipe, bla bla bla…. A cet instant, il faudra l’arrêter tout net. Ils sont plus forts physiquement ok, mais ça c’est des conneries. Si la dimension technique avait la moindre importance dans le rugby moderne, d’une, ça se saurait, et de deux, qu’on m’explique comment on a réussi à être à deux points du titre mondial en alignant Jean-Baptiste Poux et Nicolas Mas.
Il y a une autre explication à la supériorité manifeste des All Blacks. Elle tient en trois mots : Richie Mc Caw. Le capitaine néo-zélandais est le meilleur joueur du monde. Quand des joueurs moins talentueux sont tout bêtement hors-jeu, Richie est « à la limite de la règle». Quand certains pourrissent un ruck pour empêcher la libération du ballon, Richie, lui, est « très efficace dans le jeu au sol ». Richie n’use pas de la violence comme un de ces rustres de français. Lorsqu’il assomme le demi d’ouverture adverse, c’est d’un élégant enchainement genou-poing. Vous l’aurez compris, Richie est un joueur à part.
Comment gagner dans ces conditions? Philippe Saint-André se le demande bien. Au lieu de perdre du temps à réfléchir en vain à une stratégie pour battre les Blacks, il préfère préparer un long discours d’après-match bien dépressif, qui collera parfaitement avec le ton naturellement pleurnichard de sa voix. Le Vestiaire a décidé de prendre les choses en main. Ni euphorie, ni défaitisme, il faut élaborer un plan de bataille crédible et se battre avec les armes qui sont à notre disposition. Ils sont invaincus depuis un an ? Cette statistique annonce l’imminence d’une défaite. Ils sont meilleurs que nous ? C’est pas vraiment nouveau. Nos plus fins analystes rugby ont étudié, mesuré, benchmarké toutes les options possibles. Après cinq minutes d’intense réflexion, et en supposant que l’état actuel des connaissances scientifiques ne permet pas de cloner 14 fois Louis Picamoles, seules trois stratégies nous paraissent en mesure de faire gagner l’équipe de France. Le Vestiaire est fier de vous les présenter :
Option 1 : La Spécialité Locale. Grève de la RATP + opération blocage des taxis, le bus des All Blacks reste bloqué sur le périph’ jusqu’à 2h du matin, victoire par forfait. C’est pas très classe mais ça fait du bien aux statistiques, et le Pays dit merci à la RATP pour la première fois depuis…euh ben pour la première fois.
Option 2 : La Nantes 1986. Ambiance électrique au sortir des vestiaires, Florian Fritz pète le premier plomb, bagarre générale dans le couloir. Rebelote dès la première minute de jeu, Yoann Maestri déclenche involontairement la seconde partie de manivelles grâce à son célèbre déblayage-coup-de-boule-à-20-cm-du-sol. Le match se termine à 6 contre 4, les Blacks abandonnent à 3 minutes du coup de sifflet final après le décès sur le terrain de Richie Mc Caw, dont la boite crânienne visiblement défectueuse n’a pas résisté au saut à pieds joints de Pascal Papé.
Option 3 : La Mondialette. Les jardiniers du stade de France arrosent le terrain toute la journée, on fait des mêlées toute la soirée dans un bon vieux bourbier, victoire 6 à 3 pour Nicolas Mas, vive la France.
Pendant ce temps-là, le Sénat juge le projet de grand stade dédié au rugby « déraisonnable ». A notre humble avis, le qualificatif « déraisonnable » désignerait à merveille le régime alimentaire de Serge Blanco. En revanche, pour ce qui est du projet de stade de 80 000 places, à 1 milliard d’euros, qui sera utilisé 5 fois de l’année, nous avions pensé à un autre descriptif : connerie sans nom de projet mégalo qui pue le détournement de fonds publics et les magouilles typiques de ces vieux débris de dirigeants du rugby français. Simple question de vocabulaire.
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