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En 2019, la science et la télé-réalité s'unissent pour ce qui ressemble au pari blasphématoire le plus insensé de l'histoire de l'humanité : prélever un peu de l'Adn du Christ sur le Saint-Suaire, afin de mettre au point un clone, qui grandira sous les caméras malveillantes de l'émission J2, entièrement régie par un certain Slate, caricature putride de ce que les networks américains produisent de pire. Pour pousser la similitude à son paroxysme, c'est une jeune fille de 17 ans, vierge, qui est choisie sur casting, afin de devenir la mère porteuse du bébé Messianique. Dès la naissance, il est clair que les deux, enfant et génitrice, sont les prisonniers d'un système médiatique et commerciale dont ils sont les vaches à lait. Slate s'est chargé lui même d'éliminer la soeur jumelle du Christ nouveau (qui prend le nom de baptême de Chris) qui aurait mis à mal les attentes de toute une religion. Les fondamentalistes se jurent de mettre fin à l'émission, par tous les moyens, tandis que l'audience explose, après des rebondissements aussi sordides que pathétiques, comme de présumés miracles (le petit Chris qui parvient à la lancer des messages avec ses cubes de construction, ou à changer du jus de fruit en vin) ou des accidents de parcours (Chris ne marche pas sur l'eau, il manque de se noyer dans la piscine). Gwen, la jeune maman, tente par tous les moyens d'en finir, de s'échapper, mais elle se heurte à des conditions carcérales éprouvantes, et à l'imbécillité du monde extérieur, qui ne lui laisse aucune chance de vivre une autre existence. A peine parvient-elle à trouver un ami dans le bodyguard en chef du projet J2, un certain Thomas, orphelin, dont les parents (membres de l'I.R.A, groupuscule terroriste irlandais et catholique) ont été abattus par les exaltés protestants. Thomas est là pour se racheter et protéger le nouveau Christ, qui va petit à petit trouver le moyen de s'émanciper, grâce au courage et à l'entêtement de sa mère principalement, mais aussi de la scientifique responsable de sa naissance, qui lui sert de nourrice et d'éducatrice. Lorsqu'une nouvelle vie commence, c'est dans la musique, et le punk, que le Messie attendu refait surface, clamant haut et fort son rejet, son dégoût, de l'Amérique consumériste et bigote.
Cherchez bien, vous ne trouverez pas, nulle part, une vraie critique négative de ce Punk Rock Jesus de Sean Murphy. Et pour cause, il s'agit vraiment d'un excellent album, dont l'achat me semble parfaitement indiqué. L'auteur y aborde de front divers thèmes brûlants et sensibles, comme le fondamentalisme religieux, l'omniprésence de médias infantilisant, les relations père/mère/fils, l'esprit même de ce qui définit la société américaine (mais aussi irlandaise). Le tableau est noir, très noir. Les personnages qui apparaissent semblent même constituer autant de caricatures granitiques, et ne jamais dévier de ce vers quoi ils paraissaient destinés, dès le départ (Slate est une ordure et le restera, la maman une victime, et le restera), mais ils sont présentés et développés avec une minutie et un talent tels que cela ne constitue pas un handicap, mais une autre façon de crédibiliser le récit et de le rendre attachant et fonctionnel. La religion est bien entendu remise en cause, dans ses dérives, ses dogmes, mais à travers elle c'est une attaque en règle au système de vie américain qui est mis sur pieds, et qui se retrouve disséqué, dénudé, fragilisé. Le punk pourrait être perçu comme un simple artifice narratif, mais ce n'est pas le cas. La vie de Jésus Christ, telle que présentée dans les Évangiles, est un parcours contestataire, de l'ordre établi, de la fausseté et de l'hypocrisie de son époque. A travers cette rébellion musicale et adolescente, le jeune Chris est à la fois l'étendard d'un âge et d'une jeunesse paumée, spoliée de ses rêves, et une figure moderne du Messie lui même, lorsqu'il tente de dénoncer l'imbécillité d'une foi aveugle et meurtrière, aide les plus démunis, rassemble autour de sa personne. A tout ceci ajoutons les dessins, d'une beauté particulière, entre découpage agressif et nerveux, trait qui emprunte aux mangas et aux bonnes heures des comics années 90 (Whilce Portacio et Jim Lee synthétisés), dans une édition Urban Comics soignée et alléchante. Papier de qualité, excellente traduction et véritable savoir faire dans la mise en valeur de l'objet, c'est comme si la maison d'édition avait voulu vous indiquer la voie toute tracée vers un des cadeaux phares de cette fin d'année. En tous les cas, pour ce qui est de l'élection du meilleur album librairie comics de l'année 2013, en Vf, Punk Rock Jesus est un candidat fort sérieux, qui le temps de six épisodes rappelle oh combien se média peut se faire intelligent, fouillé, et interrogateur. Merci Sean Murphy. (et merci à Alpha Bd, à Nice, pour m'avoir "libéré" un album déjà réservé)