Avant ce matin, j’étais bien décidé à n’accorder que le minimum d’intérêt aux élections municipales. Elles sont encore bien loin, mais même à l’échelle d’une paisible petite maison de retraite embourgeoisée comme Metz, les campagnes électorales se préparent à l’avance, à l’instar du sapin de Noël qui se gêle déjà les épines tout seul sur la place de la gare alors qu’on aurait aussi bien pu le laisser grandir avec ses congénères en attendant le jour J (voire mettre carrément des guirlandes autour de la gare et laisser le brave conifère là où il était).
Seulement voilà, il se trouve que j’ai une boîte à lettres. Comme son nom l’indique, c’est une boîte généralement située à l’entrée d’un immeuble, et qui remplit le même office qu’une adresse email. Chaque jour, des quidams garnissent la boîte à lettres de factures ou de prospectus, alors même qu’un autocollant fait remarquer au préposé à ce genre de pollution qu’il peut se les garder et se les mettre où ça lui fait le plus de bien. Le plus souvent, le prospectus est un catalogue de victuailles que « si tu trouves moins cher ailleurs on te rembourse la différence » selon la formule consacrée. Il peut s’agir également des divers magazines émanant de chaque échelon de l’administration, du comité de quartier à la région. Plus exceptionnellement, quand la saison s’y prête, au milieu de détritus vantant les mérites de la pizzeria du coin et des pouvoirs magiques du médium du bout de la rue, se glisse un feuillet où de jeunes naïades en sous-vêtements prêtent leurs courbes à un margoulin du prêt-à-porter.
En dehors de cette trop rare bonne surprise, on observera que jamais on ne trouve dans sa boîte à lettres une bouteille de vin offerte parune admiratrice secrète, ou une invitation à venir célébrer la mort d’un ennemi. C’est pourquoi je ne la relève en général qu’une fois par semaine. Or, justement ce matin c’était le jour du courrier. Et parmi les monceaux de papier, nulle naïade mais un tract que j’allais jeter négligeamment dans la poubelle réservée à cet effet avant de me raviser. En effet, je trie mes déchats de la façon suivante: dans un sac les publications à vocation commerciale, dans l’autre sac les programmes électoraux.
Le papelard en question, vous l’avez certainement reçu aussi si vous créchez à Metz. (et pas sur Metz, comme de trop nombreux infirmes de la syntaxe persistent à le dire). Au recto, dix portraits de braves gens souriants s’enroulent autour du message « Rejoignez-nous contre l’abstention », message suivi d’une adresse mail invitant à signer une pétition pour lutter contre les renégats qui ne votent pas. Au verso, la photo d’un jeune homme qui à l’air parfaitement sympathique si ce n’est le même vague air de vendeurs de bagnole qu’arborent les gens qui persistent à porter des costumes pour faire sérieux. Le jeune homme en question s’appelle Yoan Hadadi, et après de brèves recherches il s’avère être Vice-président du mouvement Ré-génération et membre du Parti Socialiste. Sur son blog, « République, j’écris ton nom », il nous explique le pourquoi du comment il ne faut pas s’abstenir.
Mais qu’est-ce qu’ils ont tous avec l’abstention? Ca les embêterait de se remettre en question et de se demander pourquoi les gens s’abstiennent au lieu de faire des pétitions aussi efficaces qu’un écologiste au gouvernement? J’ai déjà entendu dire dans une réunion politique que si le Front National était si présent, c’est la faute des abstentionnistes. M. Hadadi va encore plus loin en écrivant que l’abstentionnisme, c’est donner le pouvoir aux extrêmes (les alliés de gauche du PS vont être contents de le savoir).
Je ne vais pas reprendre point par point l’argumentation oiseuse du pamphlet, mais au moins les grandes lignes:
- les abstentionnistes ne sont pas les alliés objectifs du Front National. En revanche, poursuivre la politique de rigueur économique au mépris du bons sens, laisser Valls faire du Sarko au ministère de l’Intérieur, et promettre « le changement maintenant » pour le résultat que l’on sait a sans doute déjà plus fait pour la montée des fachos que l’évitement des urnes. Et l’abstentionnisme peut s’interpréter comme le refus d’être complice de ces politiques qui ne varient jamais. Evidemment le PS n’en est pas le seul responsable. Mais avant que de vouloir aller chercher les électeurs potentiels sous la couette, il faudrait déjà leur proposer des idées neuves.
-M. Hadadi souhaite que nous ne laissions pas les extrémistes salir notre Histoire. Sans vouloir le décevoir, ça fait déjà un moment que les extrémistes font partie de l’Histoire, ce sont même des obsédés du passé. On ne peut pas les en exclure sous prétexte qu’ils ne collent pas à l’image de bonne fille républicaine qu’on voudrait mensongèrement accoler à la France. La République elle-même s’est comportée comme une belle garce, à certaines époques pas si lointaines. D’ailleurs, parmi les gens qui s’abstiennent, figurent sans nul doute un paquet d’extrémistes de droite comme de gauche, puisque manifestement c’est la même chose pour les centristes du PS.
- les deux derniers paragraphes de l’appel à résister à la flemme du dimanche électoral confinent quant à eux au chef-d’oeuvre de chantage et de liturgie civique . Je vous les livre tels quels:
La République ce n’est jamais la division des Français. Pour faire de cette vérité de nos textes fondateurs, une pratique réelle à tous les niveaux de notre société, votons et engageons-nous !
Aussi, demandons-nous la prochaine fois qu’il nous viendrait l’idée de nous abstenir : quel citoyen éclairé de notre « République indivisible, laïque, démocratique et sociale » (Article Premier de notre Constitution) pourrait soutenir le FN sans états d’âme, fusse indirectement en s’abstenant ?
Souvent, on a pu croire que s’abstenir, c’est refuser de prendre part au vote.
Désormais, on sait que voter c’est continuer à faire Un.
Au-delà de nos différences, au-delà de nos convictions politiques, religieuses ou philosophiques ;
Ensemble, Républicains de France, héritiers d’une longue Histoire où la Liberté, l’Égalité et la Fraternité sont des piliers, où la Laïcité est un ciment, qui protège l’intime de chacun et conserve la liberté de tous ; nous nous engageons contre l’Abstention, cancer de la démocratie.
Sans déconner, c’est beau comme un épître aux Corinthiens. Ecartons le fait que la Moselle n’est pas un territoire laïc, et où donc nous n’aurions pas de ciment pour bâtir notre belle maison de la République. Par contre, il est clair et net que je n’ai pas envie de faire Un avec tous mes concitoyens, ni avec personne. Mes convictions politiques et philosophiques me disent qu’il vaut mieux diviser, briser des liens et mettre le collectif au service de l’individu (de tous les individus) plutôt que de communier dans la médiocrité et de voter pour le moins mauvais candidat qui fera bien ce qu’il veut une fois son cul posé à l’endroit idoine. Je recommencerai à voter quand on ne confiera plus de pouvoir à personne, et quand la liberté et la République ne seront plus des chiffons qu’on agite pour attirer le chaland, et comme on nous le serine à chaque fois qu’un candidat FN arrive au second tour. Bref, quand la démocratie passera avant la République.
La devise de la République est d’ailleurs mal foutue: sans égalité et sans fraternité/sororité, il n’y a pas de vraie liberté, ce qui tend à prouver que personne n’est parfaitement libre. Ce n’est pas une raison pour en rajouter dans l’emphase propre aux socialistes quand ils agitent des grands principes pour faire croire qu’ils sont de gauche.
Ceci, étant dit, ami facteur ou amie factrice, quend tu passeras devant ma boîte à lettres, fais comme moi devant l’urne: abstiens-toi, et profite de la vie, ce qui est la seule bonne façon de faire de la politique et d’exercer sa liberté.