d'Albert Dupontel
La justice est aveugle, c'est pour cela qu'elle exècre les globophages.
Loin de présumer l'innocence enfantine avec laquelle ils gobent les yeux des autres comme l'électeur moyen avale les couleuvres d'un maquignon de la politique, elle ne voit en eux que des plaisantins de mauvais goût dont la monstruosité n'a d'égale que le la bizarrerie gastronomique. C'est une iniquité indigne de la patrie des droits de l'homme dont l'art culinaire est inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO.
Heureusement, Albert Dupontel répare cette injustice à travers un rafraîchissant conte d'Halloween qui ravit nos papilles carnassières et enchante nos pupilles sanguinaires.
Tout est dans la subtilité des images et le symbolisme élégant de l'intrigue propres à ce cinéaste délicat, qui nous transporte, à travers une allégorie de la nativité presque pasolinienne, du mal vers le bien, de la jouissance bestiale à la niaiserie parentale, de la crucifixion des mal-aimés au berceau des enfants de l'amour. C'est beau comme une crèche gothique !
Ange Gabriel des temps modernes, habillé de noir et l'esprit pas très sain, Bob le monstre met enceinte la justice, raide et virginale comme il se doit, qui, sous les traits de la juge Felder, s'étale à Pigalle et s'étiole aux Batignolles dans un moment d'égarement injustifiable et par conséquent condamnable par elle-même. « Aux innocentes le ventre plein ! », s'exclame le metteur en scène libertaire, qui ne peut s'empêcher de transformer sa fable nataliste en une virulente critique de notre appareil judiciaire et des mœurs déplorables qui ont cours à la cour dès que les femmes prennent le barreau en main.
Le diable se dévoile et réalise sur écran la vengeance utopique du délinquant opprimé qu'est chaque citoyen confronté aux formulaires des impôts et aux radars automatiques.
Ah, faire un enfant dans le dos à la justice ! L'engrosser à son insu ; déverser dans ses entrailles de vierge glacée la semence diabolique du mal par le truchement d'un mâle diablotin ! Ah ! Maculer sa robe austère, sous laquelle se cachent d'obscurs désirs refoulés, des honteuses preuves du plaisir assouvi, dont elle tirera à coup sûr l'ADN déshonorant, preuve irréfutable de la flétrissure la souillant à jamais au souvenir de cette mésalliance furtive, et dont le fruit surgira, 9 mois plus tard, gluant comme un serpent d'Eden, rouge comme Belzébuth, braillard comme tous les gosses, et marqué dans ses gênes du sceau de l'infamie, rappel vivant de sa faillibilité. C'est si bon d'être ignoble envers les puissants !
Que la parabole est douce à l'âme frustrée du citoyen étouffant sous les règles absconses d'un état technocrate que la férule des juges rend encore plus absurdes !
Quelle délicieuse caresse aux pulsions anarchistes qui survivent encore en chaque être humain respectueux de lui-même malgré le matraquage publicitaire, le hollandisme normal et les somptueux Tapie qui écrasent le peuple endormi de leur avidité obscène !
Tout est dit.
Sous l'apparence joyeuse d'une bluette gore, et malgré la touchante réconciliation finale des parents involontaires autour du couffin, qui annonce les sucreries hollywoodiennes de fin d'année, ce film est une revigorante charge contre la perversité bien-pensante qui gangrène notre société depuis que Frigide Barjot mugit sur TF1, et une dénonciation de la subversion réactionnaire qui menace nos libertés chaque fois que le locataire de la Place Beauvau lorgne sur la Marine tel un globophage populiste. C'est si bon de s'en prendre aux bourreaux !
Le spectateur raisonnable, pressé d'aller recharger l'horodateur*, sera sans doute agacé par le rythme balbutiant des envolées lyriques d'un avocat bègue débordant d'ineptie autant que d'enthousiasme. Qu'il n'hésite pas à se divertir en observant ses voisins. Bon nombre d'entre eux se trouvent en apnée, bouche ouverte et mâchoires crispées, dans un accès d'empathie physiologique avec le pauvre bougre particulièrement réjouissant. Armé de pop corn ou de boulettes de papier, il pourra tenter quelques paniers et retrouver le plaisir des farces de son enfance. C'est si bon d'être cruel sans risque !
Certaines images à l'esthétisme chirurgical peuvent mettre en émoi les végétariens, qui auront avantage à fermer les yeux sur ces gamineries. Ne perdons pas de vue que les quelques détours obligés par un Grand Guignol tape-à-l’œil ne sont là que pour satisfaire le besoin automnal en protéines fraîches et en sels lacrymaux des spectateurs dont les yeux, encore humides de désir au souvenir des beautés alanguies qui s'offraient à leurs regards éblouis sur les plages méditerranéennes il y a peu, s'éteignent chaque soir un peu plus dans la désespérance du contribuable qui se sait justiciable.
Détournons le regard de ces facéties de salle d'autopsie et laissons notre âme romanesque et rebelle se vivifier à la vue de ce couple s'enfantant dans la douleur des prétoires. C'est si bon de croire qu'il y a une justice !
Courez voir cette nativité hilarante qui dévoile sans pudeur ce qui se joue vraiment sous la toge noire des magistrats.
Courez vous rincez l’œil sur la scène d'amour la plus déjantée de l'année.
Courez décaper votre excès d'indolence d'une prise d'humour acide dans un réel bain de tendresse.
Pégéo, un jour de novembre sans chrysanthème.
* Cette espèce névrotique, dont l'honnêteté empreinte de couardise confinant à l'absurdité le pousse à mettre plus de pièces que nécessaire dans les bandits manchots du fisc, a été décrite avec précision par le Dr. Mickey 3D dans son ouvrage Respire, Paris, 2003.