L’insécurité financière des aînés : un drame incompris

Publié le 06 novembre 2013 par Richardlefrancois

par Richard Lefrançois, La Tribune, 6 novembre 2013

Dette publique frôlant les 190 milliards, chômage avoisinant le 8%, précarité d’emploi et consommation réduite des ménages, voilà autant de symptômes que le Québec piétine, menacé de retomber en récession malgré de minces signes encourageants. Défié lui aussi de toutes parts, l’État peine à préserver l’intégrité du tissu social et à tenir sa promesse de réduction des inégalités.

Vont de pair avec cette léthargie économique, l’insuffisance du revenu, l’endettement chronique et l’exclusion sociale.Il n’en fallait pas plus pour que la Régie des rentes tire la sonnette d’alarme : « Trop de Québécois se dirigent tout droit vers l'insécurité financière plutôt que vers une retraite dorée ». Voilà une déclaration qui fait injure à l’image convenue et réconfortante d’une population vieillissante prétendument à l’abri des tracas financiers.

L’épargne-retraite sert à protéger la santé financière des aînés. Or, cette importante source de revenu s’épuise en raison de la chute des rendements boursiers et des nouvelles restrictions aux régimes à prestations déterminées. On sait que pour conserver une qualité de vie satisfaisante, chaque retraité a besoin de 70 % de ses revenus de travail. Les régimes publics couvrent environ 40 % et la balance provient de l’épargne personnelle. Tout indique qu’il sera de plus en plus difficile d’atteindre l’objectif du 70% notait le rapport d’Amours. 

Étonnamment, pendant que s’érodent les revenus des aînés et que se délitent leurs conditions d’existence, le discours officiel se veut rassurant. Pour mettre ce nouvel enjeu en perspective, confrontons le point de vue de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) sur le revenu des aînés avec les observations émanant du terrain.

L’observation macro-économique

En juillet 2013, l’ISQ attirait notre attention sur l’évolution du revenu de 1981 à 2010, ajustée en dollars constants. Celui-ci a augmenté de 24 % chez les 55 à 64 ans, de 43 % chez les 65 à 74 ans et de 53 % chez les 75 ans et plus. Pouvons-nous inférer que le revenu des aînés s’est amélioré significativement? Transposer ces pourcentages en valeurs absolues permet d’y répondre. Dans le cas des 65-74 ans, le revenu moyen est passé de 18 100 $ à 25 800 $ en 30 ans. Considérant l’augmentation exorbitante du coût de la vie au cours de cette période (énergie, panier d’épicerie, logement), c’est un maigre accroissement du revenu qui n’a rien de très réjouissant.  

Se basant sur le revenu médian, l’ISQ constate que la proportion des Québécois à faible revenu est passée, en quelques années à peine, de 2,5 % à 10 %. On s’aperçoit que le taux de faible revenu est encore plus prononcé dans la tranche des 55-64 ans, soit 16 %. Ici encore, les valeurs absolues reflètent mieux l’ampleur du problème. On découvre alors qu’environ 200 000 Québécois de 55 ans et plus vivent carrément dans la misère !   

2.   Une mosaïque complexe

Toute analyse du revenu ne peut faire abstraction de la structure sociodémographique complexe de la population âgée, un immense segment en forte progression. Également, on ne peut ignorer que tout au long du cycle de la vieillesse, les besoins financiers fluctuent considérablement, selon les dépenses en santé, le coût des loisirs ou le niveau d’endettement (voiture, rénovation, hypothèque). Cette diversité des besoins et dépenses est d’autant plus accentuée que la fourchette d’âge de la vieillesse s’étire en aval comme en amont, conséquence des retraites précoces et de l’allongement de l’espérance de vie. Socialement, nous devenons vieux plus tôt, tandis que biologiquement nous sommes vieux plus tard. Le sénior de 55 ans n’est-il pas perçu comme un aîné, au même titre que l’octogénaire ou le centenaire? Il n’existe donc plus de prototype de la personne âgée. Elle constitue une entité à géométrie variable!

Mesurer le faible revenu à partir de grands agrégats statistiques commande donc la plus grande prudence. Cette approche ne brosse qu’un portrait sommaire, voire équivoque, de la pauvreté, surtout en regard de la population vieillissante. C’est pourtant cette voie réductionniste que persiste à emprunter Statistique Canada, l’Institut de la statistique du Québec et plusieurs chercheurs.

3.   L’observation sur le terrain

Mieux placés que quiconque pour prendre le pouls des aînés et repérer les sous-groupes vulnérables, les organismes communautaires sont à l’avant-garde de la lutte contre la pauvreté. Le soutien aux sans-abri et l’aide alimentaire constituent leurs deux principaux chevaux de bataille.

La surpopulation des aînés sans-abri est un phénomène en rapide expansion, surtout dans la métropole, mais de plus en plus dans des municipalités moyennes comme Sherbrooke. L’organisme montréalais pour itinérants, PAS de la rue, constate une augmentation phénoménale de sa clientèle depuis dix ans, soit 50 %. Celle-ci est fortement composée de séniors ayant perdu leur emploi en fin de vie active et qui ne reçoivent que l’aide sociale. Plusieurs femmes âgées itinérantes perçoivent moins de 5 000 $ annuellement, alors qu’au minimum 13 000 $ est nécessaire pour échapper à la grande misère. Environ 10 % ne réclamerait pas le supplément de revenu garanti auquel elles ont droit. Au Québec, l’itinérance accapare une douzaine de concertations régionales regroupant plus de 300 organismes.

Par ailleurs, l’enquête Bilan-faim a révélé que le recours aux banques alimentaires a enregistré un bond stupéfiant de 22 % depuis trois ans. Au-delà de 1 000 organismes et 16 000 bénévoles répondent mensuellement à plus d’un million et demi de demandes d’urgence. Et on constate que les aînés sont de grands utilisateurs de l’aide alimentaire.

Les intervenants communautaires s’aperçoivent bien que les aînés défavorisés ont une santé fragile, une espérance de vie moindre et qu’ils font face à un cumul d’adversités. Effectivement, l’accès aux médicaments, aux soins dentaires et de santé se complique lorsque l’insuffisance du revenu se conjugue avec l’âge avancé, surtout chez les sans-emploi, les immigrants, les personnes vivant seules et les analphabètes.

Les ressources humaines, matérielles et financières mobilisées par les groupes populaires pour accompagner les plus démunis sont la preuve de leur acharnement à juguler le fléau de la pauvreté, en même temps qu’elles témoignent de la gravité de ce problème. Leur efficacité tient essentiellement à leur proximité avec les demandeurs d’aide et à leur capacité de mettre en chantier des pratiques innovantes, porteuses de sens et d’humanité au bénéfice des aînés démunis.