La Trinité Intérieure : Mémoire + Intelligence + Volonté chez Saint Augustin.
Dans son livre De Trinitate Augustin voit la mémoire l’intelligence et la volonté presque aussi unis que le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Par analogie, il va donc les considérer comme formant une trinité intérieure.
Les sept arts libéraux dans l’Hortus deliciarum d’Herrade de Landsberg, 1180.
Mémoire
Pour Augustin, la mémoire participe à la vie de l’esprit. C’est elle qui instaure de la durée, de la profondeur de champ, qui permet de donner sens aux expériences. Dans ses premières œuvres, Augustin est très marqué par la théorie platonicienne de la réminiscence, puis il s’en éloigne assez complètement dans ses œuvres de maturité que sont Les confessions et De Trinitate. Dans les Rétractations (document écrit juste avant sa mort où il commente tous ses écrits qu’il vient de relire), il note que croire, comme dans la théorie de la réminiscence (dans une vie antérieure nous avons vu les vérités puis les avons oubliées dans notre mémoire avant de les redécouvrir), est moins crédible que la thèse de l’illumination à la lumière de laquelle la raison découvre les vérités immuables.
Ainsi la mémoire est une « chambre intérieure vaste et illimitée » où sont conservées nos actions passées, les images de ce que nous avons vu et perçu mais aussi ce que nous avons appris des arts libéraux ainsi que les affections de l’esprit : joie, tristesse, désir et peur178. Les Confessions peuvent être vues comme une œuvre de mémoire augustinienne où se déploient les trois fonctions de la mémoire : « la mémoire du passé (livres 1 à 9), l’intuition du présent (livre 10) et l’espérance du futur (livres 11-13) ».
Pour Augustin donc, la mémoire nous permet de nous projeter dans le futur à partir du passé, elle est analogue au Père, tandis que l’intelligence qui procède de la mémoire l’est du Fils. Pour Roland J. Teske,
« l’analogie avec le Père illustre la primauté de la mémoire dans le récit de la cognition humaine ».
Intelligence et foi
La croyance chez Augustin, et dans le christianisme en général, est liée non pas à l’opinion mais à la foi (fides). Elle insiste sur la recherche fidèle de la vérité dans un monde marqué par « La versatilité et l’inconstance de l’âme humaine ». Pour Maxence Caron, la foi n’est pas « l’autosuggestion d’une âme prise au jeu de ses inquiétudes » mais « au contraire l’esprit de résistance d’une âme qui, lucide sur ses faiblesses de constitution [...] lutte contre la conjuration d’événements quotidiens dont l’inessentielle séduction tente constamment de la détourner de sa quête ». La foi ne commence pas où l’intelligence finit mais au contraire la précède. En effet, pour Augustin, il faut croire pour penser. C’est le sens de l’injonction
« crois afin de comprendre, comprends afin de croire, (crede ut intellegas, intellege ut credas) ».
Concernant le lien foi/intelligence/Dieu, le raisonnement d’Augustin peut-être schématisé ainsi : toute pensée cherche la vérité, traduit une volonté de vérité, Dieu est vérité donc l’homme désire Dieu. Mais l’essentiel n’est pas là. Il réside dans le fait que pour Augustin Dieu se révèle parce qu’il a mis en l’homme ce désir de vérité, parce qu’Il l’appelle. Maxence Caron184note : « Dieu ne peut être pensé par l’homme que parce qu’il a voulu se manifester à lui ». Chez Augustin, la foi incite à tenter de comprendre le mystère de Dieu et du monde en même temps qu’elle pose une distance, un recul tant par rapport à ce mystère que par rapport à soi-même 185.
La volonté
La philosophie grecque est marquée par son intellectualisme, c’est-à-dire que la raison est à la fois un instrument qui permet de théoriser et quelque chose qui nous dicte la conduite à suivre dans un monde bien ordonné186. Pour Augustin, l’intervention d’éléments non rationnels empêchent ce dictamen et « l’intellect lui-même a besoin de la volonté pour le pousser à l’activité », d’où l’importance accordée à la volonté et à la responsabilité des hommes. Cet accent ira croissant avec l’âge sous l’influence de trois facteurs que nous allons aborder maintenant.
- Augustin, en partie sous l’influence de sa controverse avec les pélagiens, insiste de plus en plus sur l’ignorance et le péché inhérents à la nature humaine.
- Il met l’accent sur les éléments non rationnels de la volonté liés notamment aux habitudes.
- Plus il lit les Écritures, plus il met l’accent sur la notion de communauté, à l’autorité des anciens et à l’obéissance à des normes sanctionnées par Dieu. La Foi devient première. C’est elle qui guide la Volonté, qui elle-même précède la réflexion raisonnée, qui de façon rétrospective fournit une justification rationnelle.
Plus Augustin étudie les Écritures, notamment l’apôtre Paul, et plus il met l’accent sur la notion de péché originel et sur la grâce, qui permet à certains d’avoir une volonté assez bien orientée pour ne pas pécher. Cela donnera sa théorie de la prédestination. Pour Alasdair MacIntyre, la conception augustinienne de la volonté est radicalement nouvelle, même si on en trouve les prémices chez Philon d’Alexandrie et chez Sénèque. Elle lui permet interpréter les écrits de l’apôtre Paul (notamment l’épître aux romains) « en utilisant un vocabulaire dont saint Paul lui-même ne pouvait disposer « . L’importance qu’Augustin accorde à la volonté le conduit à la question du comment faire coexister la liberté de la volonté humaine et la prescience divine. Selon Mendelson, le traitement de ce problème est « complexe et parfois excessivement obscur ». Néanmoins le but recherché est assez clair : montrer, contre les manichéens et Cicéron, que la liberté de la volonté humaine et la prescience divine ne sont pas incompatibles, car Dieu a prescience de notre volonté.
(une belle page de Wikipedia)