Ou "C'est quand même de la faute de Wikipedia si les gens sont trop bêtes pour aller consulter, et autres joyeusetés". Mais le titre était vraiment trop long. Vraiment.
Le retour de la vengeance de la Big bad ἐγκύκλιος παιδεία1
Alors que l'on glosait entre nous sur le déclin (ou non2) de Wikipédia, la Presse était passé à une autre préoccupation majeure : la responsabilité indiscutable et absolument scandaleuse de l'encyclopédie en ligne dans la diffusion d'informations erronées, en ce moment, médicales. Un peu comme si le Reblochon disait au Camembert : "toi, tu diffuses une fragrance me rappelant de vieilles baskets après un marathon"3, 4. A ce moment, un aparté est nécessaire : j'aime la Presse pour ça, parce qu'on se rend compte de la limite de la reprise de dépêches AFP/Reuter/AP enfin ce que vous voulez. Aparté clos. Ce mouvement lancé par les journalistes canadiens (puisqu'il se base sur une étude canadienne du Dr Archambault, qui précise bien qu'elle n'est pas centrée sur Wikipédia, même si ça existe, bien entendu) et repris par d'autres (comme par exemple le Nouvel Observateur). Sans juger du fond, d'ailleurs assez bien expliqué dans certains de ces médias, il est toujours intéressant de noter que les interventions journalistiques sont souvent axées (pas exclusivement, mais souvent) sur des bases identiques.
Lesquelles ?
Soit "wikipedia" lance un projet de collaboration quelconque avec un établissement public ou privé quelconque (décliner ça aussi aux interventions ponctuelles de type formation ou cours). On s'aperçoit alors, si on gratte un peu, qu'il s'agit souvent pour l'établissement en question de se faire une publicité axée sur la communication internet (disons un gain en visibilité), même si on ne peut pas dire que le Château de Versailles ou le Centre Pompidou aient besoin de l'association Wikimedia France pour se faire connaître, par exemple. On ne peut pas nier non plus le gain pour le partenaire "Wikimedia", qu'il soit également en terme de visibilité ou de documentation. Bien que ce sujet soit intéressant en soi, puisque souvent gagnant-gagnant, je n'ai pas l'impression qu'il s'agisse vraiment de ce qui intéresse les médias.
Soit "wikipedia", en raison de son exposition sur la Toile, attire les foudres en raison d'une péripétie quelconque. Le mieux, bien évidemment, est quand cette péripétie touche un sujet également exposé5 ou au centre des préoccupations quotidiennes du public (ou d'une certaine frange du public), comme Nabilla, qui qu'elle puisse être, Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal, le dernier Star Wars (ou le prochain) ou, bien entendu, la santé6. Avec, remarquerons les petits malins, un effet Streisand à redouter (au passage, je ne comprends toujours pas pourquoi l'actuel président de WMFr a une page dédiée). A la fois pour le sujet en question, et pour Wikipédia (et plus "wikipedia", plus vague). D'où souvent l'intérêt de ne pas être dans Wikipedia, sauf à vouloir reconstituer son dossier Gala-Voici plus facilement7.
Presse qui roule pas vraiment cool (F. Pagny, penseur et fiscaliste français du XXe siècle).
Revenons à nos moutons, pas forcément patagoniens. Il y a bien, bien longtemps, je discutais un peu ici-même de l'effet charognard. Ce qui avait à voir avec la reprise, sans trop de recul, des titres de la presse sur un évènement quelconque (en ce temps là, les funérailles de Michael Jackson6). Nous pouvons ici raisonnablement penser que nous avons affaire à une variante un peu moins animalier, mais toujours opportuniste, Et, viral, au sens pollution informatique. Un peu un effet grippal, en somme. Dans le cas qui nous préoccupe, le mécanisme est assez simple.
Prenez une étude scientifique (ou se présentant comme telle). Ou une ébullition momentanée autour d'un sujet. S'il touche d'une façon ou d'une autre les projets Wikimedia, il y a des chances que l'étape suivante se présente sous un titre du genre : "Wikipedia contient des erreurs" (vrai, mais le but est de les amenuiser), "Wikipedia n'est pas recommandée pour se soigner" (ni pour apprendre le parachute ascentionnel, au passage), "Trop nul, Wikipedia n'a pas réactualisé les mensurations de Bidula, star de l'émission Ma bimbo en chirurgie esthétique" (pour refaire la poitrine, taper 1... pour la faire conserver en PàS, taper 2). A quelques variations près, bien entendu, par exemple sur la santé. La thématique est en soi exemplaire : indémodable, complexe (et peu comprise pour le grand public8) et surtout, surtout, présente dans Wikipédia avec des ERREURS !
Et jusque là, "on" a bien raison. Sauf que, comme tout sujet relativement complexe abordé avec le recul d'un élève de CE2, il y a également des erreurs dans l'approche journalistique. Reprenons le sujet utilisé plus haut. Et pour le moment, éjectons Wikipédia de l'équation (simplifions, mes bons, simplifions). Sujet indémodable, écrivais-je. Un sujet indémodable est, presque naturellement, un sujet hors-mode. Et donc ? Rien, si ce n'est que le sujet (ou plutôt ce qui en relève, c'est le concept même de... concept) évolue avec le temps. Vite, dans le cas des approches et moyens médicaux. Le sujet est complexe. Comme j'ironisais il y a quelques lignes, cela semble une raison suffisante pour en simplifier (comprendre, le transformer en bouillie indigeste) les tenants et aboutissants : dans notre cas, on passe d'une étude comparative de différents sites à vocation de vulgarisation médicale (la réalité de l'étude Archambault) à "il faut réformer Wikipédia" (au moins pour un titre de presse ou deux). Ouf. Quid des contenus en question ? Pourquoi le site Doctissimo est-il somptueusement ignoré (je prends celui là essentiellement parce c'est un connu) ? Déjà on a évacué la vraie question abordée par Archambault et collaborateurs, celle de la fiabilité des sites (et wiki en particulier) "santé".
Dr House n'est pas Mickey Mouse (C. Hondelatte, ancier portier de tribunal français du XXe siècle).
Injectons maintenant Wikipedia dans l'histoire. Et notons une chose assez marrante, dans le fond. Bien que présente (forcément) dans les thématiques médecine et biologie (je fais dans le très général), Wikipédia n'est pas un site dédié à la santé. Pas du tout. La preuve, vous avez plein de pages sur les Pokemon (quoique, d'après certaines sources, ils joueraient un rôle dans la dépression parentale précédant l'adolescence de leur progéniture, mais passons). On m'objectera bien que les contributeurs ont bien consacré une somme de travail quasiment sans précédent au cyclisme, véritable laboratoire des traitements médicaux pour sportifs en méforme chronique9, j'objecterai à mon tour.
Le principe de Wikipedia est d'aborder des thématiques variées (à ne pas confondre avec tout et n'importe quoi8), le mieux possible. En se basant sur une communauté aux compétences et incompétences variées, et fluctuantes. Point juste un peu, mais si peu, crucial, si on veut aborder le sujet du traitement d'une thématique dans l'encyclopédie en ligne. Une des remarques récurrentes des études faites sur les sites "santé" ouverts (et donc, sur les wiki) est le peu de présence de la communauté des professionnels de la profession. Ce qui est rassurant, c'est que cette remarque soit faite. Ce qui ne l'est pas, c'est qu'elle ne soit pas vraiment comprise par les relais presse. Ce qui l'est peut-être encore moins, c'est que ce n'est pas restreint au domaine santé (certains articles sur des sujets pointus oscillent entre le grotesque ou le comique involontaire, d'autres sont exemplaires, notons-le aussi). Ce qui n'est vraiment, vraiment pas rassurant, c'est l'utilisation soit en "consultation gratuite". Le cas du support de cours gratuit pouvant se discuter.
Indiquer, depuis des années, quand on parle de Wikipedia, que sa nature même doit inciter à la confrontation des sources (comme toute encyclopédie), revient dans certains cas à indiquer : "Pas nourrir Mogwaï après minuit, pas mouiller Mogwaï" (vous n'avez jamais vu Gremlins ?). Aucune encyclopédie n'a vocation à remplacer le "professionnel de la profession". Aucun wikipedien sérieux n'ira par ailleurs prendre pour argent comptant un contenu sans croiser ses références (et sources), et isoler une page d'une autre. Et aucun wikipedien sérieux ne niera que le projet doit attirer les spécialistes d'un domaine pour produire de la vulgarisation...
Gnüt gnüt gnüt (publicité pour un marchand de meubles suédois en kit, XXIe siècle, signifiant grosso modo : il faut lire le mode d'emploi)
Les rebondissements du sujet Wikipedia dans la presse ont au moins le mérite de mettre plusieurs choses en lumière. Le défaut de communication du fonctionnement de Wikipedia vers les commentateurs habilités (comprendre les journalistes), tout d'abord. Les lacunes manifestes non corrigées dans les thématiques importantes, dont les facteurs sont multiples, également. L'absence de volonté d'immersion constatée généralement (ce n'est pas toujours vrai, mais...) dans les mécanismes des projets Wikimedia des gens qui en parlent dans les publications tout public, et les erreurs fréquentes qui en découlent. Enfin, le défaut de communication, ou sa faible efficacité, vers les utilisateurs (comprendre les lecteurs) de Wikipedia à propos de ce qui est exploitable. Même si dans ce dernier cas, les facteurs sont également multiples.
Notes
1. J'ai le droit, de temps en temps, de faire étalage de culture, de copier-coller et d'un clin d'oeil à Jastrow (toute déclinaison mise à part).
2. Merci pour ces chiffres, qui appellent quelques commentaires.
3. On n'est pas obligé d'être vulgaire pour tenter de faire de l'humour. Merde quoi.
4. Notons au passage que ces deux interlocuteurs bien imaginaires sont issus des appellations contrôlées. C'est de l'humour de qualité, parce qu'avec ingrédients de qualité. Et un travail plein d'amour. Au passage, cela justifie aussi les majuscules à ces deux nobles représentants de la gent fromagère.
5. Et c'est déjà une raison pour ne pas faire n'importe quoi avec le traitement de l'actualité, comme ouvrir un portail sur Wikipédia (qui doit être le deuxième, si je me souviens bien).
6. Si avec ces mots clés je ne fais pas le buzz, Jean-Marc...
7. Ce qui peut être utile. Pour un avocat.
8. Les Français se souviendront avec émotion (ou lassitude) de la fameuse campagne publicitaire sur le thème "les antibiotiques, c'est pas automatique". Je propose d'ailleurs la même chose sur le thème : "un article, c'est pas automatique".
9. C'est vrai quoi, obliger des asthmatiques à grimper le Galibier, c'est inhumain.