Sur un livre d’Alain Finkielkraut
Publié Par Marc Crapez, le 7 novembre 2013 dans PhilosophieSon dernier ouvrage, L’identité malheureuse, est férocement critiqué sur Slate.fr. Cette critique est-elle crédible ?
Par Marc Crapez.
Cette critique du livre d’Alain Finkielkraut est signée par un journaliste et chercheur. Elle comprend 16.500 signes, ce qui est considérable. Cela équivaut à cinq pages d’un hebdomadaire. Son auteur prétend avoir lu le livre minutieusement. On s’attend donc à un travail décapant, qui domine son sujet en pointant erreurs, inexactitudes, imprécisions et contradictions.
Tel n’est pas le cas. Le premier grief précis, celui de faire des « amalgames », n’est étayé que par une seule formule de Finkielkraut, l’expression « mondialisation économique et migratoire », dont on ne sait pas en quoi elle constituerait un amalgame.
Le deuxième grief, celui d’être « vraiment de mauvaise foi » et « absurde », n’est illustré que par un passage où Finkielkraut écrit au sujet d’Internet : « … L’identité nationale est ainsi broyée, comme tout ce qui dure, dans l’instantanéité et l’interactivité des nouveaux médias ». Propos peut-être critiquable, mais dont on cherche en vain le caractère absurde.
D’un air entendu
Troisième et dernier grief intelligible : « sa version de l’histoire de la laïcité… n’a rien à voir avec l’histoire ». En prônant une stricte laïcité, Finkielkraut aurait oublié l’article 1 de la loi sur la laïcité, alors qu’ « on sait combien la loi de 1905 est minutieusement construite autour d’un article premier libéral et un article deuxième plus autoritaire ».
Ce « on sait combien » est un argument d’autorité qui ne doit pas nous abuser : en général, celui qui l’emploie feint d’avoir toujours su ce qu’il vient d’apprendre, en vue de paraître savant. Quant au fond de la question, l’erreur historique est surtout manifeste chez l’auteur du compte-rendu, qui range abusivement Émile Combes parmi les partisans d’une laïcité libérale et de compromis.
Les accusations d’amalgame, d’absurdité et d’erreur historique, portées contre Finkielkraut, sont donc disproportionnées. Et aucun élément ne vient conforter une série d’accusations gratuites : ratiocine, obsessions, divague, dangereux, esprit devenu malade (sic). Cela vise à accréditer l’idée qu’il souffrirait de pathologies et de phobies, afin de le discréditer.
Pourtant, estimer que le changement démographique et l’immigration de masse affectent l’identité nationale ne paraît pas incongru. Mais l’auteur du compte-rendu s’indigne : Finkielkraut « va plus loin. Et écrit sans sourciller… », avant de citer des propos qui, là encore, semblent sensés, sur le désarroi des Français devant l’ampleur de cette immigration à plus d’un titre problématique.Le procédé consiste ici à s’offusquer de propos scandaleux sans préciser pourquoi ils le seraient. Le politiquement correct condamne sans argumenter, d’un air entendu, dans un registre d’insinuation implicite. Il ne fait pas appel à la raison critique mais aux passions et aux instincts complices. Il fonctionne sur le même mode que le qu’en dira-t-on propre à l’esprit de clocher : « hou là là, mais c’est très vilain ça », ou encore « vous rendez-vous compte, ma bonne dame, ce qu’il ose dire ! ».
Pourquoi l’idéologie prend-elle ainsi le pas sur le sens critique ? Précisément, parce qu’elle flatte des ressorts passionnels et des préjugés. Ensuite, parce que, comme je l’ai montré, dans la vie intellectuelle française, des textes d’assez faible niveau intellectuel sont automatiquement publiés dès lors qu’ils militent en faveur de l’immigration. Enfin, parce que le lecteur, disposant de moins de temps et d’application qu’un spécialiste, peut se laisser impressionner par des phrases ronflantes.
Tout le monde n’a pas le talent de Raymond Aron, dont les comptes-rendus apportaient toujours une plus-value. Mais cet exercice de controverse sur le livre d’autrui a ses règles. Il requiert un sens de l’argumentation et du raisonnement. Personnellement, je n’ai pas lu ce livre d’Alain Finkielkraut. Touchants au thème de l’immigration, j’ai rendu compte de livres moins médiatisés tels que Les Tabous de la police, de Mohamed Douhane, La Gauche et la préférence immigrée, d’Hervé Algalarrondo, La Nouvelle idéologie dominante. Le post-modernisme, de Shmuel Trigano, ou Islam, l’épreuve française, d’Elisabeth Schemla.
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