Une mue est un changement de peau et être mue c'est être mise en mouvement.
Or il y a deux personnages dans ce roman, un homme et une femme. La première définition pourrait s'appliquer à l'homme et la seconde à la femme.
Mais, ne faut-il pas plutôt trouver le pourquoi de ce titre dans une réflexion que cet homme se fait à propos de cette femme?
"Je me plaisais à penser qu'une histoire, lue par elle, muait."
L'homme est un éditeur connu, Jean Wilson, patron des éditions éponymes. C'est un homme couvert de femmes, qui ne les aime pas vraiment mais les baise, une fois, mais jamais deux:
"Après un plan baise, rien ne m'importe plus que de me casser. Avant la métamorphose de la femme en petite fille docile qui se blottit et impose à vos bras de l'enlacer."
Alors il baise, jamais chez elles, dans une chambre de l'Hôtel de la Cigogne - "la chambre d'hôtel sauve de l'attachement et de ses mièvreries" -, toujours la même, celle qui porte le numéro huit.
La femme, Lucie Skrivan, est la réceptionniste de cet hôtel. C'est une femme qui fait l'amour "de manière universelle". Car, dans son cas, l'expression ne signifie pas seulement l'acte sexuel. En fait elle aime essentiellement rencontrer:
"Chaque rencontre est un sillon dans mon histoire qui donne du sens à l'instant et qui fait que je ne suis plus tout à fait pareille après."
Elle est douée d'une incroyable empathie pour les autres:
"J'ai besoin de me perdre en eux, de me fondre en eux."
Le grand-père de Jean lui a appris "à aimer des histoires. Aimer les entendre, les raconter."
Pendant des années, Lucie n'a pas lu. Sa prof de première année de lycée l'en avait dégoûté. Elle ne regrette pas cette période de vide, parce qu'elle y a fait "la violente rencontre avec l'Immortelle", l'angoisse:
"Elle est le levain de mon écriture. Une pâte de farine fermentée avec de grosses bulles d'absence, qui n'aspire qu'à être malaxée, tapée et cuite. Comme du bon pain. Si l'Immortelle nourrit mon écriture, c'est aussi mon écriture qui me permet de la supporter, de survivre."
Jean est attiré par Lucie qui lui donne sa clé, l'ignore superbement et reprend aussitôt après la lecture de son livre en se
servant de son index comme curseur.
Lucie écrit. Elle a envoyé un manuscrit à Jean. Lors de leur entretien, dans son bureau, elle n'est pas du tout impressionnée par ce célèbre éditeur et c'est elle qui rompt l'entretien en claquant la porte à ce premier éditeur qu'elle rencontre... Ce qui décide Jean à la publier et à lui envoyer un contrat...
Lors de leur rencontre suivante, dans un tout autre lieu, Lucie se fait donner du plaisir manuel par Jean et le plante là sans
lui rendre la pareille. Elle l'a baisé comme un homme...
Cette rencontre est suivie d'autres dans la chambre huit. Elle s'y montre bestiale, insatiable, impudique, dévergondée. Il n'a jamais connu ça auparavant:
"Obnubilé par son plaisir, j'étais incapable de me concentrer sur le mien."
Jusqu'au jour où elle disparaît et qu'il change au point de devenir méconnaissable.
Mélanie Richoz ne ménage pas davantage le lecteur que ses personnages. Ses phrases courtes et fortes ont raison de sa tranquillité. Comme Jean regardant lire Lucie, cette histoire l'imprègne tellement qu'il quitte leur fiction et finit par se retrouver à leurs côtés, dans leurs moments de grande solitude...
Francis Richard
Mue, Mélanie Richoz, 104 pages, Slatkine