Le contrat de "mariage" entre l’UDI et le MoDem vient d’être signé par leurs
deux présidents. Il instaure une coopération politique d’un nouveau mode, équilibré et sans arrière-pensée dans le but de sortir des schémas politiques habituels et d’avancer des idées
nouvelles : « Nous croyons qu’ensemble, en raison de nos expériences et de nos parcours, nous pouvons porter ce renouveau. ».
Ceux qui pensent que le rassemblement des centristes n’est qu’un énième épisode dans les relations tumultueuses entre Jean-Louis Borloo et François Bayrou se
trompent énormément. Rien ne dit d’ailleurs que l’un des deux sera candidat à l’élection présidentielle de 2017, mais depuis mardi, il est sûr qu’ils ne le seront pas tous les deux en même
temps.
Les deux hommes auront 66 ans et savent que leur vie n’est plus forcément devant eux. En revanche, l’union de
l’UDI et du MoDem est un acte fondateur historique surtout pour les générations suivantes, un acte qui va apporter une nouvelle offre
politique, que les deux leaders ont appelée "l’alternative" malgré son imperfection sémantique (soulignée par l’agrégé de lettres François Bayrou), pour en finir avec le mot "alternance" qui ne
réussit pas à sortir la France de son impasse morale et sociale.
Les faits
C’est dimanche 3 novembre 2013 dans l’après-midi que François Bayrou, président du MoDem, et Jean-Louis
Borloo, président de l’UDI, ont annoncé simultanément sur Twitter leur conférence de presse commune à la Maison de la Chimie à Paris ce mardi 5 novembre 2013. La date était déjà connue à l’avance et a donc été confirmée par ce moyen.
Dans la salle se pressaient une foule de photographes mais aussi la plupart des parlementaires et autres
leaders de l’UDI et du MoDem. On pouvait ainsi distinguer (entre autres) Chantal Jouanno, André Rossinot, Jean-Christophe Lagarde, Yves Jégo, Hervé
Morin, Marielle de Sarnez, Jean-Luc Bennahmias, Jean Arthuis, etc. mais François Sauvadet (dénonçant l’alliance municipale du MoDem avec le PS à
Dijon), Hervé Maurey (sénateur centriste) ainsi que Jean-Christophe Fromantin ont été absents pour s’opposer à ce rapprochement.
Après un quart d’heure de retard, les deux leaders centristes sont arrivés vers dix-sept heures trente, et
sont apparus derrière deux pupitres, un peu comme dans une rencontre entre deux chefs d’État.
Aucun formalisme n’a vraiment eu lieu dans cette conférence de presse de trois quarts d’heure, dont un quart
d’heure de questions, pas de texte lu, pas de monologue, au contraire, Jean-Louis Borloo et François Bayrou ont montré qu’ils savaient travailler en équipe de manière équitable, sans que l’un
prenne le dessus sur l’autre, ce qui est assez rare en politique pour le remarquer, en particulier dans la prise de parole puisque chacun s’alternait pendant cinq minutes environ pour s’exprimer
sur divers points du contenu de cette alliance.
D’accord sur tout
D’abord, pourquoi cette réunion de l’UDI et du MoDem ? Parce que les deux partis pensent la même chose
sur tous les sujets de fond. Ce ne fut que le positionnement politique qui les avait séparés, mais maintenant que François Bayrou (dont le vote pour François Hollande en 2012 a laissé cependant amers encore certains élus) est résolument dans l’opposition, plus rien ne les opposerait.
Sauf peut-être une rivalité personnelle : c’est sur ce point qu’ils ont le plus convaincu. Aucun des
deux n’avait vraiment intérêt à s’engager auprès de l’autre… si ce n’est l’intérêt national et la gravité des enjeux qui préoccupent le peuple aujourd’hui. Quand François Bayrou parlait d’esprit
de sécession, Jean-Louis Borloo notait que les gens s’en prenait maintenant beaucoup à des boucs émissaires (riches, Allemands, immigrés, etc.).
La situation du pays est grave
C’est la raison aussi de cette union ; la situation grave nécessite d’offrir aux Français une
"alternative" qui ne soit plus dans le clivage PS vs UMP qui ne satisfait plus personne, ce qui rend les extrémismes séduisants comme réceptacles
du mécontentement populaire.
Ce sera sans doute la grande ambition de cette union qui, au-delà des élections municipales et européennes,
scelle une alliance électorale aussi pour les autres élections, et en particulier l’élection présidentielle (« Notre candidate ou notre candidat à
l’élection présidentielle sera désigné€ en commun par une procédure démocratique. »).
Organisation de l’alternative
En pratique, aucune structure juridique n’a été créée, afin sans doute d’éviter la nomination d’un président
qui aurait cassé le principe de parité entre les deux partis. François Bayrou a même fait remarquer que Jean-Louis Borloo et lui-même avaient une popularité sensiblement identique (comme chez
BVA le 28 octobre 2013), ce qui facilitait les choses pour préserver la complète égalité entre eux.
Donc, ce sera juste un organe de coordination politique qui se réunira régulièrement, rassemblant le comité
exécutif de l’UDI et l’équipe dirigeante du MoDem, ainsi qu’un bureau exécutif restreint. Chaque mois, l’alternative livrera une réflexion sur un sujet qui aura fait débat pendant les semaines
précédentes afin de faire des propositions concrètes aux Français. La première réunion se tiendra le mercredi 20 novembre 2013. Cette union s’appellera officiellement "UDI MoDem,
l’alternative".
L’un des grands défis de cette union sera la campagne des élections européennes dans un climat
particulièrement hostile à la construction européenne. Chacun est conscient que la souveraineté de la France ne peut passer que par l’idée européenne : les centristes ne veulent pas être les
seuls défenseurs patentés de l’Europe mais apporteront des idées nouvelles qui prennent en compte les préoccupations des citoyens, ainsi que leurs inquiétudes et leurs doutes.
À la fin de leur conférence de presse commune, François Bayrou et Jean-Louis Borloo ont signé devant les
caméras la charte qui les unit désormais (téléchargeable ici).
Contenu de la charte
Ce texte de seulement quatre pages résument les valeurs qu’ont en commun les deux partis centristes. Et il
commence par l’essentiel, à savoir leur humanisme : « Nous sommes des humanistes. Nous
croyons que la satisfaction des besoins matériels et l’épanouissement moral, culturel, philosophique et spirituel des femmes et des hommes est le but de l’organisation de la société. »
tout en insistant sur les valeurs : « L’humanisme en politique se nomme République. La République (…) est un corps de valeurs. Ces valeurs de
liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité, nous avons mission de les faire vivre chez nous et de les proposer au monde. ».
Parmi les leitmotivs des centristes, il y a l’Europe et l’écologie.
Pour eux, l’Europe est une nécessité vitale :
« L’Union Européenne est la seule voie disponible pour que la France ait accès, en la partageant au sein de l’Union, à une réelle souveraineté dans
certains domaines qui dépassent le cadre national. » en citant en particulier l’emploi, la compétitivité des entreprises, l’Europe sociale (« par une convergence vers le haut »), la lutte contre les paradis fiscaux, les grandes infrastructures européennes, le numérique, le cyberespace
etc. et en précisant que l’Europe « doit se réformer pour être plus efficace, compréhensible et accessible aux citoyens, donc plus
démocratique ».
Européens et écologistes aussi, « porteurs de l’exigence de
développement durable » : « Nos objectifs sont la protection de la biodiversité, la croissance verte, la défense ainsi que la
valorisation de la mer et des océans, la transition énergétique et un grand programme Justice-Énergie Afrique-Europe. ». L’UDI propose notamment un projet original dans les relations
entre l’Europe et l’Afrique (j’en reparlerai sans doute).
François Bayrou s’est inquiété devant les journalistes de la grande proportion d’illettrisme parmi les jeunes
et a regretté que la réforme des rythmes scolaires, secondaire pour lui, a occulté un véritable débat sur l’éducation. La charte y revient naturellement : « Le premier devoir à l’égard [des générations à venir] est l’éducation. Aujourd’hui, ce devoir n’est pas rempli et il exigera, pour l’être, une mobilisation
non seulement de la communauté éducative, mais de la nation toute entière. ».
Autre récurrence des centristes depuis plusieurs décennies, l’alliance de l’efficacité économique et de la
justice sociale : « La créativité des hommes est plus fructueuses, dans la plupart des domaines, quand elle est fondée sur la liberté plutôt que
sur le dirigisme. Mais nous affirmons que le progrès économique est vain s’il n’entraîne pas le progrès social. Nous refusons de laisser des concitoyens sur le bord de la route. Nous sommes
conscients que la richesse d’un pays réside dans ses ressources humaines. ».
Enfin, le texte solde définitivement les espoirs de centre gauche de François Bayrou : « Nous revendiquons notre liberté, mais nous ne changerons pas la France seuls. L’alliance avec le PS et les appareils de la coalition au pouvoir est
impossible. En ce qu’elle respecte les valeurs humanistes, la droite républicaine est naturellement notre partenaire politique. » sans fermer la porte à d’éventuelles
recompositions : « Pour autant nous considérons que le pays a besoin d’une large majorité réformiste, allant non seulement de la droite
républicaine au Centre, mais jusqu’aux sensibilités écologistes et sociales-démocrates. Dans cette majorité à construire, la volonté d’émancipation, de respect des personnes, et de solidarité
effective a toute sa place. ».
Le 5 novembre 2013 fera date dans l’histoire politique
Cette nouvelle tentative de fédérer des forces démocrates semble avoir plus de chance que les précédentes de
réussir, en raison du climat actuel particulièrement hostile aux grands partis de gouvernement, d‘autant plus qu’un leader modéré, François
Fillon, s’est aventuré, lui également, en septembre 2013, sur un terrain très glissant. Elle reprend la trace du Mouvement réformateur initié le 3 novembre 1971 à Saint-Germain-en-Laye par
Jean Lecanuet et Jean-Jacques Servan-Schreiber, préfigurant la future UDF giscardienne.
L’événement de la rencontre entre l’UDI et du MoDem mérite donc d’être évalué à sa juste dimension. C’est
très rare que deux personnages emblématiques de la vie politique, malgré leur ego dont on n’a cessé de parler, décident d’oublier les disputes du passé, de faire table rase des malentendus et des
sous-entendus, et de reprendre le chemin de la réconciliation en mettant à plat (par cette charte) tout ce qui les unit.
Cela ne fait pas encore un programme de gouvernement, mais cela donne la base d’un nouvel espoir à tous ceux
qui sont terriblement déçus ou désabusés tant par le PS que l’UMP, et qui refusent de s’exprimer par les extrémismes de protestation, car ils veulent avant tout contribuer à construire et pas à
pourrir.
Ne vous y trompez pas : le destin individuel d’un Borloo ou d’un Bayrou est très secondaire devant la
naissance de cette nouvelle force politique. Une génération nouvelle d’élus centristes est de toute de
façon déjà là et sera probablement celle qui fera vivre cette union centriste dans les années prochaines.
Aussi sur le
blog.
Sylvain
Rakotoarison (6 novembre 2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Texte intégral de la charte UDI-MoDem, l’alternative (5 novembre
2013). Enfin, le rassemblement des centristes !
Sondage BVA du 28 octobre 2013 (à
télécharger).
La
création de l’UDI (21 octobre 2013).
La famille centriste.
À qui appartient
l’UDF ?
Les chapelles du centre.
Centre pour la
France.
Le MoDem.
Le Nouveau
centre.
François Bayrou.
Jean-Louis
Borloo.
Valéry Giscard d’Estaing.
Hervé
Morin.
Simone Veil.