Alexandre Taillard de Vorms est un esprit puissant, guerroyant avec l’appui de la Sainte Trinité des concepts diplomatiques : légitimité, lucidité et efficacité. Il y pourfend les néoconservateurs américains, les russes corrompus et les chinois cupides. Le monde a beau ne pas mériter la grandeur d’âme de la France, son art se sent à l’étroit enfermé dans l’hexagone.
Le jeune Arthur Vlaminck, jeune diplômé de l’ENA, est embauché en tant que chargé du “langage” au ministère des Affaires Étrangères. En clair, il doit écrire les discours du ministre. Mais encore faut-il apprendre à composer avec la susceptibilité et l’entourage du prince, se faire une place entre le directeur de cabinet et les conseillers qui gravitent dans un Quai d’Orsay où le stress, l’ambition et les coups fourrés ne sont pas rares… Alors qu’il entrevoit le destin du monde, il est menacé par l’inertie des technocrates.
Le cinéma réserve parfois de bien belles surprises : confirmation faite avec l’adaptation réussie de la formidable bande dessinée Quai d’Orsay signée Christophe Blain et Abel Lanzac (de son vrai nom Antonin Baudry) portée sur grand écran par Bertrand Tavernier.
Avec une jubilation communicative, le réalisateur met en scène cette comédie politique savoureuse interprétée par des personnages délibérément caricaturaux (d’ailleurs, le sont-ils vraiment?!), à commencer par le Ministre (Thierry Lhermitte, convaincant), énergumène haut perché tendance ouragan qui évolue dans un monde parallèle avec un parlé bien à lui, pas toujours compréhensible au commun de mortels, fan d’onomatopées, d’Héraclite, de Bernard-Henri Lévy et de Balavoine, dopé au boulot et au stabilo jaune (toute ressemblance avec une personne réelle n’est absolument pas fortuite).
A travers le regard d’Arthur Vlaminck (Raphaël Personnaz), jeune recrue ahurie jetée dans l’eau trouble ministérielle, le spectateur découvre avec délectation la vie d’un cabinet orchestrée par le directeur de cabinet, Claude Maupas (Niels Arestrup, excellent dans un rôle à contre emploi) alias « la force tranquille ». A ses côtés, les conseillers techniques, particulièrement hauts en couleur : Stéphane Cahut (génial Bruno Raffaelli), le conseiller Moyen-Orient à la taille de géant, confiné dans un bureau de liliputien, plus contrarié par le fait de ne plus jamais avoir le temps de manger, Valérie Dumontheil (Julie Gayet, parfaite), la directrice adjointe et conseillère Afrique, aussi brillante que garce, ou encore Guillaume Van Effentem (irrésistible Thierry Frémont), le conseiller Amérique, adepte des chansons paillardes.
L’occasion est ainsi donnée de découvrir les dossiers du Ministre, de l’ours Cannelle aux anchois espagnols en passant par la prise de position de la France contre la guerre en Irak ou encore les Questions/Réponses hebdomadaires à l’Assemblée nationale. Des sujets plus ou moins passionnants qui arrachent au Ministre cette révélation criante : « métier de con! »
Des répliques truculentes (« allez- y, mais gambergez, vous! Je ne vais tout de même pas tout vous stabiloter! »), un rythme effréné, fidèle à la BD, ponctuée par les situations d’urgence qui mettent les nerfs des pesonnages à rude épreuve, de l’humour à foison et surtout, la justesse avec laquelle est restitué cet univers de pure folie où les égos ne se confrontent pas toujours avec bonhomie… Il me resterait encore bien des choses à vous dire sur Quai d’Orsay. Mais cette critique est déjà bien longue et le plus simple reste de vous laisser juges!
Sortie le 6 novembre 2013.
Quai d’Orsay