Dans son dernier rapport publié mercredi 9 octobre et intitulé fort judicieusement Taxing Times, le FMI laissa échapper une petite phrase interrogative qui provoqua un grand incendie : "A One-Off Capital Levy ?". Dit en français, les experts du FMI suggéraient une taxe exceptionnelle et unique de 10 % sur le capital de tous les ménages qui disposent d'un patrimoine net (c'est-à-dire après prise en compte de leurs dettes), afin de résoudre une bonne fois pour toutes la question de l'endettement public au sein de la zone euro !
Passé l'étonnement de lire une telle proposition, les réactions ont fusé parfois avec violence. Mais que faut-il vraiment en penser ? Un petit détour par le taux d'endettement public s'impose !
L'endettement public au sein de la zone euro
Selon Eurostat, à la fin du deuxième trimestre 2013, le taux d'endettement public s'est établi à 93,4 % dans la zone euro à 17, contre 89,9 % au deuxième trimestre 2012 :
Taux d'endettement public, 2e trimestre 2013
[ Source des données : Eurostat ]
La dynamique de l'endettement public
Bien plus que le niveau (certes historiquement élevé), c'est la dynamique de l'endettement public qui compte, d'où le graphique ci-dessous que je vous ai construit sur la bse des données Eurostat :
Variation du taux d'endettement public T2/2003 - T2/2012
[ Source des données : Eurostat ]
On voit donc clairement que par rapport au 2e trimestre 2012, la grande majorité des États membres ont vu leur taux d'endettement public augmenter alors même que des mesures de rigueur avaient été prises pour l'empêcher ! Cela démontre au passage l'inefficacité de ces politiques d'austérité que je dénonce tant et dont je reparlerai très prochainement dans le cadre de deux conférence-dédicace, l'une à la médiathèque de Forbach le samedi 16 novembre à 14h45, l'autre à la médiathèque de Sarreguemines le mardi 19 novembre à 20h30.
Rappelons que pour beaucoup de pays, contrairement à ce qui est souvent avancé, l'État n'a pas fait n'importe quoi mais a subi la terrible onde de choc de la crise en 2008. Celle-ci a débouché sur une chute de l'activité et donc une contraction de la base fiscale, qui entraîne une dégradation des finances publiques. D'où à l'arrivée une hausse de l’endettement public.
Pour le dire un peu autrement, la finance a mis l'économie au tapis et supplié les États de lui venir en aide. Pour ce faire, ils se sont endettés considérablement, mais depuis les financiers reprochent aux gouvernements des dépenses publiques trop nombreuses... Situation ubuesque s'il en est !
Une dynamique négative renforcée par la désinflation
La situation des finances publiques des États membres est aggravée par la désinflation, qui se généralise au sein de la zone euro et qui n'est pas une bonne nouvelle comme on pourrait le croire de prime abord. En effet, certes cela redonne temporairement un peu de pouvoir d'achat aux ménages, mais conduit surtout à la dégradation de la solvabilité budgétaire en faisant monter les taux d’intérêt réels à long terme.
Ces derniers deviennent ainsi dans de nombreux pays supérieurs à la croissance, ce qui nécessite par conséquent un excédent budgétaire primaire très important pour
stabiliser le taux d’endettement public (de l'ordre de 11 % au Portugal et 25 % en Grèce !). Autant dire que la solvabilité ne sera jamais possible dans certains pays...
Que faire lorsque la dette publique n'est plus soutenable dans le temps ?
Voici une short list des solutions possibles :
* chercher à augmenter la croissance potentielle. Comme je l'expliquais dans ce billet, cela passerait notamment par des gains de productivité qui pour l'instant font défaut.
*mener une politique monétaire comme le Japon, c'est-à-dire création massive de liquidités pour acheter des titres publics. Cela devrait conduire à de l'inflation tout en empêchant la hausse des taux d’intérêt nominaux. Mais vu les dissensions au sein de la zone euro, j'imagine mal la BCE se lancer dans une telle opération...
D'aucuns argueront que la Banque centrale européenne a déjà un programme de rachat d'obligations : l'OMT. Or, j'avais montré dans ce billet que les conditions de mise en place du programme OMT sont tellement drastiques, que cette aide n'est pas prête d'être demandée. De plus, elle ne saurait répondre à l'immense défi qui lui est assigné, puisqu'elle n'est qu'un subtil compromis entre la position de l'Allemagne et la nécessité d'intervenir en prêteur en dernier ressort pour sauver la zone euro. De l'eau tiède, presque froide, en somme...
* une variante de l'idée précédente serait d'inciter les banques à se gaver de titres publics. Or, j'avais expliqué dans ce billet que cela fait augmente le risque systémique, en corrélant encore un peu plus la situation des États et des institutions financières privées. En effet, il suffirait alors que les taux d’intérêt nominaux à long terme augmentent pour que les obligations valorisées aux prix de marché voient leur prix baisser, ce qui déboucherait sur des moins values et une réduction des fonds propres des banques.
* restructurer les dettes publiques : rien à dire sur ce point, tout le monde comprend.
Et si on veut éviter tout cela, il reste alors la solution proposée par le FMI : une taxe exceptionnelle et unique de 10 % sur le capital de tous les ménages qui disposent d'un patrimoine net, c'est-à-dire un patrimoine positif une fois payée les dettes. Cette solution doit permettre de résoudre une bonne fois pour toutes la question de l'endettement public au sein de la zone euro, suivant le célèbre adage financier il vaut mieux se couper le bras que la tête !
Que penser de la solution évoquée par le FMI ?
D'emblée précisons que cette idée n'est pas nouvelle, puisque Barry Eichengreen (un célèbre économiste) en avait par exemple déjà fait l'historique en 1990. Elle revient ainsi régulièrement lorsque les États sont à cours d'idée mais s'obligent encore moralement à rembourser leurs dettes. Mais elle ne trouva d'application qu'en Italie après la Grande guerre et au Japon après sa défaite en 1945.
Il faut dire qu'elle pose de sérieux problèmes économiques et éthiques. Tout d'abord, en faisant des calculs simples, on peut montrer qu'une taxation à 10 % ne serait pas suffisante pour ramener le taux d'endettement public sous la barre des 60 % du PIB dans tous les États (par exemple en Italie).
De plus, comme nous l'avons expliqué plus haut, cela n'empêchera pas la dynamique de la dette publique d'être défavorable dans certains pays, ce qui débouchera donc sur une reprise de la tendance haussière du taux d'endettement public les années suivantes.
En outre, cette solution néglige l'effondrement du prix des actifs qui en résulterait : pour payer cette taxe, les détenteurs de patrimoines nets seront en effet contraints de vendre une partie de leurs actifs immobiliers et/ou financiers, ce qui conduira, vu les montants en jeu, à une chute brutale des valorisations et à des crises en série !
Enfin, sur le plan moral, j'ai du mal à imaginer que les ménages seront ravis de contribuer encore une fois au sauvetage du système financier, sans que ce dernier n'ait aucune contrepartie à fournir en dehors d'une énième promesse de ne plus recommencer à spéculer...
Finalement, la seule issue vers laquelle on se dirige, qu'on le veuille ou non, c'est le défaut sur la dette et subséquemment la fin de la zone euro comme je l'avais déjà écrit au moment de la crise chypriote. Dès lors, il me semble indispensable de l'anticiper pour mieux préparer les conséquences qui en découleront, plutôt que de repousser sans cesse l'inévitable !
N.B : l'image de ce billet est celle du film shining et provient du site Melty.fr