Les replis des légendes populaires recèlent parfois des parcelles de vérité. Le bruit courait depuis quelques mois. On l’aurait d’abord aperçu dressé au pied d’un châtaignier sur la place principale d’une ville en bordure du Massif-Central. Des chasseurs auraient décelé sa présence en Sologne, au cœur d’une vieille roseraie fanée. Des gardes forestiers l’auraient repérésous les hautes futaies de la vallée de Chevreuse. Puis la rumeur grossit. Il serait entré dans Paris. Certains prétendirent même l’avoir croisé. Il aurait d’abord affectionné les abords boisés, bien sûr. Le parc Monceau avec sa Rotonde, le jardin des Tuileries et sa terrasse Pomone et, bien entendu, le jardin du Palais-Royal avec sa réplique du canon de bronze. Les médias enquêtèrent. Un jeune paparazzi crut un jour avoir enfin découvert sa tanière. Pénétrant par hasard dans le jardin de l’ancien hôtel particulier du comte d’Évreux, il crut distinguer son ombre. Il prit un premier cliché mais un jardinier se dressa soudain devant lui. Endimanché de pied en cap, il arborait un large sourire satisfait. « La Madame, elle est pas là, articula-t-il dans un mauvais patois d’énarque. Désolé ! » Le photographe se retira confus sans bien comprendre pourquoi l’homme riait doucement en silence comme quelqu’un qui vient de faire une bonne blague. Il raconta néanmoins son aventure autour de lui. Les médias s’en emparèrent et s’en firent largement l’écho. L’instantané circula sur le net. Des spécialistes le décryptèrent avec des arguments scientifiques imparables. Ce n’était, selon eux, qu’une mauvaise évocationd’ectoplasme. Ce fut Martine qui, curieusement, dévoila à son insu le pot aux roses. Sa grand-mère lui avait jadis raconté les contes de Perrault tels que l’histoire de Blanche-neige et celle du Petit Poucet. Elle clôturait toujours celle du chaperon rouge par un avertissement solennel : « dis-toi bien, ma fille, que quand c’est flou, y a un loup ! » Ce qui explique pourquoi, aujourd’hui encore, qu’elle aime par-dessus tout que les choses soient claires. Elle était allée ce jour là à la plage où elle avait édifié un château de sable comme on bâtit un rêve profondément ancré au fond de l’âme. Après son goûter, elle était revenue de joyeuse humeur à la maison en chantonnant quelque ritournelle de son Pays du nord. Hélas, le téléphone sonna alors qu’elle passait la porte de la terrasse. Agacée, elle jeta son seau et sa pelle sur le tapis et répondit de son ton revêche habituel. Elle écouta malgré tout son interlocuteur avec attention. Une jeune pigiste en stage au quotidien local se présenta au moment dans l’espoir de recueillir une interview. Martine la rabroua. L’autre l’entendit cependant prononcer distinctement ces quelques mots avant de raccrocher : « Oui monsieur le président ». L’aventure parvint aux oreilles du directeur de rédaction du journal. Il s’empressa de la poster sans attendre dans la formule numérique. L’information fit le tour de la planète. La télévision nationale l’annonça au peuple incrédule. Il y aurait donc bien un président ! On voit par là que dans notre monde en grandes convulsions, tout peut arriver.