Oiseau de nuit

Publié le 05 novembre 2013 par Mentalo @lafillementalo

A treize mois, Ultime est une enfant charmante et belle comme le jour, vive et pleine d’énergie. Elle sait le chant des oiseaux et le cri du cochon, celui du canard et puis le cheval aussi et puis les vaches dans les prés. Elle repère les chiens à des kilomètres et les chats sont ses amis, autant que Roger Fenouil le lapin nain. Elle ne marche pas mais escalade tout ce qui passe à sa portée, monte et descend les escaliers, rien ne l’arrête. Elle sait ce qu’elle veut, sait ce qu’elle aime, commence à répéter les mots familiers.

Mais Ultime ne sait pas dormir plus de trois heures d’affilée. A treize mois, Ultime s’endort seule dans son lit, mais se réveille quatre fois par nuit, et ne daigne se rendormir qu’après avoir tété. Elle fait ses nuits, qui sont loin d’être les miennes.

En treize mois, j’ai pris dix ans. L’avantage, c’est que je fais le Vendée-Globe quand tu veux, vocabulaire fleuri de marin compris.

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A quatorze mois, Ultime fait ses nuits, et puis surtout les miennes. Elle frétille de joie en apercevant son lit. Elle joue tranquillement avec son doudou en attendant l’extinction des feux, ferme parfois déjà les yeux d’extase. S’endort paisiblement, pour ne se réveiller que neuf ou dix heures plus tard. Samedi soir, extravagance suprême, elle a inauguré le lit parapluie chez sa marraine, comme une fleur. En journée aussi elle dort mieux, et n’a plus l’air d’être constamment sous acide.

Moi, je tente d’oublier le traumatisme. Le fond du trou. La solitude suprême de quatre heures du matin. L’angoisse de prendre la voiture pour aller travailler avec trois heures de sommeil dans mes valises sous les yeux. L’impression d’avoir raté un truc, sans savoir quoi, et d’être au bout de ce que je peux faire, physiquement, psychologiquement et techniquement. Parce que faut pas croire, au bout de quatre mômes, j’avais en magasin un certain nombre d’astuces dodo testées et approuvées - par les autres, pas par Ultime.

Ce qui a changé nos vies? Accepter que nous avions besoin d’aide. Déposer notre fardeau aux pieds d’une autre, dont c’est le métier, une fois toutes les causes médicales écartées. J’ai écrit à Aude Becquart, et je me souviens avoir terminé mon mail par

Je suis simplement fatiguée.

Dix jours plus tard, lors de notre rendez-vous téléphonique*, Aude a posé plein de questions pour mieux comprendre. Nous, notre vie, l’avant Ultime, la vie avec Ultime. Pas un instant elle n’a jugé, critiqué. Au contraire, gratifié le chemin déjà parcouru: les deux premiers mois, née avec un dos compliqué, Ultime ne dormait que dans les bras. Les six premiers mois, que contre moi.

Vous avez fait ce que vous avez pu avec le bébé que vous aviez.

Voilà pour la culpabilité maternelle: hop, poubelle.

Ensuite, Aude propose des solutions. Une espèce de protocole dodo, si on veut. Unique, personnalisé, adapté à notre bébé. A mettre en place dès qu’on se sent prêt, et ne plus lâcher. Ca paraît une montagne sur papier (il vaut mieux prévoir un petit carnet pour la consultation). C’est oublier que la montagne, ça fait cinq cents nuits qu’on la gravit. En vrai, c’est un peu dur la première nuit. Encore un tout petit peu la seconde. La troisième, ça va mieux. La quatrième, tu n’en crois pas les plumes de ton oreiller. La cinquième, tu la passes couchée sur le dos, les yeux grands ouverts, à guetter un réveil qui ne vient pas. Jusqu’à la dixième, tu as un sommeil pourrave, juste pour te souvenir comment c’était dur, et réaliser que ça y est.

Après, tu oses bouquiner à nouveau le soir jusqu’à pas d’heure, vu que tu sais que tu ne devras pas te relever à peine couchée. Tu te couches sereine, tu te roules sous la couette de bonheur, le pelochon est ton meilleur ami à nouveau.  Ah, et puis tu te rappelles que tu as un Jules, au passage, ce qui n’est négligeable pour personne.

Se répéter qu’on oeuvre pour le bien de tout le monde. Bien dormir s’apprend. Pour certains, c’est plus long que pour d’autres, et demande un peu de pro-activité. Se souvenir que quand on a appris à rouler à vélo, c’était pas simple non plus, alors que le voisin, lui, nous narguait sur son deux-roues depuis des mois.

Concrètement, il s’est agi pour nous de changer Ultime (donc le reste de la fratrie, et même les parents, du coup), de chambre, histoire de casser les habitudes, et de rassurer autant de fois que nécessaire (près de vingt fois à la suite la première nuit, autant le savoir), d’une voix calme, sans la prendre dans les bras ni donner le sein (mais jamais de laisser pleurer, porte fermée et persil dans les oreilles pour pas entendre), selon un protocole bien précis donné par Aude.  Et tenir. Très vite, on entend le changement dans les pleurs.

A priori, rien de sorcier. Sauf que seule, je n’y serais pas arrivée, tout simplement. A chaque étape, je me suis sentie accompagnée, soutenue. C’est ce qui fait toute la différence.

Il me reste à vous dire merci, Aude.

*Consultation téléphonique d’une heure (et suivi en cas de cou de mou), 65€.  J’aurais donné un million.
Plein de témoignages de familles fatiguées à lire sur le site.

PS Toute ma compassion aux membres de la #teamhibou pour qui c’est encore compliqué ♥

PPS Et merci à la #teamhibou pour le soutien nocturne ♥