Si la première partie de cet ouvrage jubilatoire et fort documenté reprend le texte du Dico flingueur des Tontons légèrement corrigé et augmenté, la seconde, entièrement dédiée aux Barbouzes, est inédite, mais toujours illustrée de dessins très réussis de Gega. Il a semblé logique à l’auteur - et l’on ne saurait le contredire - de traiter en un seul volume ces deux longs métrages de Georges Lautner, considérant que le second constituait une « suite officieuse » du premier. Certes, ce film de 1964 ne saurait prétendre égaler son aîné de 1963 ; un scénario moins structuré, une moindre importance laissée aux dialogues, quelques incohérences et l’absence d’une scène aussi mythique que celle de la cuisine ne peuvent que le reléguer à la second place. Cependant, cette savoureuse parodie des films d’espionnage, à une époque où ce genre connaissait un immense succès, mérite toute l’attention des amateurs d’Audiard.
Sa distribution n’y est pas étrangère ; on y retrouve Lino Ventura en barbouze français, Bernard Blier en abbé helvète Cafarelli, onctueux à souhait, Francis Blanche, époustouflant en Boris Vassiliev, auxquels se joint Mireille Darc campant Amaranthe (née Antoinette Dubois...), une veuve aussi fortunée que peu éplorée. Si Robert Dalban, l’étonnant majordome des Tontons, n’apparaît que dans un rôle très secondaire, on note la présence de l’excellent Noël Roquevert, grand diseur d’Audiard qui fit merveille, notamment, dans Un Singe en hiver d’Henri Verneuil.
Stéphane Germain apporte à son dictionnaire ce que l’on pourrait désormais appeler sa « marque de fabrique » : une connaissance très pointue de l’univers d’Audiard, un sens aigu des détails, parfois infimes, présents dans chaque scène ou réplique et une belle érudition, toujours ponctuée d’un humour bienvenu.
Chaque entrée de ce dictionnaire apporte son lot d’informations et d'anecdotes de tournage, aussi utiles aux cinéphiles que divertissantes pour les amateurs d’Audiard et de Lautner. On peut incidemment y lire une salutaire critique de notre époque policée, comme dans ce texte consacré au mot « Xénophobie » : « Dans les années 60, la chape de plomb du politiquement correct ne s’était pas encore abattue sur les productions grand public. On pouvait dérouler sereinement les stéréotypes attribués à telle nation ou à tel peuple, sans avoir à craindre les foudres des "associations". Celles-ci voient désormais derrière chaque histoire belge une première étape vers l’appel au génocide... Audiard, Lautner et Simonin ne se privèrent donc pas d’enfoncer les portes ouvertes de la xénophobie bon enfant. La fourberie suisse, la folie russe, la vulgarité matérielle des Américains, le sadisme allemand, tous les poncifs sont au rendez-vous, sans que cela ait choqué qui que ce soit. Dans le même esprit, on soulignera la confusion entretenue entre les différents peuples asiatiques - chinois ou japonais, c’est du pareil au même, surtout quand ils sont joués par des Vietnamiens ! Tous karatékas mais tous anonymes, ils ne constituent qu’une masse interchangeable, muette et menaçante : le péril jaune. »
Stéphane Germain sera présent à Nantes le 9 novembre prochain pour une séance de dédicace et une table ronde dans le cadre des cérémonies du cinquantenaire des Tontons flingueurs (voir programme en suivant ce lien).
Illustration : Affiche du film de Georges Lautner Les Barbouzes.