Comment rompre avec l’inflation règlementaire ?

Publié le 05 novembre 2013 par Copeau @Contrepoints
Analyse

Comment rompre avec l’inflation règlementaire ?

Publié Par Jacques Garello, le 5 novembre 2013 dans Droit et justice

Au-delà des réformes institutionnelles, c’est en s’attaquant à l’État-providence que l’on mettra fin à l’inflation de textes.

Par Jacques Garello.
Un article de l’aleps.

La réglementation est un fléau qui ravage l’économie française, mais aussi la vie privée des Français, mais encore l’État de droit. L’inflation législative marque le déclin du droit, car la loi n’est ni stable, ni claire, ni générale. Elle est source d’incertitude et d’arbitraire, elle a des coûts prohibitifs. Comment rompre avec le « harcèlement textuel » ?

Qui est responsable de l’inflation réglementaire ?

Pour en finir avec les abus de la réglementation, je me demande d’où ils viennent. Du Parlement ? Du gouvernement ? De l’administration ?

Bien que la Constitution lui attribue ce rôle, le Parlement a perdu depuis bien longtemps l’initiative des lois. Pour 85% des lois ce ne sont ni les députés ni les sénateurs qui les proposent, c’est le gouvernement qui en fait le projet. C’est l’exécutif qui a l’initiative des lois. Et le législatif n’a qu’à suivre. Sans doute peut-il déposer des amendements au texte soumis, mais s’ils sont d’une vraie signification, le gouvernement fera jouer la règle du « vote bloqué » et dira donc aux parlementaires : « c’est tout ou rien ».

Le gouvernement n’a pas pour autant la maîtrise des textes. Car, au niveau des ministères, ce sont les hauts fonctionnaires qui connaissent la législation en vigueur et peuvent infléchir les changements voulus par le gouvernement. L’administration des Finances est particulièrement influente, car elle détient les cordons de la bourse et la plupart des textes lui sont soumis, quand ce n’est pas elle qui les initie (notamment en matière fiscale et sociale).

Aussi bien le Conseil d’État que la Cour des Comptes, consultés sur ces procédures législatives, ont maintes fois déploré l’incohérence et l’inopportunité des textes produits par nos autorités publiques. Les « actes administratifs », comme disent les publicistes, sont bien sous le contrôle des tribunaux administratifs et du Conseil d’État, mais la jurisprudence de ces magistrats n’a ni la rigueur ni la clarté de celle des juges de droit commun.

La source européenne

Enfin, et non le moindre, une grande partie des textes votés par le Parlement français n’est que la transposition en droit français des directives européennes conçues par les Commissions de Bruxelles – et ensuite soumises au Parlement Européen ou au Conseil. Certes la France traîne les pieds, et notre pays est celui qui met le plus de temps à appliquer les directives européennes, mais actuellement la quasi-totalité des textes sont transposés, en attendant d’être exécutés.

Les normes européennes les plus nombreuses et les plus contraignantes concernent l’hygiène, la santé, et de plus en plus l’environnement. C’est bien Bruxelles qui réglemente l’alimentation, le logement, la pollution, bref le quotidien de notre vie.

Le principe d’un droit européen est aberrant parce qu’il revient à effacer toutes les traditions juridiques des différents peuples. Le droit n’est pas le produit instantané d’une assemblée ni d’une cour de justice, ni d’un traité, mais de l’expérience vécue par des gens vivant ensemble et découvrant par tâtonnement les règles qui leur permettent de vivre en paix.

L’acte unique, ratifié par les Européens (Anglais compris) en 1986, avait consacré la règle de la « mutuelle reconnaissance des normes » : un produit devait être accepté dans n’importe quel pays européen s’il était en conformité avec les normes de son propre pays. Ce principe allait très loin puisque parmi les normes nationales on peut inclure la fiscalité indirecte (TVA), qui est une caractéristique majeure d’un produit.

Mais progressivement une autre doctrine l’a emporté : celle de l’harmonisation des normes nationales en vue de déboucher sur des normes européennes. Dès lors les autorités de Bruxelles n’ont cessé de concevoir ce fameux droit européen sorti de nulle part sinon de compromis politiques, et obligatoirement transposé dans les divers droits nationaux.

Revenir au principe de la mutuelle reconnaissance des normes est une réforme prioritaire au niveau européen.

Restaurer l’indépendance du législatif et du judiciaire

Au niveau national, la première réforme à introduire est de restaurer l’indépendance du Parlement. Il n’a qu’un rôle mineur dans la conception et l’adoption des textes, il faut le rétablir dans ses prérogatives. Surtout depuis l’adoption du quinquennat, la majorité parlementaire est devenue « présidentielle ». Les députés (et parfois même les sénateurs) n’ont aucune indépendance réelle car leur réélection est suspendue à l’investiture du parti et au financement de leur campagne. Or la loi sur le financement des partis soumet ce financement au nombre d’élus déjà en place : lancer une nouvelle formation politique est légalement impossible. Belle conception de la démocratie : l’argent des candidats distribué par l’État !

Il est bon également que la démocratie ne soit pas uniquement « représentative », car la fidélité des représentants du peuple aux promesses et aux discours n’est que très approximative. Il faut donc compenser ce risque, comme le font les Suisses, par des doses importantes de démocratie directe, avec le referendum d’initiative populaire. Aujourd’hui le referendum est d’initiative politique, c’est un vote de confiance ou de rejet du pouvoir en place, tant au niveau national que local. Le referendum véritable permet au « peuple législateur » (Rousseau) d’exercer son pouvoir et de prévenir les excès législatifs des représentants aux assemblées locales et nationales.

Restaurer l’indépendance du pouvoir judiciaire

Restaurer l’indépendance du pouvoir judiciaire est tout aussi urgent. D’une part, il n’est pas normal que la France soit dotée de tribunaux administratifs, juridictions d’exception qui évitent à l’administration de subir le contrôle des juges de droit commun. En Angleterre, la Reine elle-même doit comparaître, s’il y a lieu, devant les juridictions ordinaires. Les tribunaux de l’ordre administratif, coiffés par le Conseil d’État, ont bâti un « droit public » et une jurisprudence qui ignorent bien souvent les règles du droit des biens et du droit des personnes du Code Civil (bien qu’il soit malmené par l’inflation législative). D’ailleurs le Code Civil se perd au milieu d’une soixantaine de « Codes » : le droit commun a disparu.

Comme a disparu aussi l’indépendance de la magistrature, puisque le Conseil Supérieur est dominé par le pouvoir exécutif, tout comme la carrière des magistrats. Montesquieu doit se retourner dans sa tombe.

Réduire l’État

En fait, la réglementation est la carte de visite de l’État-providence. C’est bien parce que la puissance publique veut prendre tout en mains qu’elle multiplie les règles imposées aux citoyens. Naguère le pouvoir intervenait surtout à travers le budget et les dépenses publiques, subventionnant et redistribuant. Mais aujourd’hui les caisses sont vides, et la réglementation est une manière efficace de gouverner, de créer des privilèges pour les uns au détriment des autres.

La réglementation n’est pas là par hasard. Elle est bien souvent la meilleure façon de satisfaire des intérêts particuliers corporatifs (toujours au prétexte d’intérêt général bien sûr). D’ailleurs au niveau européen les lobbies sont reconnus et écoutés, au niveau français les syndicats et les corporations s’arrangent pour mettre « la loi » de leur côté.

En conclusion, je crois qu’il faut aller plus loin que de simples réformes institutionnelles. C’est bien en s’attaquant à l’État-providence que l’on mettra fin à l’inflation de textes. Pour réduire les textes de l’État, il faut réduire l’État lui-même. Déréglementer c’est donc aussi privatiser, réduire la « sphère de l’État » (Constant).

Tel est bien le sens de ce programme : libérer les Français des chaînes de l’État-providence.


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