Enfin ! Enfin, Delphine d'Orbelet et Guillaume de Lautaret se sont mariés ! Pour autant, tout n'est pas rose pour le couple. Oh, question sentiments, aucun doute, mais d'autres aspects de leur vie pèsent sur le moral des jeunes époux. Delphine, qui aimerait tant donner une descendance à son mari, peine à tomber enceinte et cherche tous les moyens pour que vienne l'heureux événement.
Guillaume est lui, encore plus sombre. La promotion qu'il brigue depuis des mois et des mois, avant même son voyage en Louisiane, n'arrive toujours pas. Le couple, en attendant qu'on se décide enfin à faire appel aux services de Guillaume, a choisi de se mettre au vert, du côté d'Auxerre. Mais Guillaume ronge son frein et son humeur s'en ressent fortement...
Un jour, il décide de partir pour Versailles. Puisqu'il faut intriguer pour obtenir ce qu'on espère, alors, il ira intriguer. Mais, en chemin, il croise M. de Saintonges, dont l'épouse doit aussi aller à Versailles. Alors, Guillaume accepte de servir d'escorte à cette dame, au long d'un voyage qui, sans être périlleux, peut toujours croiser la route de quelques brigands...
Peu de temps après avoir pris la route, un incident attire l'attention de Guillaume qui décide d'aller voir de plus près. Mal lui en a pris, car il s'agit d'une diversion et, pendant son absence, le convoi est attaqué et Mme de Saintonges enlevée. Lorsque Guillaume parvient à la retrouver, elle a été assassinée dans des conditions très étranges, une mise en scène qui a de quoi intriguer et son corps est couvert d'une poudre blanche...
Se sentant aussi vexé d'avoir été berné que coupable de n'avoir su sauver Mme de Saintonges, Guillaume décide de comprendre qui a pu monter cette embuscade. Elle semble trop élaborée, trop précise pour être le fruit de bandits de passage. Les auteurs de la diversion ont agi au bon moment, nul doute qu'ils visaient bel et bien Mme de Saintonges. Mais pourquoi ?
Un indice va pourtant mettre le procureur sur une piste : la poudre blanche qui recouvre le cadavre est du sel. Or, en 1702, le sel est une denrée qui coûte cher : l'Etat prélève la gabelle, impôt particulièrement impopulaire qui a entraîné le développement d'une forte contrebande. Les faux sauniers, comme on appelle ces contrevenants, se multiplient et leurs actions se font de plus en plus audacieuses.
D'ailleurs, en haut lieu, on s'inquiète de cette recrudescence. Et voilà que des hommes envoyés par Versailles arrivent sur place alors que Guillaume essaye de remonter les pistes. Mais, il n'a pas mandat pour cela, on le lui fait bien comprendre. Pourtant, on lui livre un élément fondamental : un des faux sauniers que Guillaume a tué au cours de son enquête porte les lettres d'infamie...
Autrement dit, c'est un ancien galérien, peine qu'on infligeait le plus souvent à ceux qui essayaient de contourner la gabelle et de tirer profit de la vente du sel. La mort de Mme de Saintonges pourrait donc avoir été commandité par un réseau dont la tête pourrait se trouver au sein même des galères... Alors, M. de Chabas, homme de confiance du roi, va demander à Guillaume d'enquêter afin de démanteler ce réseau et faire punir les assassins de Mme de Saintonges.
Seulement, à Marseille, où sont envoyés les condamnés aux galères de toute la France, les galériens forment une véritable ville au coeur de la ville. C'est là qu'il va falloir que Guillaume enquête, s'il accepte de relever le défi lancé par M. de Chabas. Une choses absolument impossible s'il y va sous son identité réelle et sous sa fonction de procureur. Non, pour enquêter au milieu des galériens, il faut en être un...
C'est donc une mission d'infiltration, comme nous dirions de nos jours, que va accepter Guillaume. Se faire passer pour un criminel condamné aux galères afin de fureter et dénicher les responsables du réseau de faux sauniers, à la tête duquel se trouve un mystérieux personnage qui se fait appeler l'Orfèvre. C'est donc incognito, escorté par un autre galérien ayant rallié l'autorité que Guillaume part pour Marseille.
Enchaîné dans cette longue file de condamnés qui doivent marcher, quelles que soient les conditions météorologiques, jusqu'aux bords de la Méditerranée, il va découvrir l'enfer des galères... Là, il n'aura qu'un minimum de contact avec l'extérieur et il lui faudra mener ses recherches avec la plus extrême prudence, car s'il est démasqué, sa vie ne vaudra même plus le prix d'une poignée de sel...
Ce qu'il ignore, c'est qu'il s'est jeté la tête la première dans un piège terrible qui va se refermer sur lui. Pire encore, il a, sans le vouloir, entraîné son épouse, toujours aussi déterminée et têtue, dans le même piège... Car Delphine, qui a appris le sort de son époux, a voulu absolument le suivre sur place... Une décision un peu trop précipitée...
"Les galères de l'Orfèvre", c'est une plongée dans ce monde en dehors du monde, dans cette ville dans la ville, dans cette micro-société organisée et hiérarchisée. Bien sûr, il y a les galères elle-même, la chiourme, ceux qui rament sous la contrainte, les coups. Là aussi, il y a des hiérarchies, des rôles bien définis et un incroyable mélange d'origines...
Mais, plus surprenant, c'est cette ville véritable où se mêlent condamnés purgeant leur peine et anciens galériens désormais libres mais qui n'ont nulle part ailleurs où aller et restent là, gagnant leur vie auprès de leurs camarades d'infortune. En marge du reste du royaume, tout cela est régi par des codes précis et chacun se doit remplir son rôle, que ce soit au sein de l'arsenal que dans tout Marseille, et même bien au-delà.
Guillaume, si à cheval sur les règles et l'application des lois, se retrouve dans ce monde très réglementé, lui aussi, mais à l'encontre de tous ses idéaux. Lui qui vient de l'aristocratie doit affronter un monde tellement différent de celui dans lequel il évolue, avec en plus, l'épée de Damoclès d'être découvert. Il lui faut apprendre vite les us et coutumes de cette caste si particulière, s'il ne veut pas commettre d'impair fatal.
De plus, son enquête repose sur bien peu d'indices, on ne peut pas dire que ses nouveaux "amis" soient très bavards, et encore moins explicites, lorsqu'il leur arrive de converser. Guillaume doit marcher sur des oeufs, s'il se montre trop ostensiblement curieux, on risque de s'interroger à son sujet, et donc de flairer une embrouille... Cette enquête est vraiment la plus délicate à laquelle il ait été confronté, et il ne peut compter vraiment que sur lui pour découvrir le fin mot de l'histoire et se sortir vivant de là.
Si vous avez lu mes billets sur les deux premières enquêtes de ce "grand détective", pour reprendre le nom de la collection chez 10/18, "les nuits blanches du Chat Botté" et "l'embouchure du Mississipy", vous aurez remarqué qu'il manque, dans ce billet-ci un élément. Mais rassurez-vous, on y vient ! Cet élément, c'est le rôle de Delphine.
En effet, dans chacune des trois enquêtes, chacun mène ses investigations dans son coin. Ici, ça ne loupe pas, Delphine, dès la mort de Mme de Saintonges, va se lancer dans des recherches et obtenir des résultats. évidemment, qui vont venir compléter ceux de Guillaume, au moins aux yeux du lecteur. Cela en fait vraiment un couple pas ordinaire, car jamais, véritablement, ils n'enquêtent ensemble et ont souvent du mal à mettre leurs découvertes en commun !
Et puis, autre caractéristique de Delphine, son impétuosité. La demoiselle a du caractère et, malgré son intelligence et sa science, elle a une fâcheuse tendance à foncer tête baissée dans les embêtements (et je suis poli). Ici, comme Guillaume, d'ailleurs, ce sont les événements qui vont la desservir et la propulser dans une situation quasi inextricable, je n'en dis pas plus...
Enfin si, j'ajoute un élément : Duchon-Doris instaure du coup un suspense à double niveau, en créant deux intrigues parallèles, dont on s'attend à ce qu'elles finissent par se rejoindre à un moment donné. La tension autour de Guillaume est permanente, mais celle autour de Delphine, différente, est tout aussi prenante. L'absence totale de lien entre les deux époux y est pour beaucoup, et si l'un est concentré sur son enquête, inconscient du piège, l'autre est rongée par l'inquiétude... et nous avec.
Comme dans les deux premiers romans de sa série, Jean-Christophe Duchon-Doris parvient à intégrer merveilleusement le contexte historique riche et grave à sa fiction. J'ai évoqué la fin de règne, ce règne gangrené, pourrissant, aux antipodes de la splendeur d'un règne qui fut extraordinaire. On la retrouve là encore, à travers ces bagnards enchaînés, parfois parce qu'ils ont juste volé de quoi se nourrir ou essayer de survivre tant bien que mal alors que le royaume est exsangue et la pression fiscale gigantesque... On la retrouve aussi dans le climat décadent et corrompu qui semble régner partout. Ce qui fait un contraste saisissant avec l'intégrité inébranlable de Guillaume de Lautaret.
Les faux sauniers, dont il est question dans la première partie du roman, sont une réalité. La gabelle a entraîné le développement de ce trafic, aux mains de bandes organisées redoutables, pas franchement des Robin des Bois mettant leurs méfaits au service des populations démunies... De même, les galères furent une réalité de cette époque et l'activité de l'arsenal en plein coeur de Marseille atteignit son paroxysme à ce moment-là.
On se rappelle de la saga "Angélique", où il était question des galères, sauf que là, on entre vraiment dans ce milieu si particulier, je me répète. Il y a des scènes en mer, dont certaines sont très spectaculaires (dites donc, monsieur Duchon-Doris, il n'aurait pas une petite étoile qui veille sur lui, Guillaume de Lautaret ?), mais c'est quand même cette plongée dans le monde des galériens à terre qui reste le plus passionnant.
Un dernier point avant de conclure, sur le sel. Il est au départ de cette histoire, on croit le laisser derrière, une fois Guillaume sur les routes de France, marchant vers Marseille. Mais pas du tout. Le sel saupoudre et assaisonne toute cette histoire. Oh, pas la matière elle-même, non, mais toutes les symboliques que ce chlorure de sodium recèle.
Evidemment, sa valeur est alors immense et son rôle indispensable dans la vie quotidienne de tous, car il conserve la nourriture. Pourtant, les raisons de son importance dans cette histoire son vraiment à chercher ailleurs. Et je dois dire que si je m'attendais aux références bibliques, j'ai appris énormément de choses sur ce que pouvait symboliser le sel. Là encore, le talent de l'auteur est de parvenir à dissoudre cela dans son récit romanesque, sans que cela alourdisse la narration en quoi que ce soit.
Au final, j'ai refermé "les galères de l'Orfèvre" avec regret. J'ai pris un vrai plaisir de lecture à ce roman-ci, mais mon regret est venu du fait qu'il clôt cette série qui méritait sans doute plus de développement, tant pour ce tandem d'enquêteurs fort attachants, que pour ce contexte historique incroyable qui offrait encore sans doute plein de possibilités à un romancier qui ne manque pas d'imagination.
J'aime de plus en plus, je crois, les polars historiques, justement pour cela, pour cette alchimie complexe entre une intrigue qui doit captiver un lecteur contemporain tout en lui présentant avec le plus de justesse possible un contexte historique précis. Ces trois romans autour de Guillaume de Lautaret et Delphine d'Orbelet ont rempli cette mission haut la main.... J'ai vite envie de reprendre un nouveau polar historique pour revivre ce genre d'émotions et de découvertes.