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1L2. Histoire.Texte. Barbusse : l'assaut dans Le Feu.

Par Misterr

Henri Barbusse, auteur de L’Enfer, obtint le prix Goncourt avec son roman Le feu qui fit scandale. Engagé volontairement en 1914, il découvre les horreurs de la guerre qu’il dénonce.

« Nous traversons nos fils de fer par les passages. On ne tire encore pas sur nous. Des maladroits font des faux pas et se relèvent. On se reforme de l’autre coté du réseau, puis on se met à dégringoler la pente un peu plus vite : une accélération instinctive s’est produite dans le mouvement. Quelques balles arrivent alors entre nous. Bertrand nous crie d’économiser nos grenades, d’attendre au dernier moment.

Mais le son de sa voix est emporté : brusquement, devant nous, sur toute la largeur de la descente, de sombres flammes s’élancent en frappant l’air de détonations épouvantables. En ligne, de gauche à droite, des fusants1 sortent du ciel, des explosifs sortent de la terre. C’est un effroyable rideau qui nous sépare du monde, nous sépare du passé et de l’avenir. On s’arrête, plantés au sol, stupéfié par la nuée soudaine qui tonne de toutes parts ; puis un effort simultané soulève notre masse et la rejette en avant, très vite. On trébuche, on se retient les uns aux autres, dans de grands flots de fumée. On voit, avec de stridents fracas et des cyclones de terre pulvérisée, vers le fond où nous nous précipitons pêle-mêle, s’ouvrir des cratères, çà et là, à côté les uns des autres, les uns dans les autres. Puis on ne sait plus où tombent les décharges. Des rafales se déchaînent si monstrueusement retentissantes qu’on se sent annihilé par le seul bruit de ces averses de tonnerre, de ces grandes étoiles de débris qui se forment en l’air. On voit, on sent passer près de sa tête des éclats avec leur cri de fer rouge dans l’eau. À un coup, je lâche mon fusil, tellement le souffle d’une explosion m’a brûlé les mains. Je le ramasse en chancelant et repars tête baissée dans la tempête à lueurs fauves, dans la pluie écrasante des laves, cinglés par des jets de poussier et de suie. Les stridences des éclats qui passent vous font mal aux oreilles, vous frappent sur la nuque, vous traversent les tempes, et on ne peut retenir un cri lorsqu’on les subit. On a le cœur soulevé, tordu par l’odeur soufrée. Les souffles de la mort nous poussent, nous soulèvent, nous balancent. On bondit ; on ne sait pas où on marche. Les yeux clignent, s’aveuglent et pleurent. Devant nous, la vue est obstruée par une avalanche fulgurante, qui tient toute la place. C’est le barrage. Il faut passer dans ce tourbillon de flammes et ces horribles nuées verticales. »

Henri Barbusse (1873-1935), Le Feu (1916), éd. Flammarion.


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