Avec 265 séances et 95 000 spectateurs (soit une augmentation de la fréquentation de 20% par rapport à l'édition 2012 et presque le double par rapport à sa première édition en 2009) cette 5ème édition donne toute sa dimension à ce festival entièrement dédié aux films du patrimoine. Son enjeu, mettre en valeur le cinéma du passé, loin d'être au départ évident, confirme aujourd’hui avec succès l'avenir prometteur d'un cinéma classique qui se refait une nouvelle jeunesse auprès d'un nouveau public.
Après Clint Eastwood, Milos Forman, Gérard Depardieu et Ken Loach c'est le cultissime Quentin Tarantino qui a reçu le Prix Lumière le 18 octobre dernier à Lyon.
Si le festival récompense ainsi chaque année un cinéaste pour l'ensemble de son œuvre, il récompense aussi le lien que celui-ci entretient avec l'histoire du cinéma.
A tout juste 50 ans et 8 films à son actif, Tarantino est certes le plus jeune lauréat mais le festival ne pouvait finalement rêver meilleur ambassadeur tant le cinéaste est un passionné de cinéphilie, collectionneur de pellicule et un fervent défenseur du cinéma classique. A cette occasion, le cinéaste a aussi été fait commandant des Arts et des lettres par la Ministre de la Culture Aurélie Filippetti.
« J’aime le fait d’être récompensé pour l’ensemble de ma carrière à mon âge! Cela ne m’arrive qu’en France! (Rires) ».
Et c’est sûr, le Festival Lumière va comme une caméra à Tarantino tant le cinéaste est à lui seul, une mémoire vivante du cinéma.
Après avoir décliné à 4 reprises (agenda oblige), Tarantino a répondu présent à l'invitation de Thierry Frémaux (Délégué Général du Festival de Cannes et Directeur de L'institut Lumière, organisateur du festival) et s’est ainsi montré d’une générosité et d’une authenticité rare.
C'est ainsi loin du protocole et des mondanités que Tarantino a bousculé les habitudes se montrant toujours accessible et proche de son public.
Car Tarantino en bon passionné qu’il est, ne s’est pas simplement déplacé pour prendre son prix, faire son speech et s’en retourner aux Etats-Unis.
Il est le premier Prix Lumière à avoir ainsi investi le festival dès son ouverture et ce, jusqu'à sa clôture, n'hésitant pas à serrer la main à chacun des bénévoles de la manifestation (ils étaient pas moins de 300 cette année) mais aussi à aller dans tous les cinémas de la ville, présenter ses films, mais également ceux qui lui sont chers, ceux de sa cinéphilie, ceux des autres ...
Cette année, le premier spectateur du festival était aussi son invité d'honneur qui n'a pas manqué d'aller saluer son idole, Jean-Paul Belmondo, présent pour UN SINGE EN HIVER de Henri Verneuil, la séance d’Ouverture du Festival (on connaît sa passion pour le film LE DOULOS et pour Jean-Pierre Melville qui a influencé ses premiers films).
Il est allé embrasser Claudia Cardinale, l'actrice italienne à qui il doit « ses premiers frissons érotiques » dans IL ETAIT UNE FOIS DANS L’OUEST de Sergio Leone.
Certains films dans le cadre d'une carte blanche, avaient même été programmé spécialement pour lui, l'occasion de voyager à travers la culture et les goûts de ce cinéphile passionné qui a déclaré avec humilité :
"Les gens qui aiment passionnément le cinéma ne peuvent faire que de bons films ..."
A son programme, quelques perles de son panthéon personnel comme VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER de Michael Cimino (que le cinéaste a vu six fois de suite à sa sortie et jamais depuis), LE SPECIALISTE de Sergio Corbucci (dont il s'est inspiré pour son film DJANGO UNCHAINED), l’improbable et surprenant film de Nick Grinde HITLER DEAD OR ALIVE (qui lui inspira INGLORIOUS BASTERDS) ou LE VOYOU de Claude Lelouch, cinéaste auquel Tarantino a témoigné toute son admiration pendant la présentation du film au public :
« LE VOYOU, c’est PULP FICTION, 25 ans avant ! »
Du moins averti au plus cultivé, du plus jeune au plus vieux, jamais encore le festival n'avait touché un public aussi large comme si sa devise " un festival pour tous " prenait cette année tout son sens.
A ceux qui reprochaient le côté trop élitiste de la manifestation, Thierry Frémaux a offert un festival pour les amoureux de tous les cinémas... et généré un engouement populaire encore jamais atteint lors des précédentes éditions.
Sur les 38 écrans de cinéma du Grand Lyon, on aura croisé avec éclectisme, Ingmar Bergman (à l'honneur à travers une rétrospective), Pierre Richard, Henri Verneuil, Michael Cimino (cinéaste maudit revenu de l'enfer grâce à l'Institut Lumière), Les Monthy Python, Miyazaki (dont LE VENT SE LEVE, IL FAUT TENTER DE VIVRE a été présenté en avant-première française) Brian De Palma, Hal Ashby (cinéaste qu'on avait oublié, réalisateur de HAROLD ET MAUDE, son film le plus célèbre).
Une 5eme édition finalement à l’image de son invité d’honneur, tarantinesque, électrique et passionnée, comme l'a prouvé sa remise du prix, sans conteste le point d'orgue du festival.
C’est accompagné de "sa famille de cinéma" comme il se plait à l'appeler que Tarantino a reçu son prix : Ce soir là, Mister White et Mister Orange mais aussi Shosanna Dreyfus ou Black Mamba ont chacun, de manière très personnelle et sincère, rendu un hommage au réalisateur américain.
Avec gratitude pour Harvey Keitel qui a remercié les deux hommes qui ont bouleversé son existence et a ainsi rappelé combien Tarantino a compté dans sa carrière tout comme Bertrand Tavernier, Président de l'Institut Lumière (lui-même très ému lorsque que Keitel a évoqué le souvenir de la MORT EN DIRECT et la confiance qu’il lui apporta alors qu’il n’était plus du tout « bankable » après son éviction du tournage de APOCALYPSE NOW…).
Tim Roth quant à lui, a évoqué le tournage de RESERVOIR DOGS, son premier film hollywoodien, pour lequel il a quitté son Angleterre natale et passé tout le tournage dans… une mare de sang !
La remise s’est poursuivie en musique avec Mélanie Laurent qui a repris Bang Bang (My baby Shut me down) de Nancy Sinatra (sur Bande Originale de KILL BILL) puis a entamé une danse endiablée avec Tarantino donnant à la manifestation des petits airs cannois…
Harvey Weinstein (fondateur de Miramax Films et de la Weinstein Company, 2 sociétés de production dont la carrière de Tarantino est indissociable) a expliqué comment Tarantino avait changé sa vie :
"Miramax, ma première compagnie, est celle que Quentin a construit. The Weinstein Company, ma deuxième compagnie, est celle que Quentin a sauvé "
Très glamour, c’est Uma Thurman, la reine de la soirée, qui a remis son prix au lauréat, rappelant son attachement et son respect au cinéaste qui l'a fait tourner 3 fois.
« Quentin, ton cinéma est une explosion de dynamites. Il a été une explosion dans le cinéma, dans l’art… L’extravagance de ton expression, de tes rêves, de tes observations et parfois de tes cauchemars sont celles de la Justice, la Liberté, ta lutte contre l’oppression, pour le courage et plus encore pour l’amour et la passion ! »
Amour et passion étaient au rendez-vous de cette soirée mais aussi de l'humour lorsque le cinéaste est venu sur scène recevoir son prix. Il n’a pas oublié de remercier les Frères Lumière mais aussi… leurs géniteurs :
"Je ne sais pas ce que je ferais aujourd'hui si les parents des frères Lumière ne s'étaient jamais rencontrés ...".
Si il a remercié la famille Lumière, c’est sans oublier la sienne de famille.
" Moi qui n'ai pas de famille (Tarantino n’a jamais connu son père), ma famille elle est ici, autour de moi". " Ma famille, ce sont les gens qui sont sur cette scène. Ainsi que vous!"
Juste avant de conclure :
"Le cinéma est ma religion, la France, mon Vatican"
Cette année, l'événement n'était pas seulement dans les salles ou sur l'écran mais aussi dans les rues lyonnaises... Le cadeau d'anniversaire à cette 5ème édition (mais aussi aux 30 ans de l'Institut Lumière) c'était le remake de La Sortie des Usines (réalisé par les frères Lumière en 1895), premier film de l'histoire du cinéma, réalisé par des Tarantino, Cimino et Schatzberg, ce 19 octobre 2013, à l'endroit même oū il a été tourné (Rue du Premier Film) et oū le Cinématographe a été inventé (L’Institut Lumière).
Cet hommage à la naissance du Septième art ne pouvait rêver meilleur casting avec pas moins de 80 figurants dont parmi eux, un chien, un vélo (celui de Thierry Fremaux) et:
Claude Brasseur, Clotilde Courau, Emmanuelle Devos, Richard Bohringer, Françoise Fabian, Vincent Perez, Arielle Dombasle, Bertrand Tavernier, Marie Gillain, Tahar Rahim, Leila Bekhti, Christophe Lambert, Laurent Gerra, Clovis Cornillac, Elsa Zylberstein,Tim Roth, Julie Gayet, Harvey Keitel et son jeune fils, Clotilde Hesme, Tony Gatlif, Léa Drucker, Fatih Akin, Agathe Bonitzer, Gaspar Noé, Irène Jacob, André Dussolier, Radu Mihaileanu, Virginie Efira, Rachid Bouchareb ...
On conclura simplement avec les mots du président de l'Institut Lumière, Bertrand Tavernier qui résument assez bien cette édition exceptionnelle :
" Merci Quentin, d'avoir électrisé ce festival ! "