Il y a environ 86 milliards de neurones dans le cerveau humain, rappelle en préambule, l’un des auteurs de cette édition. Et si, au cours des dernières décennies, les scientifiques ont beaucoup progressé dans la compréhension de la composition moléculaire et génétique, de la structure et des fonctions des neurones, c’est dans la compréhension des règles de coordination d’un grand nombre de neurones que réside la véritable compréhension du système, des connexions et de la connectivité neuronale. Cependant, pour donner un sens à l’ensemble, les chercheurs doivent d’abord comprendre la composition des blocs de construction de base. C’est ce qu’entreprennent ici ces scientifiques du Salk qui « décortiquent » i le génome de neurones individuels.
Séquencer les neurones, un par un… Le seul moyen d’identifier des différences génétiques entre différents neurones d’un même cerveau était de séquencer le génome de cellules individuelles et non de lignées de cellules. C’est un processus extrêmement délicat, qui exige d’amplifier chimiquement la minuscule quantité d’ADN de la cellule individuelle et cela à plusieurs reprises avant de la séquencer. Après une année de travaux pour parvenir à mener à bien ce processus, l’équipe montre, à partir d’une centaine de neurones obtenus lors d’autopsies, ou à partir de neurones dérivés de cellules de peau de personnes en bonne santé (en passant par les cellules souches pluripotentes induites (iPSCs), que la constitution génétique des neurones dans le cerveau n’est pas identique, d’un neurone à l’autre.
Les neurones de notre cerveau ont tous un ADN différent ? Avec ces travaux, les scientifiques ont pu obtenir une vue d’ensemble des variations de nombre de copies (CNV) sur l’ensemble du génome du neurone et ont pu constater que près de 41% des neurones présentaient ainsi un CNV unique, de génération spontanée ou de novo, c’est-à-dire non hérité d’un parent. Des CNV qui apparaissent répartis sur tout le génome. L’unicité des CNV des neurones confirme aussi l’existence de modifications génétiques, non héritées, qui interviennent forcément plus tard au cours du développement.
Les CNV spécifiques des neurones impactent-elles l’ensemble du réseau neuronal? Alors que les neurones interagissent les uns avec les autres pour former des réseaux complexes, un CNV différent dans un neurone pourrait, théoriquement, avoir une influence sur l’ensemble du réseau. Dans le même sens, des variations de nombre de copies (CNV) spontanées ont été liées au risque de troubles neurologiques comme la schizophrénie et l’autisme, mais par des études qui portent habituellement sur des lignées entières de cellules. Il semble donc possible que les CNV identifiées dans ces études touchent de nombreuses cellules, voire la totalité, ce qui suggère que ces variations interviennent très tôt dans le développement.
Mais quelle est la fonction de ces CNV dans le cerveau en bonne santé ? Les chercheurs suggèrent que les CNV pourraient contribuer à s’adapter à de nouveaux environnements rencontrés en cours de vie ou à survivre aux infections. Ces cellules avec différents génomes produisent probablement des ARN et des protéines uniques, mais cela reste à vérifier. Il y a encore beaucoup à faire pour comprendre vraiment à quel niveau intervient cette spécificité et quels sont les paramètres tels que l’âge ou le génotype qui la détermine.
Source: Science 1 November 2013 DOI:10.1126/science.1243472 Mosaic Copy Number Variation in Human Neurons