Depuis son décès le 5 mars dernier, Hugo Chávez fait mieux que la Sainte Vierge, pourtant fervente des apparitions impromptues : l’ex-président apparaît partout.
On savait déjà que, dans un moment de recueillement à Sabaneta, le village natal du Comandante, Nicolas Maduro, son successeur désigné et actuel président, avait eu le pressentiment de voir Chávez sous la forme d’un petit oiseau siffleur. Soit. Mettons cela sur le compte de l’émotion encore vive quelques jours seulement après la disparition du leader bolivarien, qui plus est en un lieu où ce dernier avait passé toute sa jeunesse.
Quelques mois plus tard, en juin, le président Maduro remet cela. Il affirme que Chávez lui apparaît dans les montagnes qui dominent Caracas. Bon, on se dit que c’est allégorique…
Puis, en septembre, un enregistrement apparaît, avec la voix de l’ancien président affirmant qu’il est « plus vivant que jamais » et dénonçant les mensonges de son propre camp : « Qui aurait pensé que l’ennemi est parmi nous ? ». Coup monté par l’opposition à deux mois des élections, sentence Maduro qui n’endosse évidemment pas ce Chávez-là.
La voix enregistrée de Chávez, la réaction de Maduro
Coup de théâtre
Ces derniers jours, nouveau coup de théâtre : c’est dans un tunnel du métro en construction que Hugo Chávez est apparu aux ouvriers, sous la forme d’un visage gravé dans la terre. Nicolas Maduro s’en est fait l’écho devant les caméras de télévision : « Regardez cette image. Il y a un visage ! Un visage ! Cette photo a été prise par les travailleurs de la nouvelle ligne de métro. C’est lui ! Qui pourrait-il bien d’autre s’agir ? Un regard, celui la patrie, y compris là où l’on ne peut pas expliquer sa présence », explica-t-il devant le public présent. Il continua : « Les ouvriers étaient en train de travailler lorsque, à deux heures du matin, ils ont vu ce visage apparaître sur la paroi. Ils ont apporté l’image pour que chacun soit témoin. Et puis tout d’un coup l’image disparaît » poursuit-il avant de lancer : « Cette photo prouve à tous que je dis la vérité. Chavez est partout. En chacun d’entre nous, en toi, toi petite fille, en toi aussi petit garçon, femme, travailleur. »
Nicolas Maduro montre le visage de Hugo Chávez apparu dans le métro de Caracas
Tiré par les cheveux ?
Nicolas Maduro et Sai Baba
Là, Nicolas Maduro enfonce le clou. Ou bien il croit vraiment à ces apparitions, et cette hypothèse n’est pas tout à fait tirée par les cheveux lorsque l’on sait qu’il fut (est toujours ?) un adepte de Sathya Sai Baba et qu’il est sensible à des formes de spiritualité new age. Ou bien il instrumentalise ces apparitions, ces perceptions, sachant très bien qu’elles impressionneront son public, le « petit peuple » vénézuélien, dont l’appui lui est absolument nécessaire à quelques semaines des élections municipales de décembre, et bien entendu au-delà. Ou bien les deux hypothèses, qui ne sont nullement contradictoires, se confondent, et c’est sans doute le plus plausible.
Car, pour absurdes qu’elles puissent paraître à nos yeux incrédules et nos esprits positivistes, ces apparitions ont toutes les chances d’exercer un effet réel sur la population vénézuélienne, volontiers superstitieuse et toujours avide de magie. Tout au moins sur cette partie majoritaire de la population qui intéresse les chavistes : les habitants des barrios urbains, la petite paysannerie, et même une petite bourgeoisie de récente extraction, toujours sous l’effet de l’éducation populaire reçue en famille, et donc peu encline au rationalisme. Nicolas Maduro lui-même est de ceux-là.
L’opposition elle-même n’hésite pas à utiliser la ficelle, en faisant appel à la voix de Chávez pour distiller la division dans le camp adverse. Guerre médiatique oblige.
Entretenir la foi
Pour les chavistes, il s’agit par contre d’entretenir la foi. Les affiches de Chávez qui parsèment le pays, aussi nombreuses et aussi géantes qu’elles soient, n’y suffisent évidemment pas. Il leur manque un élément esentiel : la composante magique, celle-là qui est seule capable se sceller les certitudes dans les esprits disponibles. Et quoi de plus magique et merveilleux qu’une apparition ?
Gabriel García Márquez, dans ses romans chargés de réalisme magique (combien d’apparitions n’y voit-on pas au fil des pages ?), n’a finalement rien inventé. Simplement il a su décrire mieux que quiconque l’esprit profond d’un peuple (colombien, vénézuélien ou latino-américain) volontiers enclin au merveilleux et toujours empreint de superstitions.
Relisez donc Cent ans de solitude, ce chef-d’œuvre définitif de la littérature latino-américaine et universelle, vous y verrez peut-être apparaître, entre les lignes, Hugo Chávez en personne !
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