Nils Frahm - Spaces
Je sais pas chez vous, mais ici à l’heure où j’écris ces lignes, il fait un temps de cochon. Enfin de cochon, quelle étrange expression puisqu’à mon avis aucune intelligence porcine ne mettrait ce soir le groin dehors. Disons plutôt que cette salope de pluie automnale a retrouvé le chemin des côtes bretonnes, aidée par son allié de toujours, le vent froid, capable de retourner un parapluie plus vite que moi de veste. Résultat, aujourd’hui c’est officiel, l’été indien c’est terminé. Je viens de remettre le chauffage, mon caban et à plus tard mes envies de sortir en tongues. Et il fallait en plus que ça tombe au même moment que l’économe changement d’heure qui accentue la tristesse de prendre son goûter à la tombée de la nuit. I’m down.
C’est dingue combien ce passage vers l’hiver affecte l’écoute musicale. Franchement, par ce temps digne de la naissance orageuse de Chateaubriand, vous vous voyez encore écouter de la salsa ? Danser sur Get Lucky en sarouel ? Moi j’ai plutôt envie de me pelotonner en position fœtale en écoutant Mano Solo. Voire d’hiberner six mois avec Youth Lagoon. C’est alors que Nils Frahm vient à ma rescousse.
Déjà chroniqué en ces pages, le berlinois est un rockeur du piano. Au sens où depuis son premier album The Bells, romantique mais un poil académique, le virtuose n’a eu de cesse d’élargir, de travestir, de conquérir une matière délicate en noir et blanc. Piano. Oubliez les pensums digitales qui portent au pinacle le nouveau Beethov’ déjà rassis. Nils Frahm est de la trempe d’un intense Keith Jarrett, d’un homme capable de faire taire dans un souffle complice une assemblée de mélomanes. Parce qu’il n’est pas classique, il séduit le mixeur de sons d’aujourd’hui. Parce qu’il est classique, il pénètre de son frappé, de sa technique le cœur des puristes Deutsch Gramophone. Et parce qu’il n’est au final ni l’un ni l’autre, il touche au cœur de celui même qui n’a jamais goûté un récital de piano.
C’est ce que Spaces vous propose. Accepter le temps qu’il fait, l’humeur qu’il fait. Alors que le vent siffle dehors, l’album saura, dans la pénombre du soir, vous réconcilier avec ce nécessaire repli sous un plaid, une couette, un corps. Il saura aussi ouvrir les portes de nouvelles dimensions, sur Said and Done, réplique d’un « tube » déjà éprouvé par le pianiste sur The Bells, mais aussi avec Hammers, course poursuite des doigts sur la pensée, ou Says, magistrale leçon de minimalisme portée à son paroxysme. Spaces est un fantôme au sens où l’on se demande, recroquevillé dans le dernier pli du canapé, si ce que l’on écoute est bien réel. Dès le 18 novembre, il s’agira de vérifier cette question. Moi j’ai déjà ma petite idée.
Nils Frahm live on KEXP :
Magique session à la blogothèque :