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Si Jules MASSENET peut sans nul doute être considéré comme l’un des « mal aimés » de la musique française – nul n’est prophète en son pays, adage d’autant plus vérifiable en France ! – force est de constater que, pour autant, il a d’ores et déjà fait l’objet de multiples ouvrages biographiques.Citons d’abord le volumineux Massenet, l’homme, le musicien (1908) de Louis SCHNEIDER et Mes souvenirs (1912), supposée autobiographie qui n’est en réalité qu’un recueil d’entretiens effectués par le journaliste Gérard BAUER, et n’a par conséquent rien d’autographe. Ces deux publications ont en commun d’avoir été éditées du vivant du compositeur. La première a notamment le mérite, en dépit de quelques approximations, de constituer une précieuse base de données, en abordant synthétiquement les œuvres majeures de MASSENET, le tout accompagné d’une très riche iconographie.
La seconde laisse davantage perplexe quant à la fidélité des récits retranscrits. On peut par exemple s’étonner lorsque MASSENET, évoquant à de nombreuses reprises ses trois petits enfants, Marie-Magdeleine, Olivier et Pierre BESSAND, à qui il dédie ses témoignages, s’adresse à eux en employant la formule itérative « mes chers petits enfants », quelque peu surfaite et infantilisante si l’on considère le fait que les deux aînés avaient déjà respectivement vingt-trois et vingt-et-un ans…
Je ne détaillerai pas les nombreuses erreurs contenues par ailleurs dans cet ouvrage, erreurs fort heureusement corrigées par Gérard CONDÉ dans la réédition annotée de 1992. Il est d’ailleurs surprenant que MASSENET lui-même n’ait pas demandé de rectifications en amont, ou même en aval de ces parutions… Peut-être faut-il mettre cette négligence sur le compte de son état de santé déjà bien dégradé à l’époque, néanmoins associé à une « hyperactivité » artistique, les deux ne lui laissant guère le loisir de se pencher sur ce genre de « détails ».
Puis vinrent les biographies rédigées par René BRANCOUR en 1922, et Alfred BRUNEAU, disciple du compositeur, en 1935. Là encore, quelques déceptions. BRANCOUR commet plusieurs erreurs biographiques, chronologiques et musicologiques (1). Quant à BRUNEAU, ayant été l’élève du maître, on l’aurait souhaité plus pointu dans ses descriptions.
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Il aura donc fallu attendre les travaux de Pierre BESSAND-MASSENET, petit-fils du compositeur, et de son arrière-petite-fille adoptive (2), Anne BESSAND-MASSENET pour être assuré de la solidité des références qu’ils ont fournies dans leurs ouvrages respectifs, Massenet (1979) et Jules Massenet en toutes lettres (2001, ci-contre). Ce dernier doit d’ailleurs faire prochainement l’objet d’une réédition bilingue par l’intermédiaire d’un éditeur américain. On retrouve dans ces deux productions la rigueur de l’historien et celle de l’iconographe, tous deux passionnés et fermement disposés à promouvoir l’œuvre de leur aïeul. N’oublions pas non plus de citer les travaux de recherche, très détaillés, de Jean-Christophe BRANGER, professeur à l’Université de Saint-Etienne.Lorsqu’en novembre 2011 - centenaire de la disparition approchant - Jacques BONNAURE (photographie plus bas) (3) publie à son tour chez Actes Sud, collection Classica, une biographie intitulée « Massenet », le défi s’avère d’emblée délicat. Il s’agit en effet de ne pas retomber dans les mêmes erreurs que les ouvrages précurseurs, ni dans le piège du pastiche. De surcroît, la difficulté pouvait également résider dans le fait de chercher à vulgariser la thématique sans pour autant la survoler, autrement dit, comment synthétiser en cent quarante pages un champ aussi vaste que la vie et l’œuvre de Jules MASSENET, sans risquer d’en omettre les points les plus importants. Et force est de constater que Jacques BONNAURE esquive avec une certaine habileté ces différents écueils. Certes, il subsiste dans son écrit quelques approximations, tout du moins quelques raccourcis, qui n’altèrent cependant que très faiblement la valeur du récit (4).
Jules MASSENET vers la fin de sa vie, à Égreville
Jacques BONNAURE a particulièrement bien cerné et retranscrit la posture intermédiaire de l’œuvre de MASSENET dans la musique française, entre une Ecole post-romantique à son crépuscule et la modernité émergente de l’impressionnisme et du symbolisme, à l’orée – à quelques années près – des Années Folles. Vue sous cet angle, oui, la musique de Jules MASSENET est bien, au sens strict, une musique « fin de siècle », une forme de transition entre deux époques. Faisant le parallèle avec la longévité de SAINT-SAËNS, l’auteur précise très justement que « MASSENET, qui n’a vécu que soixante-dix ans, est tout de même né avec Nabucco et mort avec Pierrot lunaire, en pleine explosion du cubisme » (p. 14).Il souligne également qu’à ce titre, l’œuvre de MASSENET, si elle peut paraître suspecte, l’est essentiellement parce qu’on y « trouve un peu de tout ». MASSENET est, ne l’oublions pas, un homme de l’expérimentation stylistique (5). Et ce qui a pu vivement agacer ses contemporains comme ses détracteurs actuels, c’est ce polymorphisme musical, doublé du fait qu’avec des systèmes harmoniques et des thématiques lyriques simples, sans artifices, ses compositions émeuvent.
Pour revenir plus précisément au travail de Jacques BONNAURE, il me faut souligner la très belle qualité d’écriture, à la fois stylée et fluide, qui fait que cette biographie se lit quasiment comme un roman. J’ai particulièrement apprécié les intitulés des différents chapitres, présentés sous forme de petites sentences énigmatiques, pour certaines pleines d’humour (le premier chapitre par exemple « Où il sera question de marteaux et de faucilles plus que d’opéra… » ou le cinquième, « Qui prouve que tous les sphinx étonnants ne sont pas en Égypte, mais l’on en rencontrait aussi à Amiens »…). C’est au gré de ces différents points d’étapes que l’auteur déroule habilement la carrière et la production de Jules MASSENET, s’arrêtant sur ses principales compositions pour les décrire succinctement.
Jacques BONNAURE - © non précisé
Les annexes qui sont rattachées à cette biographie sont fort utiles. Une chronologie permet d’avoir un aperçu rapide des points clés de la vie du compositeur et de son œuvre. La biographie sélective renvoie évidemment aux ouvrages mentionnés en introduction de cet article, sans oublier d’indiquer quelques références internet intéressantes. Pour précision, le site de l’Association Massenet Internationale est actuellement en refonte, d’où son accessibilité limitée, qui n’a d’autre raison que fonctionnelle, non par prosélytisme. La discographie sélective fournit les principales orientations possibles, aussi bien pour l’œuvre instrumentale que pour l’œuvre lyrique et mélodique de MASSENET.En conclusion, la biographie écrite par Jacques BONNAURE s’avère globalement bien référencée, remarquablement rédigée, et elle constitue indiscutablement un support de vulgarisation efficace afin de se familiariser avec la vie et l’œuvre de Jules MASSENET. Mon seul regret de lecteur et de « Massenet-phile » impénitent est que ce livre ne laisse pas davantage transparaître, au-delà du musicien lui-même, l’homme, dans son intimité familiale, sa psychologie, son humour également… autant d’aspects qui ont eu une indiscutable influence sur son œuvre et qui fournissent, lorsqu’on les connaît, de nombreuses clés de lecture.
S’intéresser, par exemple, à la relation de MASSENET avec les femmes, à sa transposition dans ses opéras, sans détailler davantage le véritable calvaire matrimonial qu’il vécut pendant près de quarante-cinq ans, me paraît un peu décevant. A partir de là, on comprend que de nombreuses héroïnes de ses opéras (Grisélidis, Thérèse, Charlotte…), femmes de devoir, sont véritablement l’antithèse de l’épouse du compositeur… Mais là encore, je ne blâme nullement l’auteur, sans aucun doute contraint par le cahier des charges de l’éditeur à limiter le volume de sa production.
Quoiqu’il en soit, cette biographie de Jacques BONNAURE est une très honorable entrée en matière pour qui veut découvrir Jules MASSENET.
(1) L’exemple le plus aberrant tient aux deux premières phrases du livre : « Jules-Emile-Frédéric MASSENET naquit le 12 mai 1842 à Montaud, non loin de Saint-Etienne. Il fut le dernier des vingt et un enfants d’un ancien officier qui avait servi le premier empire… »… Pauvre madame MASSENET mère ! Tempérons les choses en précisant que Jules MASSENET était le douzième enfant de son père, plus précisément le quatrième et dernier d’un second mariage ! Cette erreur fut d’ailleurs commise du vivant même du compositeur. Anne MASSENET m’a montré un petit document autographe qu’elle conserve, sur lequel est écrit entre guillemets « 21 enfants », suivi des signes « +++++++++++++ » !
(2) Pour autant Anne BESSAND-MASSENET est bien issue de la famille du compositeur. Elle est l’arrière-petite-fille de son demi-frère Camille. Pierre BESSAND-MASSENET, sans descendance, l’adopta à l’âge adulte.
(3) Jacques BONNAURE est professeur agrégé de lettres et critique musical pour La Lettre du musicien, Opéra Magazine et Classica. Il est également l’auteur d’une biographie consacrée à Camille SAINT-SAËNS parue chez Actes Sud en 2010. Il est en outre membre de l’Association Massenet Internationale.
(4) Le père de Jules MASSENET ne fut pas auditeur libre à l’École des Mines, mais à Polytechnique, en 1804 (p. 19). Il avait été, antérieurement, élève à l’École des Mines de Saxe et étudiant à l’Université de Strasbourg. Lorsque l’auteur évoque également le fait que chez les MASSENET, dans les années 1848, « on économise sur les chandelles » (p. 23), il faut somme toute relativiser la chose… Quand il qualifie le jeune MASSENET de « garçon sérieux », là encore, nuançons… L’adolescent qu’était MASSENET était sérieux du point de vue de l’étude, mais tout de même assez turbulent, ce qui lui valut par exemple de se faire ramener chez sa sœur par la maréchaussée après quelques désordres intempestifs causés par ses camarades et lui dans les rues de Montmartre…
De la « Suite pour Orchestre n° 1 », créée sous la direction de Jules PASDELOUP en 1867, on ne saurait dire catégoriquement qu’elle recueillit unanimement des suffrages favorables. Certes le public, spontanément, approuva, mais la critique journalistique fut assez acerbe. Concernant la mort de Georges BIZET (p. 55), selon l’étude très bien documentée du Pr Richard TREVES (2001), il est vraisemblable qu’elle soit due à des complications cardiaques du rhumatisme articulaire aigu dont souffrait le compositeur depuis l’âge de vingt-et-un ans, suite à des angines itératives et mal soignées, et non à une rupture d’anévrisme ou aux complications d’une pneumonie, ainsi que l’ont avancé d’autres auteurs.
Le rôle de Chimène, dans Le Cid, n’est nullement conçu pour une voix de mezzo-soprano, ainsi que l’affirme l’auteur (p. 81). Il suffit, pour s’en convaincre, d’analyser l’étendue vocale et surtout la tessiture du rôle, véritablement conçu pour soprano dramatique, et faire un rapide bilan des autres rôles chantés par sa créatrice, Fidès DEVRIES, pour s’apercevoir qu’elle n’avait pas à proprement parler une voix de mezzo-soprano : Marguerite dans Faust, Ophélie dans Hamlet, Agathe dans le Freischütz, Eudoxie dans La Juive, Elvira dans Don Giovanni… Semblablement, considérer le rôle de Charlotte, dans Werther, comme un soprano dramatique (p. 88), peut être sujet à débat… Lucy ARBELL, citée en qualité de fille du philanthrope Richard WALLACE (p. 139), est en réalité sa petite-fille. Le créateur du rôle d’André dans Thérèse, à Monte-Carlo, en 1907, fut Hector DUFRANNE, et non Henri ALBERS (p. 141). Ce dernier reprit effectivement le rôle à Paris en 1911, DUFRANNE étant alors en troupe à Chicago.
(5) On peut dire de MASSENET qu’il a oscillé entre post-romantisme à la française, tentations wagnériennes et naturalisme. Il est le compositeur de la multiplicité des thématiques (Antiquité gréco-romaine, XVIIIe siècle, Moyen-Age, mythologie persane et hindoue, références bibliques…), du grandiloquent et aussi de l’intime, mais encore le partisan d’une instrumentation inventive (il réintroduit des instruments antiques dans Thaïs, fait fabriquer des fac-similés de trompettes médiévales pour Le Cid, remet le clavecin au goût du jour dans Thérèse, sans oublier l’intervention spectaculaire de dix darbourkas dans Cléopâtre).
‣ Hervé OLÉON