Dans la mesure où "critiquer/chroniquer" un essai est parfois périlleux, et que la lecture de celui-ci résulte d'un travail à rendre dans le cadre de ma formation, j'ai préféré résumer, chapitre par chapitre pour commencer, le présent recueil signé Georges Perec. Plus tard, je m'essaierai au résumé documentaire à proprement parler (qui est justement le travail demandé).
UN MOT SUR …
L’auteur
Georges Perec est né en 1936 et mort en 1982. Ecrivain, verbicruciste, GP se distingue par ses jeux de langage, sa façon si singulière d’aborder la question de l’« autre », de l’« ailleurs ». Ses livres sont pour la plupart des succès dans le monde littéraire et constituent le fondement de la réputation de marginal de l’auteur.
Le recueil
Penser/Classer a été publié pour la première fois à titre posthume en 1985. Ce volume est constitué de textes où GP s’adonne au classement du monde, des êtres et des choses selon une vision novatrice et peu commune ; une fois de plus, il se démarque du commun des mortels par un esprit voyageur et faisant fi des convenances.
PAS A PAS
Notes sur ce que je cherche
GP débute en évoquant sa réputation d’ordinateur, ou plutôt d’inconstant du langage : il écrit, crée et recrée sans cesse dans ses livres, son « style » n’étant pas défini ou reconnaissable d’un ouvrage à l’autre. Pourtant, il utilise la métaphore du cultivateur pour tenter de définir quatre champs d’actions de son travail d’écriture : l’étude sociologique, l’autobiographie, le travail sur la langue, la fiction. Mais au-delà de ces cases, GP cherche surtout à explorer tous les champs du possible, de l’écriture, de la littérature au sens large.
De quelques emplois du verbe habiter
GP palabre sur l’utilisation commune du verbe « habiter ». Il en profite pour classer les lieux par importance géographique (à côté, proche, éloigné, lointain…).
Notes concernant les objets qui sont sur ma table de travail
GP nous livre une description de certains des objets présents sur sa table de travail. Pourquoi ces objets et pas d’autres ? Par goût, tout simplement. Il poursuit avec une liste détaillée et évoque par la même l’art de l’énumération dans la littérature.
Le temps passe, les objets restent. Pourtant, les métamorphoses, remplacements, transforment l’espace de travail en un espace de vie comme un autre. GP achève son chapitre en rappelant l’objectif du projet : déterminer ses propres pratiques d’entassement, de rangement, de conservation (toujours dans une approche sociologique).
Trois chambres retrouvées
GP commence par évoquer la chambre où il passait ses vacances. Ce dont il se souvient le plus, ce sont les livres et magazines rangés dans un placard : la plupart étaient des policiers.
Il se souvient ensuite d’une maison de campagne où il passait quelques jours en fin d’été. La pièce qui lui servait de chambre à coucher devait être une ancienne grange aménagée pour l’occasion.
Enfin, il achève son périple de souvenirs avec l’époque de sa cure pour tenter (vainement) de combattre ses sinusites. Cette cure ne l’a pas marqué outre mesure, il se rappelle juste de s’être fait piquer à l’œil par un vilain moustique.
Notes brèves sur l’art et la manière de ranger ses livres
GP s’intéresse enfin au classement des livres. Il débute son explication par l’étude d’un exemple : la bibliothèque idéale (ni trop, ni pas assez) se résume à posséder 361 livres. Mais très vite, des problèmes se posent et ce schéma n’est plus satisfaisant. Les 361 livres se transforment ainsi en 361 thèmes (vague, mais moins contraignant).
Par cet exemple, GP met en lumière les mésaventures rencontrées du fait de la possession de livres (dans le cadre d’une bibliothèque personnelle) : l’espace (avec humour, GP décrypte les meilleurs endroits de stockage de livres) et l’ordre (c’est-à-dire l’art et la manière de les ranger dans l’optique de les retrouver).
Douze regards obliques
A travers différents points de vue et anecdotes, GP analyse le concept de mode avec un arrière-goût plutôt amer. Il évoque ainsi la violence des mœurs, l’éphémère des objets, le rejet de la différence, la dépendance face à la mode. Bref, la mode, peut-on l’éviter ? Si oui, comment ?!
(le chapitre s’achève sur un clin d’œil à la table de travail abordée ci-avant).
[La mode ce n’est que] des points de repère auxquels une collectivité se rattache.
(p.51)
Les lieux d’une ruse
GP part en digressions sur différents points concernant la psychanalyse qu'il a suivi : les difficultés de parler puis plus tard d'écrire, l'engrenage du temps qui passe (avant, pendant, après), le protocole d'arrivée et de départ du cabinet, … On peut alors se demander le rapport avec la ruse évoquée en titre de chapitre.
Pourtant ce chapitre est capital dans la compréhension du recueil. Il met à plat les questions de classement par l'esprit, de souvenirs, la notion d'oubli, la peur surtout d'oublier si on ne dit pas tout dans l'ordre. En fait, il aborde l'obsession du classement, de la conservation de tout et rien. La pratique apporte le Savoir en quelque sorte.
Puis enfin, à force de bataille, de tri, la libération, le dialogue et la parole : GP parvient à parler, à écrire, à savoir ce qui l’a amené en psychanalyse.
Je me souviens de Malet & Isaac
GP explore les méandres de ses souvenirs d'école. Or la mémoire est facétieuse : impossible de se rappeler les détails tant qu'il n'a pas feuilleté ses anciens manuels. Alors il débite les titres et mots clés de chapitres entiers de son manuel d'histoire, puzzle d'événements, d'hommes et d'idéologies.
(Malet et Isaac étant le nom d'une collection de livres historiques, célèbre au XXe siècle)
81 fiches-cuisine à l’usage des débutants
Tout est dans le titre... GP décortique des recettes de sole, de ris de veau et de lapin. Les recettes se répètent inlassablement avec quelques modifications néanmoins.
Lire : esquisse socio-physiologique
GP étudie les impacts de l'éducation, des mœurs et de la culture sur l'acte de lire. Seulement l'acte de lire : l'acte physique de lire (il s’appuie ici sur une étude ethnologique de Marcel Mauss sur « les techniques du corps »)
Deux catégories d'analyse se distinguent alors : "le corps" (l'implication physique, le comment) et "l'autour" (l'environnement, le pourquoi). GP explique ainsi (avec force citations) que le corps se jette dans la mêlée : il s'implique entièrement dans l'acte de lire (yeux, mains, lèvres...).
Puis, GP différencie deux types de lecture : la lecture pour lire et la lecture pour travailler. Dans les deux cas, la lecture n’est-elle qu’un prétexte à une autre activité ? Ou bien le temps vide est-il un prétexte à la lecture ? Par-là, GP entend que, finalement, lire s’accompagne toujours d’une activité annexe, d’un but : attendre son rendez-vous chez le dentiste, travailler un exposé, apprendre à cuisiner un plat, passer le temps, s’endormir…
[...] la lecture ramenée à ce qu'elle est d'abord : [...] tout un ensemble de stratégies insérées dans le continuum de la vie sociale, et qui font qu'on ne lit pas n'importe comment, ni n'importe quand, ni n'importe où, même si on lit n'importe quoi.
(p.109)
De la difficulté qu’il y a à imaginer une Cité idéale
GP dresse une liste (quasi-anaphorique) de ce qu'il aime et n'aime pas, afin de constituer un portrait de la cité idéale (concept flou et complexe à définir : qu'est ce qui est idéal et ce qui ne l'est pas ?). Autant de contradictions qui, finalement, ne définissent rien.
J'aime bien vivre en France mais parfois non.
(p. 127)
Considérations sur les lunettes
Alors qu’il n’a jamais porté de lunettes, GP s’évertue à discourir sur les lunettes et le fait même d’en porter. De ce postulat de départ, découle toute une série d’expériences, de digressions et de questions diverses (« comment voyait-on le monde avant l’invention des lunettes ? » ou « qui a inventé les lunettes » en sont de bons exemples). Par la suite, GP décrypte à la loupe les différentes lunettes d’hier et d’aujourd’hui (forme, matière, nombre de verres, présence ou non de monture, etc…).
(le chapitre s’achève sur une note d’angoisse humoristique : les troubles de la vue dus à l’âge débutent vers 45 ans, GP, au moment de l’écriture de ce texte, en avait 44 et demi…)
« Penser/Classer »
Le chapitre éponyme clôt le recueil. GP écrit un petit paragraphe par lettre de l’alphabet, qu’il disperse dans le désordre (ou du moins dans l’ordre d’Italo Calvino, différend de l’alphabet conventionnel).
Ici, GP tente vainement de répondre à la question : penser est-ce classer ? En d’autres termes, peut-on penser sans classer, ordonner, fragmenter lesdites pensées selon un ordre prédéterminé par le penseur lui-même (sans doute influencé par son environnement social et culturel) ? Par le simple fait de l’anarchie feinte de ce chapitre, GP tente une réponse en abordant divers sujets tels que : la CDU (comment en est-on arrivé à attribuer un code chiffré à un concept ?), l’alphabet, les puzzles, l’utopie (où tout est ordonné) ou encore certains exercices de style.
En résumé, le classement, bien qu’un élément essentiel pour la compréhension du monde et d’autrui, ne nécessite pas forcément qu’on y pense, car penser à la façon dont on classe les pensées revient à tourner en rond (surtout quand la notion de « penser » est elle-même floue).
[...] une place pour chaque chose et chaque chose à sa place.
(p.153)